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Coffret Bad Girls chez Bach Films : Sex, drugs and rock ‘n’ roll



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Deux filles font du stop sur une route, qu’un homme prend à bord de sa voiture. Deux autres filles arrivent en voiture, bloquent le Samaritain et le détroussent allègrement avec l’aide des deux autostoppeuses. Elles sont toutes jolies et vêtues de pulls moulants à manches courtes. Elles sont prêtes à tout et n’ont peur de rien, et surtout pas de la violence. Elles se battent volontiers, utilisent des armes à feu le cas échéant, tirent autant sur le quidam moyen que sur les flics. Ce sont les Bad Girls dont Bach Films va nous offrir huit versions dans un alléchant coffret du même nom. Vive, donc, les Bach Girls !

L’étonnant Girl Gang de Robert C. Dertano et ses autostoppeuses délurées ouvre la marche. Inconnu chez nous, Dertano est quand même un mec qui avait de la suite dans les idées. N’a-t-il pas écrit, réalisé et monté successivement Racket Girls (1951), Girl Gang (1954) et Gun Girls (1957) avec, à chaque fois, Timothy Farrell dans le rôle du gangster ? C’est d’autant plus marrant quand on sait que le Tim en question, également familier des films d’Ed Wood, a bossé avec la police et fut même marshal. La légende veut aussi qu’il ait été raflé par ses collègues flics lors du tournage de Paris After Midnight (1951, toujours de Dertano), lequel comportait quelques stripteases à l’époque mal vus par les censeurs. Farrell aurait eu quelques ennuis professionnels, ce qui ne l’empêchera pas de finir sa carrière avec le grade de County Marshal. On retrouve encore Farrell dans ce coffret, cette fois du côté de la police, dans The Violent Years (1956) de William Morgan, scénarisé par Ed Wood et déjà présent dans le coffret consacré à ce cinéaste par Bach Films, dont nous avons parlé dans ces mêmes colonnes. Un film plutôt bien fichu jusqu’au finale très moral qui fera sourire, grincer des dents ou applaudir suivant que l’on se laisse aisément ou pas emporter par le vent de la religion. Dans la lignée du Rebel Without a Cause (La fureur de vivre) de Nicholas Ray, sorti l’année précédente, The Violent Years tente de comprendre pourquoi les jeunes en arrivent à être délinquants et le film n’hésite pas à accuser les parents. Si James Dean regardait tristement son père, affublé d’un tablier, s’effacer devant sa mère, ici, un juge met carrément les deux parents au pilori qui ont préféré s’occuper d’eux-mêmes plutôt que de montrer un véritable amour à leur fille.

 

 

Si Girl Gang mérite bien le qualificatif d’étonnant, c’est qu’il montre des jeunes gens non seulement fumer des joints mais se préparer des shoots d’héroïne et se les injecter, un garçon dans le bras, une fille dans la cuisse, pour la rendre plus sexy encore. Nous sommes au cœur de ce cinéma d’exploitation qui, sous prétexte de mises en garde (contre le sexe, l’alcool ou les drogues), montraient tout ce qui était banni à l’écran. Quitte à ne pas obtenir de visa de censure et à projeter les films hors des circuits commerciaux.

 

 

Excepté Hell’s House (1932), tous les autres films du coffret parlent donc de ces jeunes filles qui se laissent facilement dévergonder. Hell’s House est différent, qui montre un jeune garçon naïf et jouant de malchance se retrouver dans une maison de correction. Oscillant sans cesse entre le drame social et le mélo moralisateur, ce film de Howard Higgin précède les chefs-d’œuvre sur la grande crise de 29 que sont les sujets contemporains de William Wellman ou de Mervyn LeRoy. L’ado en question (Junior Durkin) se retrouve en butte à la lâcheté et la dureté du monde adulte. Méconnu chez nous, Higgin, qui fut scénariste et réalisateur, ne plonge pas dans le manichéisme. Pat O’Brien use de son image sympathique pour incarner un type somme toute peu reluisant, tandis que Bette Davis, qui n’a à l’époque pas encore accédé au statut de vedette, tient un rôle positif, très éloigné de ceux de garces qui la rendront célèbre.

 

Higgin décrit une période difficile où des chauffards peuvent tuer impunément, des gens se retrouver au chômage du jour au lendemain, d’autres servir d’indics à la police et des gamins incarcérés pour avoir tenu un local rempli de caisses d’alcool. Nous sommes au temps de la Prohibition et la maison de correction est filmée avec la dureté requise. Quelques mois plus tard, Je suis un évadé montrera combien le système carcéral américain a besoin d’être humanisé.

 

 

Mais revenons aux mauvaises filles. Car dans Teenage Gang Debs (1966) de Sande N. Johnsen, elles le sont vraiment, mauvaises ! Voilà un film qui aurait pu être génial, sorte de West Side Story d’où tout romantisme a été exclus, mâtiné de Macbeth, dans lequel les filles tiennent un rôle clef, malheureusement gâché par une mise en scène bâclée. Des séquences intéressantes sont suivies d’autres, interminables, montrant des jeunes sur une piste de danse, tournant en rond en moto ou se battant.

 

 

Quoi qu’il en soit, ce Teenage Gang Debs est assez fascinant qui montre une jeune fille, apparemment de bonne famille, passer de bras en bras (shocking pour l’époque), être dans un lit avec un garçon sans être mariée (reshocking), se battre comme n’importe quel voyou ou incitant les autres à le faire et, cerise sur le gâteau, pousser son homme au meurtre du chef, comme une Lady Macbeth de bistro louche. Tout cela sans que ses parents ne s’inquiètent outre mesure de ses sorties nocturnes. C’est souvent grâce aux détails que l’on s’accroche à un film. Ici, il y en a un beau, de taille : le loubard en chef aime marquer au couteau ou au briquet ses amoureuses de ses initiales. Et il leur explique gentiment quelle méthode est la moins douloureuse. On ne s’étonnera plus que l’héroïne (intéressante Diane Conti) tienne à secouer le cocotier de ce machisme intégral.

 

 

Teen-Age Strangler (1964) de Bill Posner (alias Ben Parker) reprend la bonne vieille recette de qui dit jeunesse dit danses échevelées, blousons noirs et courses de voiture à tout berzingue, façon James Dean. Le film reste assez marrant à voir, avec un doute sur l’auteur de meurtres de jeunes filles. Les délinquants sont plutôt gentils et bien élevés, à quelques exceptions qui baisseront finalement la tête, leurs chéries bien sages, et toute cette adolescence se retrouve prompte à coopérer avec la police devant le danger. Par quelques séquences nocturnes filmées comme dans les futurs slashers, Teen-Age Strangler annonce ces films d’horreur avec jeune fille esseulée se baladant dans la nuit, sous l’œil — on le craint — du rôdeur criminel.

 

 

Teenage Doll (1957) de Roger Corman commence avec un curieux générique en images animées, sur la musique trépidante de Walter Greene. « Ceci n’est pas un conte de fées », nous prévient-on immédiatement, « mais l’histoire d’une maladie qui menace notre manière de vivre. » Cette maladie, c’est bien entendu la délinquance juvénile mais, dès les premières images, on comprend que c’est l’ensemble de la société qui est visé. Un homme balance sans broncher un baquet d’eau sale dans la rue, à deux pas du cadavre d’une jeune femme. L’ambiance est immédiatement étrange, les décors le sont et certains personnages aussi, tel cet aveugle capable de sentir le sang. La société, justement, quelle est-elle ? Des taudis, des rues cradingues, des filles qui discutent de leur avenir et qui sont confrontées à un choix : coucher avec son patron ou devenir délinquante. « La pire chose, conclut l’une d’elles : sortir de son milieu. » À ce déterminisme social qui baigne Teenage Doll, Corman oppose le personnage jouée par June Kenney, jeune fille de bonne famille qui va traîner avec les gangs de garçons et de filles. Malgré une chute moralisatrice qui incite à rentrer dans le rang — ce qu’était déjà la thématique du classique du genre, Blackboard Jungle (Graine de violence, 1955) de Richard Brooks —, le film de Corman insiste sur le rapport de classes. Dans le livre que Stéphane Bourgoin a consacré au cinéaste chez Edilig, il cite la jubilation du critique Pierre Guinle à la sortie de Teenage Doll, due au très grand nombre de dessous féminins visibles durant le métrage. Toute une époque !

 

 

Enfin, signalons encore deux films d’Edgar G. Ulmer, Girls in Chains (1943) et So Young, So Bad (1950), également présents dans l’indispensable coffret Bach Films consacré à ce cinéaste hors normes. Du premier, on peut dire qu’il est la version fauchée de pas mal de films noirs américains, avec un flic (Roger Clark) et une jeune femme (Arline Judge) luttant seuls contre la corruption qui a contaminé la ville et son grand manitou, un gangster qui dirige tout (Jack Randall, le cowboy chantant qui, à partir des années quarante, s’est rebaptisé Allan Byron pour élargir un peu son champ d’action cinématographique).

Comme elle s’est faite virer de l’école où elle travaillait parce qu’elle était la belle-sœur du malfrat, Arline Judge va être pistonnée par un gentil représentant de l’ordre pour devenir enseignante dans une maison de redressement, occasion de montrer de pauvres filles maltraitées par des matonnes coriaces. Ulmer force parfois un peu l’angélisme mais on lui reconnaîtra un sens aigu de la mise en scène dans des décors minimalistes. Et une cruauté certaine dans la description des meurtres ou des sévices subis par les pauvres filles emprisonnées. On notera encore la prestation d’Emmett Lynn en alcoolo dévastateur. Et, pour les cinéphiles avertis, les présences de Francis Ford, le frère de John, en juré au tribunal, et celle, dans le rôle d’une gardienne, de Betty Blythe, une des reines de beauté les plus déshabillées du cinéma muet dans des films pour la plupart malheureusement disparus (tel le Queen of Sheba de 1921).

 

 

Avec So Young, So Bad, on a du mal à savoir qui a fait quoi. Le film est signé par Bernard Vorhaus qui a été remplacé, en cours de tournage, par Edgar G. Ulmer. On doit reconnaître que les bonnes idées de mise en scène sont nombreuses, qu’on ne saurait attribuer à l’un ou l’autre des deux réalisateurs. Citons ce dialogue entre Paul Henreid et Catherine McLeod sur un manège, avec ce jeu de regards jamais au même niveau, ce panoramique qui accompagne la phrase « Ici, pas de hauts murs. J’ignorais pour le mur humain« , qui se termine par le visage sévère d’une gardienne de la maison de redressement où sont cloîtrées les jeunes filles délinquantes. Ou encore cette tentative de fuite filmée comme dans un film d’horreur, avec cette contreplongée dans les escaliers. Mettons encore en avant le sens des détails (les lapins, les peluches), ce directeur doucereux et ignoble (Cecil Clovelly), les jurés qui, au tribunal, s’épongent tant ils ont chaud et ce plan du baiser filmé à travers un cadre. Tout ceci accompagnant une histoire finalement subversive où les sadiques sont du bon côté de la barrière.

Encore moins connu chez nous qu’Ulmer qui, lui au moins, bénéficie d’une chapelle, Vorhaus est un cinéaste qui gagne à être connu. David Lean, qui fut son monteur, ne tarissait pas d’éloges sur son travail. Après plusieurs réalisations en Angleterre, Vorhaus plonge dans la série B américaine et se fait remarquer grâce à The Affairs of Jimmy Valentine (1942). De lui, Bach Films a déjà édité The Amazing Mr X (1948, L’incroyable Monsieur X). Deux films dont Bertrand Tavernier dans son blog relève les titres, ne serait-ce que par la présence aux deux génériques du génial chef opérateur John Alton. Il parle de « cadrages esthètes et raffinés », de profondeur de champ, de contre jours et de clairs-obscurs. Autant de qualités à mettre au crédit de So Young, So Bad.

 

 

Dans le bonus, Stéphane Bourgoin s’interroge sur la raison du départ de Vorhaus et son remplacement par Ulmer. Il met en avant les problèmes de Vorhaus avec les maccarthystes, problèmes également rencontrés par la scénariste du film, Jean Rouverol. Ceci expliquant sans doute cela. Bourgoin signale également « une séquence de quasi lesbianisme » qui dut, rajoutée au reste, faire remuer quelques sabots de censeurs. Ajoutons qu’on retrouve au générique de So Young, So Bad plusieurs jeunes actrices qui ne vont pas tarder à se faire un nom : la très jolie Anne Francis, que l’on verra plus tard dans Planète interdite, Rosita Moreno qui, sous le nom de Rita Moreno, sera l’une des vedettes de West Side Story, et Anne Jackson, future grande actrice de la scène.

Jean-Charles Lemeunier

Coffret Bad Girl de huit films en DVD, disponible chez Bach Films, depuis le 15 janvier 2018.


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