Comme un chien enragé de James Foley présente presque uniquement des personnages introvertis, rigides, froids, écrasés par le destin, affichant des masques qui camouflent d’éventuels sentiments et, pensent-ils, les protègent. Seul le personnage de la jeune femme est lumineux. Le reste est noirceur. Comme un chien enragé commence de nuit, dans une bourgade de Pennsylvanie et s’attarde quelques minutes sur des jeunes adultes de la localité. Tours de voitures, discussions sur les trottoirs, temps serein, rondes amoureuses, le Live to Tell de Madonna en fond sonore. Brad (Sean Penn) rencontre la belle Terry (Mary Stuart Masterson). Le courant passe. Mais, peut-être par bravade, ou par ennui, en tout cas par méconnaissance du piège vers lequel ils se dirigent, Brad et son frère Tommy (Chris Penn) vont bientôt rejoindre leur père, Brad Sr. (Christopher Walken), charismatique chef de gang. Ex-taulard, père absent, psychopathe, ultra-violent, froid comme de l’hydrogène liquide, Brad Sr ne tarde pas à dévoiler son vrai visage. Braquages, vols de voitures, gouroutisation de son équipe, puis exécution de sang-froid d’un indic : le fiston décide de couper les ponts. Ce ne sera pas aisé. Par peur de la délation, le père se déchaîne sur les camarades de son fils et sur Terry. Pour Brad Jr., c’est l’enfer sur terre. Il décide de mettre fin au parcours sanglant de son géniteur.
Dans un scope magnifique et sur des paysages et un rythme évocateurs de Terence Malick, James Foley, un ami de Sean Penn, raconte un drame familial comme il en existe tant aux États-Unis. De ces drames dont se font régulièrement l’écho films TV ou ciné, comme sait le faire un large pan de la littérature américaine. Film de terroir intéressé par les petites gens et leur quotidienneté (cultures, machines agricoles, maisons décaties, torpeur des petites villes), Comme un chien enragé se veut hyperréaliste et sans emphase. Il fait office de champ de tir entre des individus sans conscience ou écorchés vifs, sauvages comme des paysages non domestiqués. L’histoire d’amour entre Terry et Brad est aussi essentielle au récit que l’affrontement entre le père et le fils, bien que la priorité soit portée sur ce dernier.
Si tous les acteurs sont impeccables (on aperçoit le jeune Kiefer Sutherland), si Sean Penn et Mary Stuart Masterson s’ouvrent une voie royale vers le succès, c’est cependant le génial Christopher Walken qui impose, comme son personnage, sa mainmise. Reptilien, il fascine dès qu’il apparaît et continue à peser, menaçant, même lorsqu’il est hors champ. Brad Sr. appartient au monde des ombres, de la nuit, figure tragique et dangereusement irradiante. Walken démontre une fois de plus que, non content d’être un comédien tout terrain, il fait partie des “grands malades” de sa confrérie. Comme John Savage, Brad Dourif, James Woods, Oliver Reed et quelques autres, on sent chez lui, de rôle en rôle, affleurer une folie dont on appréhende qu’elle pourrait exploser n’importe quand, au cœur d’une action évidente comme au détour d’un plan calme.
Scénario brillant, casting haut de gamme et mise en scène mature font que Comme un chien enragé rejoint les grandes œuvres noires de la décennie. Après l’inoffensif Reckless, Foley signe ici et de loin son meilleur film. Il s’attellera ensuite au pitoyable Who’s That Girl avec Madonna, signera une honorable adaptation de Jim Thompson avec La Mort viendra, petite, tournera le formidable Glengarry Glen Ross et permettra la rencontre Marc Whalberg-Chow Yun Fat dans le correct Le Corrupteur.
Le film est ressorti en 2018 par Carlotta Films en Blu-ray/DVD dans une très belle copie restaurée avec en bonus un passionnant entretien de 31 minutes avec le réalisateur James Foley. Donc…
Laurent Hellebé
AT CLOSE RANGE
Réalisateur : James Foley
Scénario : Nicholas Kazan & Elliott Lewitt
Production : John Daly, Derek Gibson, Don Guest, Elliott Lewitt
Photo : Juan Ruiz Anchia
Montage : Howard E. Smith
Musique : Patrick Leonard
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h51
Sortie française : 14 janvier 1987