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« Contes italiens » de Vittorio et Paolo Taviani : Leçons d’histoires

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Évoquer une version cinématographique du Décaméron de Boccace renvoie forcément à l’un des chefs-d’œuvre de Pasolini. Autant dire qu’en s’attaquant, avec ces Contes italiens que Blaq Out propose en DVD, à une nouvelle mise en images des histoires racontées par des jeunes gens ayant fui Florence ravagée par la peste, les frères Taviani relèvent un sacré défi… et s’en sortent très bien.

Autant Le Décaméron était ouvert sur la vie (initiant même dans la filmo de son auteur la Trilogie de la vie), joyeusement grivois, autant ces Contes italiens s’attachent, du moins pour le début du film, aux jours noirs de la maladie, de la douleur et de la mort. Les scènes sont très fortes, tel cet homme qui pleure la mort de sa famille et se fait enterrer avec elle puis, à l’image de l’histoire de cette jeune femme passée pour morte et qui revient à la vie, le film des Taviani se met lui-même à s’éclairer à partir du moment où les jeunes gens se réfugient dans une maison et vont se mettre à raconter.

Les Taviani ont souvent placé les contes au centre de leurs films (voir Kaos, contes siciliens en 1984, suivi de Kaos II en 1998) et utilisé le passé pour discourir sur le présent. Quand ils tournent les Contes italiens, les Taviani ont à peu près l’âge qu’avait Éric Rohmer quand il mit en chantier son ultime film, le très beau Les amours d’Astrée et de Céladon, inspiré du roman d’Honoré d’Urfé, écrivain du XVIe siècle. Comme si revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à une simplicité du récit, à des comédiens peu connus, à la beauté des paysages et des costumes et à l’absence apparente de modernité, permettait de mieux parler du temps présent.

 

Car que racontent les jeunes Florentins du XIVe siècle ? Une époque de fléau, qualificatif qui conviendrait parfaitement à ce que nous connaissons aujourd’hui, des histoires d’amour intemporelles, des refus d’hypocrisie (la réjouissante partie qui se déroule dans un couvent de nonnes), une célébration du don de soi qui tourne mal (très belle histoire de l’homme au faucon) ou encore de la bêtise. Ils disent que rien n’est jamais écrit : a déjà été mentionnée cette femme revenue à la vie par la grâce de la magie amoureuse. Les dogmes séculaires peuvent être jetés aux oubliettes, ainsi que le montrent les religieuses déjà citées. Dans l’aventure de Calandrino, on ne sait qui est le plus stupide : l’homme simplet qui croit les moqueurs et leur fait stupidement confiance ou ces derniers qui profitent de la naïveté de leur victime. Enfin, le dépit de Calandrino lorsqu’il comprend qu’on s’est joué de lui est durement mis en scène par les Taviani, avec une séquence très violente de coups donnés à une femme qui dénote avec le reste du film et nous replonge dans ces moments cruels du début du film, décrivant la peste.

 

En se réfugiant loin de l’épidémie, les jeunes gens échappent aussi à la ville et sa modernité. Mais aussi à la facilité : on les suppose nobles et ils partent sans serviteurs, obligés de dresser eux-mêmes la table et de fabriquer leur propre pain. Mais on ne peut rejeter trop longtemps le monde actuel, les Taviani le savent, eux dont la filmographie parcourent les siècles, de la Renaissance florentine de ces Contes italiens aux prisons contemporaines où ils filment leur César doit mourir (2012), retranscription par des détenus de la pièce de Shakespeare. Toujours pour eux, insistons là-dessus, le passé doit éclairer le présent. Que représentent alors ces jeunes qui se mettent à l’écart, dans les Contes italiens ? Symbolisent-ils ceux qui, en chattant entre eux sur les réseaux sociaux ou en étant enfermés dans la villa d’une télé-réalité en oublient le monde véritable ? Ce serait minimiser l’apport des histoires qu’ils racontent, vectrices de vérités et de philosophie.

 

En portant leur choix sur des récits assez peu érotisés, les Taviani prennent donc leurs marques, comme cela a déjà été précisé, par rapport à Pasolini et autres histoires scélérates filmées par Sergio Citti et beaucoup d’autres. Pas question pour eux d’illustrer Boccace de la même manière que Pasolini en mettant en avant l’érotisme des récits du maître, d’autant plus que tout un courant du cinéma italien des années soixante-dix avait décliné l’étalon pasolinien dans une série de films rapidement baptisés par les critiques « decamerotici ». Les Taviani centrent leurs contes sur la beauté des plans de la Toscane et des costumes du XIVe siècle alors que Pasolini, signant aussi de magnifiques images — pour la plupart tournées dans la région de Naples —, avait ajouté à son Décaméron une série de portraits de prolos et de paysans italiens et de leur patois imagé. Plus classiques, très plaisants tout en étant parfois emplis de mélancolie, les Contes des Taviani rendent avant tout hommage à cette si belle Toscane dont ils sont natifs. Une remarque toutefois : il est un point sur lequel les deux frangins rejoignent Pasolini. Dans Le Décaméron, le cinéaste/poète incarne un élève du peintre Giotto qu’il décrit coincé dans sa création, avant qu’un rêve de la Madonne (Silvana Mangano) ne lui révèle la représentation du paradis. Les Taviani commencent, eux, par dépeindre l’enfer pour s’acheminer sans doute pas vers le paradis, du moins vers des paysages beaucoup plus sereins.

Jean-Charles Lemeunier
 
Contes italiens
Titre original : Maraviglioso Boccaccio
Année : 2015
Origine : Italie
Réal. : Vittorio et Paolo Taviani
Scénario : les Taviani d’après Le Décaméron de Boccace
Photo : Simone Zampagni
Musique : Giuliano Taviani, Carmelo Travia
Montage : Roberto Perpignani
AvecLello Arena, Kasia Smutniak, Michele Riondino, Jasmine Trinca, Kim Rossi-Stuart…

Sortie en DVD chez Blaq Out le 2 mai 2017.



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