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« Cocktail Molotov » de Diane Kurys : Les mots de femme de la petite Anne

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Certains films restent en mémoire pour un ton et des détails et c’est le cas de Cocktail Molotov (1979), deuxième film de Diane Kurys que Malavida ressort simultanément sur grand écran et, pour la première fois, en DVD le 20 juin prochain. Au centre du récit, Anne (Élise Caron) qui pourrait être la même, avec quelques années de plus, que l’héroïne de Diabolo Menthe. Et personne n’a oublié la jolie chanson d’Yves Simon consacrée à l’adolescente et ses « mots d’amour et de tendresse, des mots de femme, que tu caches et qu’on condamne, que tu caches petite Anne ».

 

 

Ces mots, la petite Anne a de moins en moins envie de les cacher, elle que sa mère (Geneviève Fontanel), plus que son beau-père (Henri Garcin), empêche de voir son amoureux (Philippe Lebas). Alors, suite à un coup d’éclat de ce dernier, Anne s’engueule avec sa mère et part sur les routes avec son jules et un copain (François Cluzet). Envolés les classeurs de lycée : destination Venise puis Tel Aviv où les deux jeunes gens devraient rejoindre un kibboutz — ce que Diane Kurys fit dans la réalité en compagnie du futur cinéaste Alexandre Arcady, le père de son fils.

 

 

Tout ne va bien sûr pas se dérouler comme prévu, ce qui fait le charme de ce film dont les multiples qualités vont se nicher dans un geste, une phrase, une séquence qui décrivent et enrichissent un des protagonistes mais aussi l’époque. Car nous sommes en 68 et, alors que nos trois amis ont du mal à finaliser leur escapade, Paris s’insurge. On ne peut pas toujours être au cœur de l’Histoire quand on a de la peine à vivre la sienne.

La force de Cocktail Molotov, outre le charme et la fraîcheur de son trio de jeunes acteurs, réside donc dans ces petits détails qui, l’air de rien, en disent beaucoup sur l’époque. Comme cette bataille épique entre la mère et la fille au cours de laquelle Élise Caron n’hésite pas à littéralement assommer Geneviève Fontanel par cette phrase sans réplique : « Tu me détestes parce que tu es jalouse de moi parce que je suis amoureuse. Ça t’est pas arrivé depuis 20 ans. Ça t’est peut-être jamais arrivé ! »

 

 

Ces lignes de dialogue ouvrent des horizons qui aèrent le sujet, le plongent dans d’autres problématiques. Citons la mère de l’amoureux (Jenny Clève) qui, parlant de son mari malade (Armando Brancia), remarque : « Il a changé d’odeur. » Il y a encore cet échange entre les trois jeunes gens et le couple qui les a pris en stop (Hélène Vincent et Philippe Clévenot), à propos des révoltes étudiantes : « C’est un conflit de générations… Il faut bien qu’ils aient leur petite guerre à eux ! » Ou cette discussion dans un bar entre ceux qui sont contre la grève et celui qui la défend : « La grève, c’est pas la liberté, c’est emmerder les autres ! » Ou encore ce formidable CRS déprimé (Marco Perrin, très juste), fatigué de taper sur les étudiants.

Tout cela sent le vécu et le talent de Diane Kurys, comme celui des moralistes du XVIIe siècle, est de traduire son époque, nous la faire ressentir, nous faire comprendre, à travers trois jeunes gens qui essaient de s’en sortir, l’ambiance de 68. En cela, une des séquences les plus fortes se résume en quelques mots. S’étant fait voler à Venise, par une copine anarchiste (Stefania Casini) leur 2CV, les trois copains font du stop à travers la France, accompagnés par la musique d’Yves Simon et Murray Head. Alors qu’elle suit Lebas et Cluzet sur un raccourci qui n’en est pas un, Élise, à travers son t-shirt, dégrafe son soutien-gorge, le fait passer par la manche et le balance dans les fourrés. Tout est dit dans ce simple geste, qui est celui d’une libération.

Élise Caron et Philippe Lebas remplissent parfaitement leurs rôles tandis que François Cluzet, qui se rapproche de la jeune fille pendant le voyage (sans que rien d’ambigu ne se passe, si ce n’est des échanges de regards ou une main passée sur la joue), se taille la part du lion. Cluzet, dont c’était le premier grand rôle après une apparition non créditée dans Diabolo Menthe, et qui montre déjà tout ce qu’on sera plus tard en droit d’attendre de lui. À noter aussi l’apparition, dans un petit rôle d’étudiant moqueur, d’un tout jeune Christian Clavier.

 

 

Revu aujourd’hui, Cocktail Molotov ne va pas nous péter au nez. Mais, au contraire, nous prendre par la main et nous amener dans une balade soixante-huitarde qui montre d’où peuvent venir les variables d’ajustement d’une société, ses combats et ses croyances. Ce qui est encore mieux !

Jean-Charles Lemeunier

Cocktail Molotov
Année : 1979
Origine : France
Réal. : Diane Kurys
Scén. : Philippe Adrien, Diane Kurys, Alain Le Henry
Photo : Philippe Rousselot
Musique : Yves Simon, Murray Head
Montage : Joële Van Effenterre
Décors : Hilton McConnico
Durée : 100 min
Avec Élise Caron, François Cluzet, Philippe Lebas, Geneviève Fontanel, Henri Garcin, Michel Puterflam, Marco Perrin, Stefania Casini, Armando Brancia, Jenny Clève, Christian Clavier, Patrick Chesnais, Jean-Claude de Goros, Hélène Vincent, Philippe Clévenot…

Sortie sur grand écran et en DVD par Malavida Films le 20 juin 2018.


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