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« Le vénérable W » de Barbet Schroeder : L’habit ne fait pas le moine

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Barbet Schroeder l’a annoncé dans toutes ses interviews : avec ce Vénérable W sorti en DVD et Blu-ray chez Blaq Out, son désir était de clore ce qu’il avait baptisé la Trilogie du mal, démarrée avec un portrait du dictateur africain Idi Amin Dada en 1974 et poursuivie avec celui de l’avocat Jacques Vergès (L’avocat de la terreur, 2007).

Le vénérable W est un moine bouddhiste birman, Ashin Wirathu, qui assène calmement d’étonnantes professions de foi racistes. Sa cible sont les Rohingyas, qui sont malheureusement depuis plusieurs mois au cœur d’une actualité dramatique. D’entrée de jeu, face à la caméra de Schroeder, le « vénérable » moine donne un cours de zoologie sur les poissons-chats d’Afrique : « Ils grandissent très vite et se reproduisent très vite aussi. Et puis, ils sont violents. Ils mangent leur propre espèce et détruisent les ressources naturelles de leur environnement. Les musulmans sont exactement comme ce poisson. »

 

 

On apprend ainsi que Wirathu est à la tête du Mouvement 969 qui veut protéger « une identité bouddhiste » et fomente des émeutes contre les populations rohingyas. Accusant par exemple en 2012 les musulmans du viol d’une jeune bouddhiste, les membres du mouvement tuent 10 musulmans. Les violences se multiplient et se concluent par la mort de 31 bouddhistes et 46 musulmans.

Les Rohingyas vivent principalement sur la côte ouest de la Birmanie, dans la province d’Arakan. Or, se plongeant dans les archives, Barbet Schroeder découvre un reportage de Roger Pic, diffusé sur TF1, qui date de 1978 et qui montre la découverte de pétrole dans cette région. De là à vouloir en faire fuir les populations musulmanes qui vivent là, il n’y a qu’un pas. Aisément franchi.

La force du documentaire de Schroeder, comme l’étaient déjà les films sur le dictateur africain et sur l’avocat, est de laisser parler librement des personnages sulfureux. Ceux-là aiment d’autant plus se servir des caméras qu’ils croient les utiliser à leur profit. Schroeder dévoile en outre d’autres images tout aussi fortes — à vous glacer le sang, même — de la répression policière ou d’un homme en flammes, au cours d’une émeute, que les passants regardent indifférents. Le type bouge un peu, preuve qu’il est toujours vivant, et une voix lance : « Laissez-le mourir ! »

 

 

Lui-même proche du bouddhisme (il le dit dans le bonus), Barbet Schroeder enveloppe son document de cette sagesse orientale qui nous subjugue tant, nous les Occidentaux. Comme un pot se remplit d’eau de pluie, est-il dit dans le film, l’innocent qui l’absorbe goutte par goutte finit par se remplir du mal. Une manière d’expliquer pourquoi tant de moines semblent suivre le vénérable W dans ses discours de haine. Et ses débordements : n’a-t-il pas traité une déléguée de l’ONU de « putain bonne à vendre son cul aux Kalars (NDA : appellation birmane péjorative pour les musulmans)«  ? Heureusement, le cinéaste ajoute des témoignages contredisant Wirathu et apporte le contrepoint d’un autre moine, U. Kaylar Sa — un des leaders de la révolution de safran, en 2007 —, qui déclare : « Dès lors qu’il y a violence, le bouddhisme est détruit ! » Et la voix chuchotante de Bulle Ogier qui traduit celle d’une religion considérée comme profondément humaniste.

 

 

Le vénérable W montre à l’Occident un personnage qui va à l’encontre de ce qu’on croit être le bouddhisme. Il pointe également du doigt l’attitude tout aussi étonnante pour nous d’Aung San Suu Kyi qui, aujourd’hui à la tête du gouvernement, refuse de prendre position sur le massacre des Rohingyas (le film a été tourné en 2016, époque où les interrogations sur l’attitude d’Aung San Suu Kyi n’ont pas encore été placées sur le devant de la scène médiatico-politique). En revanche, Barbet Schroeder donne une tribune à un homme qui ne la mérite pas vraiment, comme c’était déjà le cas avec Amin Dada. Cité par Les Inrockuptibles, un chercheur de Sciences Po, David Camroux, estime que le film donne à Wirathu « de la crédibilité et de l’importance ». C’est toute la difficulté de l’information — et l’honnêteté de Schroeder qui désire rencontrer et donner la parole à l’homme dont il va brosser un portrait peu flatteur.

Jean-Charles Lemeunier

Le vénérable W
Année : 2017
Origine : France, Suisse
Réal. et scén. : Barbet Schroeder
Photo : Victoria Clay-Mendoza
Musique : Jorge Arriagada
Montage : Nelly Quetter
Avec Ashin Wirathu, U. Zanitar, Kyaw Zayar Htun, U. Kaylar Sa, Matthew Smith, Abdul Rasheed, Carlos Sardiña Galache, U. Galonni, avec la voix de Bulle Ogier.

Sorti en DVD et Blu-ray chez Blaq Out le 13 novembre 2017.

 


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