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Deux films de Mario Soldati : Lacs et films majeurs

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Ils sont beaux, ces lacs italiens, tant le Majeur et celui de Côme, que l’on voit dans Piccolo mondo antico (1941, Le mariage de minuit), qu’à nouveau le lac de Côme, véritable vedette de Malombra (1942). Et qu’importe s’il y neige parfois, jusque dans les chansons de Mort Shuman. Ces deux films adaptés de romans d’Antonio Fogazzaro et réalisés par Mario Soldati sont deux chefs-d’œuvre d’un mouvement baptisé « calligraphisme ».
Parallèlement à la Trilogie de la guerre de Rossellini, contemporaine de ce Mariage et de Malombra, Bach Films sort donc en DVD ces deux œuvres majeures (encore le lac !) de Soldati, écrivain, scénariste et cinéaste, malheureusement oublié aujourd’hui alors que tous ses romans récemment réédités dans la collection Le Promeneur de Gallimard prouvent la qualité de son écriture.

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Le mariage de minuit nous plonge dans une époque, le milieu du XIXe siècle, où une partie de l’Italie est encore sous la domination autrichienne. Incarné par Massimo Serato, le héros du film est en quelque sorte entré en résistance contre l’occupant. Scénario étonnant quand on songe qu’il a été réalisé dans une Italie fasciste alliée à l’Allemagne qui, elle-même a annexé l’Autriche trois ans plus tôt. Le bouquin de Fogazzaro date de 1895 et sans doute, comme c’était le cas avec le cinéma de la France occupée, les censeurs n’y virent que du feu. Ou firent semblant car le film est très fortement marqué par cet esprit de lutte armée contre un pouvoir. Et dépeint tout autant une aristocratie collaboratrice, incarnée ici par une vieille marquise antipathique — jouée par l’excellente Ada Dondini. Si l’on n’était au bord des grands lacs italiens en 1850, on jurerait que l’action se déroule à une époque contemporaine de la réalisation : il est question de tracts que l’on cache, d’une police qui débarque à l’improviste, fouille les maisons, arrête arbitrairement les individus et tient des propos anti-italiens. « Apprenez à respecter les autorités », entend-on dans le dialogue.

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Autre élément étonnant soulevé dans le bonus par l’historien Jean Gili, grand spécialiste du cinéma italien : des dialectes, alors interdits par le régime mussolinien, sont entendus dans le film et sans doute autorisés par la censure parce que, ajoute Gili, « ils étaient déjà dans le livre de Fogazzaro ». L’aspect éminemment politique du Mariage de minuit est renforcé par le thème-même du film, lui aussi très politisé puisqu’il y est question d’argent. La richissime et vieille marquise pro-Autrichienne voit d’un très mauvais œil le mariage de son petit-fils (Serato) avec une jeune femme qui n’appartient pas à la noblesse (Alida Valli, qui est magnifique). Le mariage a lieu en cachette, à minuit, et la vieille décide de déshériter le jeune couple. Commencent alors les problèmes d’argent et de fierté, puisque Serato a droit à sa part d’héritage que, malhonnêtement, sa grand-mère lui refuse. Le mélodrame n’est jamais loin, d’autant plus qu’une tragédie survient abruptement, que Soldati dirige sobrement, avec beaucoup d’élégance et sans effet de manche.

À côté des deux héros romantiques, Le mariage de minuit propose une galerie de personnages sympathiques, vieux professeur (Giacinto Molteni), oncle dépossédé (Annibale Betrone), vieille dame sourde (Elvira Bonecchi), interprétés par des comédiens que nous ne connaissons pas en France et qui enrichissent le film. À noter encore au générique la présence d’Alberto Lattuada crédité comme coscénariste et assistant-réalisateur et celle de Dino Risi en assistant-opérateur.

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C’est toujours au bord d’un lac que se déroule Malombra, tourné l’année suivante. Soldati, raconte Jean Gili, voulait reprendre Alida Valli mais ce fut finalement Isa Miranda, grande vedette de l’époque, qui obtint le rôle. L’ambiance gothique, dans ce château isolé au bord d’un lac où débarque Isa Miranda, rappelle ces demeures majestueuses où règne la cruauté et qui cachent un secret, filmées à Hollywood avec les adaptations de Daphne Du Maurier (Rebecca en 1940) ou de Charlotte Brontë (Jane Eyre en 1943).

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Après avoir vécu quelque temps dans la frivolité, Isa Miranda, devenue orpheline, est récupérée par un oncle (Gualtiero Tumiati) et forcée de vivre dans un manoir dont elle ne pourra sortir que mariée. Elle tombe sur un vieux manuscrit écrit par la jeune femme séquestrée de son aïeul et se persuade qu’elle en est la réincarnation. Dans une atmosphère trouble qui peut faire penser à celle dans laquelle évoluaient les personnages des films de Serge de Poligny, dans la France occupée voisine, le mystère qui enveloppe l’intrigue était capable de faire oublier aux spectateurs la dureté de l’époque.

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Là encore, la magie de Soldati et de ce style calligraphiste opère. Le cinéaste filme d’ailleurs de manière très différente la réalité, telle qu’elle est hors du château, et cette ambiance particulière qui opère dès que l’on est revenu dans la demeure du bord du lac. Le personnage incarné par Isa Miranda s’enfonce peu à peu dans la folie et l’on est bien tenté de voir apparaître encore ici quelques intentions politiques. Et si l’Italie de Mussolini était devenue ce beau château dont toute sortie paraît difficile sinon improbable, en tout cas pour l’héroïne ? Et que ses occupants, coupés des réalités du monde, glissaient imperceptiblement dans la folie. Il n’est qu’à voir le parti choisi par l’oncle pour convoler avec la belle et jeune femme : un nobliau ridicule (Nino Crisman), flanqué d’une mère grimaçante et dictatoriale, un rôle dans lequel on retrouve Ada Dondini. Au château, les alliances ne se font pas avec les bonnes personnes alors que celles qui vivent au dehors — Andrea Checchi, le jeune premier du film, Irasema Dilian, la jeune fille du vieil ami du comte, là encore incarné par le sympathique Giacinto Molteni — paraissent beaucoup plus saines d’esprit. Mario Soldati a toujours été antifasciste, comme l’indique clairement le journal qu’il a tenu au cours des années de guerre et qu’il a publié sous le titre Fuite en Italie (on le trouve toujours chez Gallimard). Sans doute dénichait-il chez Fogazzaro plusieurs traits communs avec la situation actuelle et une possibilité, sous prétexte d’adaptation littéraire — n’oublions pas que l’écrivain italien, célébré dès la publication en 1896 de Piccolo mondo antico, fut nommé sénateur par le roi Humbert 1er et a postulé plusieurs fois au prix Nobel, qu’il n’a jamais obtenu — de montrer finement son désaveu du régime. Enfin, rappelons que Soldati tournera en 1947 un troisième film d’après Fogazzaro, Daniele Cortis.

Jean-Charles Lemeunier

Le mariage de minuit (1941) et Malombra (1942), deux films de Mario Soldati édités en DVD par Bach Films depuis le 19 janvier 2017.



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