Brad Bird est un des meilleurs réalisateurs en activité. Ses précédents films avaient prouvé sa compétence cinégénique et cette suite au premier Indestructibles vient confirmer son talent. De plus, il prouve qu’il est encore possible de s’enthousiasmer, de retrouver une certaine forme d’émerveillement pour une histoire de super-héros. Laisser les mains libres à un conteur d’abord focalisé sur les émotions, les relations et les interactions de ses personnages a toujours été le meilleur moyen de formaliser un récit superhéroïque solide et surtout exaltant. On pense évidemment aux Sam Raimi, Guillermo del Toro et plus près de nous à James Mangold et son chant du cygne du plus célèbre mutant griffu. En même temps, ce n’est pas très étonnant de la part des studios Pixar puisque c’est leur crédo depuis leur constitution au début des années 90. Non, on ne tirera pas une fois de plus sur l’ambulance Marvel qui roule actuellement à tombeaux ouverts tellement ils sont empêtrés dans les contingences de leur univers partagé. On espère juste pour leurs fans que les exécutifs du studio s’inspireront un jour de la concurrence.
Ce qui est plus surprenant est de voir que Brad Bird revient à la barre même s’il avait clamé peu après la sortie du premier opus qu’il savait déjà comment faire évoluer l’histoire dans le cas d’un second volet (cet hyperactif a de toute manière toujours un tas d’idées narratives).
Les héros mis en scène par Brad Bird, qui se débattent pour exister, montrer leur valeur et être acceptés, sont une illustration de la propre lutte du cinéaste au sein de l’industrie hollywoodienne pour concrétiser ses projets et son désir d’œuvrer sur des films en prises de vue réelle. Sa manière d’aborder l’animation comme un film live s’en ressent dans le rythme, le découpage, la musicalité des séquences. C’est déjà prégnant dans son premier film d’animation Le Géant de fer qui pourtant passa totalement inaperçu en 1999. La maestria de ses films suivants, Les Indestructibles en 2004 et Ratatouille en 2007, sera heureusement plus remarquée. Ce qui lui vaudra d’attirer l’attention de Tom Cruise qui lui sa chance pour un film live en lui confiant les manettes du quatrième opus de la franchise Mission : Impossible. En plus d’être le meilleur épisode depuis celui signé par De Palma, Mission : Impossible – Protocole Fantôme est un véritable succès. Malheureusement, le bide au box-office de A La Poursuite de demain sera un frein à l’adaptation déjà compliquée à produire du roman de James Dallessandro intitulé 1906 (l’année qui a vu un séisme ravager San Francisco). Un projet que Bird a en tête depuis la parution du livre en 2004 et qui aurait dû être son premier film live. Il reprend donc le chemin du studio d’animation mais le retour dans l’univers qu’il a créé n’est pas un pis-aller. Il va se donner à fond et malgré des difficultés de production, pour cause de sortie avancée afin de donner plus de délais à Toy Story 4, qui entraîneront entre autres de nombreuses réécritures du troisième acte et de l’antagoniste du film, Brad Bird et son équipe livrent une suite complémentaire et supérieure à son modèle.
Pour ce faire, il ne suffit pas de renverser la dynamique de cette famille fantastique en faisant de Helen Parr le point central de l’intrigue. Aussi, Bird va s’ingénier à élargir le spectre de l’action et des enjeux.
Débutant exactement là où le premier se concluait, soit au moment de l’apparition du Démolisseur entraînant l’intervention costumée de nos héros, cette suite va continuer à creuser le sillon de la condition du surhomme difficilement accepté par le commun des mortels. L’activité des supers est toujours contestée mais après les dommages causés pour stopper le Démolisseur, leur renommée qui venait à peine d’être réhaussée par la neutralisation de Syndrome va de nouveau en pâtir. Un déficit d’image positive qu’un milliardaire et sa sœur particulièrement enthousiastes pour les super-héros vont s’échiner à modifier. Ainsi, ils vont mettre au service de la cause des supers des outils marketing comme l’étude de marché signifiant que le public sera plus enclin à supporter une héroïne, l’exploitation de l’appétence pour le rétro avec le recours à l’ancien costume d’Elastigirl, ses actions étant continuellement filmées et mises en ligne comme autant d’offrandes à des spectateurs avides de sensations. Tout en donnant matière à un récit complexe, Bird digresse ainsi l’air de rien sur la récupération des icônes pop et les tendances à la nostalgie et au féminisme surexploitées par la société de consommation et du spectacle (du Guy Debord en spandex, en somme).
Et tandis que madame s’active pour sauver les gens et redorer le blason des super-héros, dans des séquences d’action remarquables qui exploitent à merveille ses capacités physiques hors-normes (et ce jusqu’à sa moto parfaitement adaptée à sa morphologie élastique), monsieur est bloqué à la maison pour s’occuper des tracas ménagers et surtout gérer leur progéniture. Pas une mince affaire. Et Bird a l’excellente idée de rendre ces péripéties domestiques aussi épiques que les combats menés par Helen. Jusqu’à les entrecroiser lorsque les enfants appellent leur mère alors en pleine intervention. Entre la crise d’ado et amoureuse difficilement vécue par Violette, les devoirs scolaires subis par Flash et la manifestation aléatoire des nombreux pouvoirs du petit dernier Jack-Jack (un perso dores et déjà culte), Bob Parr est au bord de la crise de nerfs d’autant qu’il ne rêve qu’au moment où il pourra reprendre son activité de Monsieur Indestructible.
Cette intrication entre vie quotidienne (presque classique compte-tenu de leurs pouvoirs) et missions à haut risque menées par Elastigirl ne sert pas seulement comme relief comique pour dynamiser le récit. Voir ces super-héros dans un environnement et des situations familières instaure une proximité avec le public et la manière dont Brad Bird l’aborde est une façon de montrer comment les super-héros peuvent constituer un modèle pour la grandeur présente en chacun.
Bird a agrandi son terrain de jeu mais également les implications pour sa super famille. Alors que dans le premier film c’était le père qui ressentait le plus durement la mise à l’écart des super-héros qui le condamnait à évoluer dans un environnement étriqué, cette fois-ci, la sensation d’enfermement étreindra tous les membres, ce que Bird formalise en les faisant vivre au départ dans un motel. Le fait que le milliardaire Winston Deavor leur prête sa propriété le temps de l’opération réhabilitation menée par Helen ne sera pas une fin en soi. Car, si cette maison spacieuse leur apporte une bouffée d’oxygène salvatrice, elle les maintient à l’écart, les isole de la population et renforce leur statut de divinité inaccessible.
Le précédent film de Brad Bird, A La Poursuite de demain au travers de la cité de Tomorrowland.où était réunie une élite triée sur le volet des plus grands créateurs de leur temps, faisait écho aux théories objectivistes de la romancière et philosophe Ayn Rand qui inspirèrent les néolibéraux américains (l’individu à la base de toute morale, partisane du laissez faire et opposée à toute forme de collectivisme, nécessité de ne pas se perdre dans ses émotions mais se soumettre à la Raison…). Une doctrine libertarienne notamment formulée au travers de son roman La Grève (Atlas Shrugged en V.O) où l’élite des esprits les plus créateurs du monde, menée par le mystérieux John Galt, se retirait dans un lieu inconnu pour signifier leur mécontentement et surtout hostilité au gouvernement accroissant son contrôle sur tous les leviers de la société.
Dès lors, le film de Brad Bird était principalement analysé à l’aune de cette grille de lecture et commença à fleurir des reproches comme quoi cette fiction perpétuerait la vision de Rand en en faisant l’apologie. Ce qui est parfaitement inexact et plus complexe qu’il n’y paraît puisque Bird questionnait plutôt les fondements de ce système de pensée (Nix, le leader de cet Eden autrefois créatif et désormais dévitalisé est l’antagoniste du film et se pare d’une posture mortifère). De même, et quand bien même c’est le scénariste Damon Lindelof qui est responsable de cette structure du récit qui renvoie aux écrits d’Ayn Rand ses films précédents (essentiellement Ratatouille et le premier Les Indestructibles) ont été rétrospectivement (trop hâtivement) revus par le biais de la philosophie randienne. Mais c’est un absolu contresens à ce que Brad Bird développe au sein de sa filmographie. Car bien qu’au travers de ses fictions le cinéaste montre son affection pour des héros qui s’acharnent à lutter contre tout ce qui les empêche d’exprimer leur propre génie, cela n’en fait pas un chantre de l’objectivisme. Oui, cela rappelle la rhétorique des écrits d’Ayn Rand mais, en opposition à l’individualisme forcené, Bird développe une vision progressiste où l’accomplissement personnel adviendra par et pour les autres. A La Poursuite de demain et la reprise du contrôle de Tomorrowland par l’idéaliste et rêveuse Casey en était déjà une sublime illustration que son dernier bijou Les Indestructibles 2 vient remarquablement parachever.
Si le méchant du film a subi quelques séances de réécriture, le résultat est plus que satisfaisant car Bird parvient à en faire un personnage complexe dont les motivations illustrent une fois de plus l’intelligence avec laquelle Brad Bird éprouve les concepts randiens. Si L’Hypnotiseur veut décrédibiliser l’action des supers, c’est parce qu’il les considère comme néfastes pour que l’humanité atteigne son plein potentiel en la maintenant au fond du trou de sa médiocrité.
Mais contrairement à ce qu’il pense, la vénération des supers ne rend pas la masse dépendante de leurs actions. Tout le propos des Indestructibles 2 est de montrer comment ils peuvent trouver leur place dans la communauté pour être une source d’inspiration pour les gens afin qu’ils accomplissent leur propre ascension vers leur destin. Les supers n’étant pas là pour les porter à bout de bras mais pour les rattraper en cas de chute.
Avec cette vision optimiste Les Indestructibles 2 est un magnifique rappel de ce que les super-héros représentent et pourquoi nous les aimons.
Nicolas Zugasti
INCREDIBLES 2
Réalisateur : Brad Bird
Scénario : Brad Bird
Production : Nicole Paradis Grindle, John Lasseter, John Walker
Photo : Mahyar Abousaeaedi & Erik Smitt
Montage : Stephen Schaffer
Bande originale : Michael Giacchino
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h58
Sortie française : 4 juillet 2018