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« Pour toi j’ai tué » de Robert Siodmak : Le parfum d’Yvonne

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Loin de moi l’idée de reprendre au foot tel ou tel slogan mais, franchement, qui ne saute pas sur le moindre film de Robert Siodmak qui pointe le bout de son nez n’est pas cinéphile. Et justement Criss Cross (1949), que l’infidèle traduction française a transformé en Pour toi j’ai tué, fait son apparition chez Elephant Films. Faut-il vraiment que vous alliez jusqu’au bout de cette chronique pour vous précipiter ?

 

 

Pour toi j’ai tué est considéré comme un film noir. Le sujet en a, certes, toutes les apparences, apparences d’ailleurs trompeuses puisqu’elles ne font qu’habiller une vraie histoire d’amour romantique. Et charnel. Car, depuis la Seconde Guerre mondiale, le cinéma a évolué. Le cynisme des premiers héros de films noirs, souvent incarnés par Bogart, a laissé sa place à l’amoureux rendu fou par une femme fatale. Les rapports entre les deux sont sexuels et les cinéastes n’en font pas mystère. À plus forte raison s’ils ont été formés aux écoles viennoises ou berlinoises. On connaît le sillon tracé à Hollywood par Erich von Stroheim, Josef von Sternberg, Ernst Lubitsch ou Billy Wilder. C’est justement Wilder qui signe le très sexué Assurance sur la mort en 1944 et c’est Robert Siodmak, cinéaste qui a débuté à Berlin avant de gagner Paris puis l’Amérique pour cause de barbarie nazie, qui pose son nom sur le générique de Pour toi j’ai tué

 

 

Après avoir été marié à Yvonne De Carlo puis largué au bout de 8 mois, Burt Lancaster revient à Los Angeles. Et cherche à revoir son amoureuse. Laquelle, maquée au malfrat local (Dan Duryea), n’est pas opposée au fait de reprendre ses relations avec le beau Burt. Triangle classique, certes, qui devrait faire basculer la jolie Yvonne dans le rang très occupée des femmes fatales qui se révèlent être de belles garces. C’est là toute la différence apportée par Siodmak. Laissant malgré tout planer une ambiguïté, ses deux amoureux se comportent comme deux tourtereaux, vite pris sur le fait. D’où l’idée du hold-up, prétexte à dédouaner le couple illégitime.

 

 

Entre Burt Lancaster et Yvonne De Carlo, tous deux magnifiques, les dialogues sont à peine à double sens, grand tour de force des films noirs — il n’y a qu’à revoir Le grand sommeil de Hawks et chercher toutes les allusions sexuelles qui se glissent dans les dialogues. Ici, Siodmak et son scénariste Daniel Fuchs (qui adapte un roman de Don Tracy) y vont en roue libre. Lorsque les deux amoureux évoquent leurs disputes fréquentes, arrivent aussitôt sur le tapis les heureux souvenirs des réconciliations, toujours très fortes selon Yvonne. On comprend très bien ce qu’elle veut dire. Rarement la sexualité a été abordée aussi frontalement dans un film produit par un grand studio, ici Universal, depuis l’instauration du code de censure. Et il n’est qu’à voir la beauté endormie sur un canapé pendant que se prépare le hold-up pour comprendre ce que je veux dire. N’en déplaise à Patrice Leconte, cette Yvonne-là n’a pas que son parfum qui est entêtant !

Un plan d’ailleurs, qui démarre la formidable séquence du braquage, explique clairement de quoi il s’agit. Le fourgon blindé qui va être attaqué est vu d’avion, circulant entre un bâtiment rectiligne (la ligne droite de la bonne conduite) et un autre présentant deux formes arrondies (qui ne peuvent faire penser qu’aux appas féminins, sans avoir trop besoin de se creuser la tête). Lancaster est ainsi pris entre deux feux. Au cours d’une conversation avec Yvonne, il lui expliquera qu’en croquant une pomme, un morceau reste souvent entre les dents. On prend alors un bout de carton qu’on détache de son paquet de cigarettes et il se coince aussi. En clair, il en va de même avec un amour. Il a beau s’éloigner, il vous en reste toujours un petit bout qui vous gêne et vous fait penser à lui.

 

 

Siodmak est ainsi un cinéaste d’images. Au sens figuré, celles-ci parsèment ses dialogues. Au sens propre, elles sont très soignées, toujours signées par un chef op’ de renom. Ici, c’est Franz Planer qui, lui aussi, a suivi la même trajectoire que son réalisateur : le cinéma allemand, puis français, puis américain pour lequel il changera son prénom en Frank. Planer place sa caméra souvent dans la rue et nous montre un Los Angeles pentu (celui de Bunker Hill), avec le fameux funiculaire des Anges aperçu par une fenêtre d’un appartement.  Souvent, par l’ouverture d’un bâtiment, que ce soit justement une fenêtre ou une porte, il profite de la profondeur de champ pour montrer un paysage, une rue;

Siodmak sait aussi donner du rythme à ses images et leur conférer, quand il faut, une tension très forte. Il n’y a qu’à se reporter à la séquence de l’hôpital, stressante à souhait avec ses jeux d’ombres et ses angles biscornus tout droit sortis de l’expressionnisme allemand.

 

 

Les acteurs sont comme on les aime dans ces films noirs. Lancaster et De Carlo ont été abondamment cités mais il faudrait aussi mentionner l’excellent Dan Duryea, visage dur, mâchoire crispée, chevelure gominée d’officier nazi, et Stephen McNally dans le rôle du flic, pas mièvre pour deux sous, même s’il veut éviter ce qu’il pense être le pire à son ami Lancaster. Parmi les nombreux seconds rôles du film, il faudrait encore parler d’Alan Napier en vieux braqueur alcoolique sur le retour. Ce grand bonhomme, tant par la taille (1,97 m) que le talent, attire l’œil de la caméra et du spectateur dès qu’il apparaît. Malgré une très grande carrière sur grand écran, il est surtout connu pour son rôle d’Alfred, le serviteur de Bruce Wayne, dans la série Batman (1965-1968).

 

 

On relèvera encore l’apparition muette de Tony Curtis, alors inconnu et portant le prénom d’Anthony, dans le rôle du jeunot qui fait tourbillonner Yvonne De Carlo lors de la scène du bal. Dans le bonus, Eddy Moine (oui oui, c’est bien le fils de Monsieur Eddy) nous explique que c’est grâce à ce petit tour de danse que l’acteur sera plébiscité et se verra offrir de plus grands rôles par Universal.

Pour toi j’ai tué fait partie d’une série de trois films noirs, avec le génial Espions sur la Tamise de Fritz Lang (où l’on retrouve Dan Duryea et Alan Napier) et le moins connu La vengeance d’une femme de Zoltan Korda, que sort Elephant Films ce 6 février. Vous êtes encore là ou déjà dans votre magasin préféré ?

Jean-Charles Lemeunier

Pour toi j’ai tué
Année : 1949
Titre original : Criss Cross
Origine : États-Unis
Réal. : Robert Siodmak
Scén. : Daniel Fuchs d’après Don Tracy
Photo : Frank Planer
Musique : Miklos Rosza
Prod. Universal
Durée : 88 min
Avec Burt Lancaster, Yvonne De Carlo, Dan Duryea, Stephen McNally, Esy Morales, Percy Helton, Alan Napier, Tony Curtis…

DVD et combo Blu-ray/DVD sortis chez Elephant Films le 6 février 2018


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