En 1989, la série Miami Vice roule vers sa fin. Entre la production des épisodes de l’éphémère Crime Story (1) et la pré-production de The Last of the Mohicans, Michael Mann emballe en trois petites semaines L.A Takedown (également titré Made in L.A), sorte de continuation pour le petit écran de son magnifique Thief (le plan fugace d’une télévision le diffusant fait symboliquement assumer cette filiation) et prototype du futur Heat. Dans l’un des bonus du DVD zone 2 (2), le réalisateur explique qu’il évite de trop mettre en parallèle le téléfilm et le duel au sommet De Niro/Pacino, que ce serait comparer « un café lyophilisé et un grand arabica ». Pour le pauvre spectateur que nous sommes, piégé par notre cinéphilie, impossible de ne pas le faire, étant entendu qu’il serait quelque peu spécieux de mettre dos à dos disons, la qualité de l’image et une poignée de clichés de l’époque, duel perdu d’avance : L.A Takedown, c’est du plein cadre, une image un peu « cra-cra », un peu « floue », une définition que n’aide pas l’édition DVD (malgré tout en VO sous-titrée, ouf). Et ne parlons pas, bien qu’en déclin, de la mode capillaire coupe « canard » (mais pas un seul catogan à l’horizon, merci) et d’un type de physique à la Ken Wahl, contrebalancé par les présences de seconds couteaux tels que Xander Berkeley, Michael Rooker, Daniel Baldwin… Il y a plus important.
Les deux œuvres sont nées d’un même scénario, écrit depuis plusieurs années, que Mann tenait à mettre en forme non seulement en raison de son intérêt pour l’architecture (au sens large) de Los Angeles mais parce que les deux personnages principaux, les hommes du gang de braqueurs, Waingro et Vincent Hanna ont tous existé, que la confrontation entre les meneurs eu bien lieu (à Chicago), s’achevant effectivement par la mort brutale du véritable Neil McCauley. Une histoire marquante qui lui fut rapportée notamment par plusieurs policiers ou ex-policiers, dont son ami Denis Farina.
Même si le scénario original est ici largement amputé puisque il existe une différence d’une bonne heure entre ses deux versions, L.A Takedown est tout de même redoutablement efficace. Il est sans surprise au-dessus du tout-venant télévisuel, d’une élégance symbolisée par les costards que portent à peu près tous les protagonistes. Et l’essentiel de ce qui fait l’importance de Heat est ici présent, qu’il s’agisse de l’intrigue, de la psychologie des personnages, de l’agencement des scènes, de lignes dialoguées, des attitudes physiques, des scènes d’action (ne manque guère à ce titre que l’embuscade dans le parking du drive-in). La sensation de copier-coller, ou plutôt de remake, ou plutôt de ré-adaptation, est, on s’en doutait, frappante. Ainsi s’imposent les similitudes entre nombres décors, le goût du cinéaste pour les structures architecturales, l’épure des intérieurs, la sensualité dans l’intime (via les images des couples dans leur lit et celui du flic et de sa compagne sous la douche), les plans en « apesanteur », en particulier cette vision quasi surréaliste d’un palmier en feu en arrière-plan des dernières secondes entre le bandit tragique et sa belle Eady en train d’encaisser la vérité sur un homme hors du commun qui n’est, et bé non, pas un vendeur de piscines.
Il existe, c’est aussi logique que la masse de similitudes, des différences plus ou moins notables entre les deux fictions. Au-delà de l’ambiance musicale (3), de l’absence d’enfant dans le couple Vincent/Justine, de la quasi inexistence de la copine de Chris, et sans toutes les signaler, remarquons que la relation entre Vincent Hanna et sa compagne est, malgré une crise marquée et la mise en danger du couple, bien plus développée et plus saine que dans la version cinéma : ici la femme est décrite comme une businesswoman, aimante, nettement plus positive même si c’est elle qui fait remarquer avec justesse qu’elle est en train de perdre son « combat » contre l’accaparant métier de son homme, qui par ailleurs ne lui cache rien des horreurs de son travail, franchise participant à la cimentation du couple finalement sauvé du naufrage. Et notons que Madame reste fidèle à Monsieur. Autre dissemblance d’importance : après la révélation médiatique de sa véritable activité, le braqueur en chef finit seul, en sociopathe maudit qu’il est de toute façon. (4) Dans le plan cité plus haut du « palmier en feu », son amie, son amour, celle qui en quelque sorte faisait « renaître » le hors-la-loi, lui tourne le dos et ne le suit pas dans une éventuelle cavale pour atteindre un paradis du bout du monde. La mort du solitaire, du thief, est donc encore plus inéluctable et, bien que sanglante, carrément plus pathétique que dans la réalité et que dans Heat.
Laurent Hellebé
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L’épisode pilote, non pas réalisé par Mann mais par Abel Ferrara, fut disponible en France en VHS sous le titre Les Incorruptibles de Chicago
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Le premier bonus consiste en des extraits d’une conférence-débat de 2009 (dite « Leçon de cinéma ») durant laquelle Mann décrypte Heat à la Cinémathèque de Paris. Le second est un plus court et plus ancien entretien avec le réalisateur, portant sur la comparaison entre les deux longs-métrages
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Hors la musique originale certes « vaporeuse », le leitmotiv principal de L.A Takedown est l’un des points de raccords entre celui-ci et la série Miami Vice : il s’agit du L.A Woman des Doors reprit par Billy Idol
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Notons qu’il est joué avec la rigidité imposé par le rôle par Alex McArthur, qui fut le tueur en série du Rampage de William Friedkin
La rencontre entre Hannah et son antagoniste
L.A TAKEDOWN
Réalisation : Michael Mann
Scénario : Michael Mann
Interprètes : Scott Planck, Xander Berkeley, Alec McArtur, Michael Rooker …
Montage : Dov Hoening
Photo : Ronald Victor Garcia
Musique : Tim Truman
Origine: Etats-Unis
Durée : 1h37