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Pierre Véry en trois DVD, versions restaurées : Véry Well

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disparus

Et si tout Pierre Véry était dans le concierge de l’internat de Saint-Agil, fabuleux Armand Bernard « extraordinairement angoissé » qui s’inquiète de la disparition d’un élève et d’un morceau de salade ? Dans ce témoignage de l’intérêt qu’un adulte des années trente peut accorder à un enfant ? 

Romancier du siècle dernier souvent adapté à l’écran, parfois par lui-même mais aussi par Jacques Prévert, Charles Spaak et Jacques Becker, poète de l’enfance malheureusement passé à la trappe aujourd’hui, Pierre Véry revient sur le devant de la scène grâce à trois films, trois merveilleux films à nouveau disponibles dans de très belles copies : Les disparus de Saint-Agil, L’assassinat du père Noël et Goupi Mains Rouges.

À trop vouloir foncer sur des lignes droites, on en oublie parfois de regarder dans le rétroviseur ou de s’apercevoir qu’il existe des chemins de traverse. Ces trois grands films français restaurés par Pathé en DVD et Blu-ray appartiennent à l’une et l’autre des habitudes qui n’ont plus cours : ils font partie du passé — et d’un glorieux passé cinématographique. Et ne figurent pas tous, à tort, dans les manuels d’histoire du septième art.

Dans l’univers de Pierre Véry, on retrouve souvent des pensionnats où des enfants, qui sont la pierre angulaire des films tirés de son œuvre, vivent leurs propres drames à l’insu des adultes. Qui a déjà vu Les disparus de Saint-Agil ne peut oublier ses Chiche-Capons, cette société secrète enfantine qui, cachée dans un monde adulte trop dur pour eux, leur permet de rêver d’Amérique. Les enfants sont souvent au cœur de nombreux films adaptés de Véry ou scénarisés par lui : Saint-Agil (1938, Christian-Jaque) et sa « suite », Les anciens de Saint-Loup (1950, Georges Lampin), L’enfer des anges (encore Christian-Jaque, tourné en 1939 et sorti en 1941), L’assassinat du père Noël (1941, toujours Christian-Jaque)… Quant aux adultes, leurs qualités et défauts s’entremêlent étroitement. Ainsi, dans Goupi Mains Rouges (1943), la galerie de personnages est tout bonnement étonnante. On se croirait dans Ces gens-là de Brel. Et pourtant, malgré toutes ces tares et tous ces vices qui remontent peu à peu à la surface, tous ces paysans-là sont terriblement attachants, habités extraordinairement, pour reprendre l’adverbe cher au concierge de Saint-Agil, par des acteurs formidables.

 

goupi

 

D’abord, d’abord y’a l’aîné mais alors le grand aîné, le centenaire, celui qui sait encore son nom et, surtout, où est caché le magot familial que toute sa nombreuse descendance recherche avidement. Dans cette famille Goupi, tous les membres sont nommés par leur surnom : L’Empereur, le plus vieux (Maurice Schutz) qui a connu Napoléon, La Loi (Guy Favières) qui a été gendarme, Mes Sous le radin (Arthur Devère), Cancan la bavarde (Marcelle Hainia), Tisane qui a dû verser du venin dans ses préparations (Germaine Kerjean), Muguet la toute fraîche (Blanchette Brunoy), Tonkin le colonial frappé de fièvre exotique (Robert Le Vigan), Dicton le sentencieux (René Génin), Monsieur le fils revenu (Georges Rollin) et Mains Rouges (Fernand Ledoux), le plus intéressant, inquiétant, intelligent, digne de donner son sobriquet au roman et au film.

On pourrait faire de même avec Les disparus ou L’assassinat du père Noël : chez Véry, les personnages sont sans doute tout aussi intéressants que la trame qui les fait s’agiter. Le récit peut être un prétexte à la description de ces fortes personnalités, mais il est pourtant bien présent, un réel fil conducteur qui met en valeur les aspérités, les caractères, les forces et les vélléités.

Résumons en quelques mots les trois scénarios : dans Les disparus de Saint-Agil, un enfant disparaît d’un pensionnat et ses amis décident de partir à sa recherche. Dans L’assassinat du père Noël, un meurtre et un anneau volé vont mettre en émoi un petit village savoyard. Dans Goupi Mains Rouges, le retour à la ferme du fils, parti depuis longtemps à Paris, ponctué là encore d’un meurtre, est l’occasion d’un portrait sans fard, en pleine Révolution nationale pétainiste, d’une catégorie sociale peu représentée dans le cinéma : les paysans.

Les disparus de Saint-Agil met donc face à face deux mondes, celui des enfants empli d’espérances, de frayeurs et d’innocence, et celui des adultes, aux rêves de grandeur déçus. Là, c’est plutôt la détestation, les moqueries, les jalousies qui règnent. Et les mesquineries entre « bons Français » et « étrangers », reflet souligné avec justesse par Prévert de l’état d’esprit de la France d’avant-guerre. Et voir Michel Simon, prof de dessin ivre, s’en prendre à Erich von Stroheim, le prof d’anglais, est un régal. Les enfants sont également présents dans L’assassinat du père Noël. Ils représentent encore l’innocence qui trouve un écho dans le personnage adulte de Renée Faure, la fille de l’horloger Harry Baur qui se déguise tous les ans en père Noël. Outre la richesse de l’interprétation, le film propose des séquences inoubliables, celle du bal où tout virevolte autour de Renée Faure, les paysages enneigés qui recouvrent tout de blanc mais ne parviennent à cacher la noirceur, la course finale…

Il est d’ailleurs amusant, plus de soixante-dix ans après, d’essayer de lire entre les lignes. Dans ce film tourné à la Continental, la fameuse firme allemande sous la bannière de laquelle furent tournés plusieurs chefs-d’œuvre de l’occupation, Renée Faure est promise à l’instituteur Robert Le Vigan mais tombe sous le charme de l’aristocratique Raymond Rouleau. C’est ce qui se passe pendant le tournage. Mariée, Renée Faure est séduite par son metteur en scène qui l’épousera quelques années plus tard.

 

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L’inscription dans la salle de classe de L’assassinat du père Noël, en dessous de l’horloge, pourrait caractériser toute l’œuvre de Pierre Véry : « Le temps perdu ne se rattrape jamais ». Mais est-ce perdre son temps que rêver ? Car les héros de l’écrivain sont souvent des rêveurs, de l’Amérique de Saint-Agil aux Chinois du Père Noël. Une fois devenu grand, l’enfant s’aperçoit que tout cela n’était que faribole mais, à l’instar de Raymond Rouleau dans L’assassinat du père Noël, il peut courir le monde à la recherche de ses rêves.

Deux cinéastes signent ces trois adaptations de Véry. Souvent qualifié d’honnête artisan, Christian-Jaque met dans Saint-Agil et L’assassinat du père Noël toutes les qualités de son côté et s’octroie plusieurs véritables morceaux de bravoure. L’apport de Jacques Becker est tout autre. Longtemps assistant de Renoir, il n’a à cette époque réalisé que deux moyens-métrages et un premier long l’année précédente, Dernier atout. Goupi est son premier grand film à faire date. L’ambiance créée par ce fourmillement de personnages dont on ne sait pas trop, au début, qui ils sont vraiment et quels liens de parenté ils partagent prouve la maîtrise du jeune cinéaste (il a alors 37 ans). Maîtrise qui se prolonge dans la direction d’acteurs. Avoir un tel casting et ne pas se contenter de filmer des numéros d’acteurs, donner du sens à leurs habitudes, à leurs tics — et des interprètes tels que Le Vigan, Ledoux ou Devère, qui connaissent parfaitement leur métier, n’en sont pas dépourvus — et les récupérer au profit de l’intrigue, voilà bien des qualités qui méritent d’être relevées.

 

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Robert Le Vigan et Fernand Ledoux dans « Goupi Mains Rouges »

 

Un dernier mot sur Robert Le Vigan, présent dans les trois films. Inquiétant dans Les disparus, amoureux transi dans L’assassinat et Goupi, Le Vigan a toujours su profiter de cette folie qui l’habitait, qui perçait dans son regard, pour donner à ses personnages une dimension impressionnante. La face noire de cet excellent acteur s’incarne dans les discours antisémites qu’il aboyait sur Radio Paris. Interprète de tous les grands cinéastes de son époque, de gauche comme de droite, résistants ou collabos, La Vigue  ainsi que le surnomme son grand ami Céline dans les trois romans qui content leur fuite chaotique à travers l’Allemagne bombardée, s’échappe donc à Sigmaringen. Il sera emprisonné avant de s’exiler en Argentine. Sans jamais vouloir rentrer au pays, malgré les exhortations du milieu cinématographique, y compris celles de François Truffaut.

Le temps a passé, bien sûr. Le cinéma a évolué et il est certain que les films contemporains n’ont plus rien à voir avec cette période d’avant-guerre et d’occupation. Pourtant, il subsiste ça et là des perles qui ont marqué non seulement leur époque mais celles qui ont suivi, qui ont suscité parions-le des vocations et qui demeurent aujourd’hui tout autant des témoignages d’une époque révolue que d’excellents exemples du savoir-faire de nos aînés.

Jean-Charles Lemeunier

Les disparus de Saint-Agil

Année : 1938

Réalisateur : Christian-Jaque

Scénario : Jean-Henri Blanchon d’après Pierre Véry

Dialogues : Jacques Prévert (non crédité)

Photo : Marcel Lucien

Musique : Henri Verdun

Montage : Claude Nicole, William Barache

Production : Dimeco Productions

Durée : 100 minutes

Avec Serge Grave, Marcel Mouloudji, Jean Claudio, Erich von Stroheim, Michel Simon, Robert Le Vigan, Aimé Clariond, Armand Bernard, René Génin et, parmi les élèves, Charles Aznavour, Serge Reggiani, Robert Rollis

L’assassinat du père Noël

Année : 1941

Réalisateur : Christian-Jaque

Scénario : Pierre Véry, Charles Spaak d’après Pierre Véry

Photo : Armand Thirard

Musique : Henri Verdun

Montage : René Le Hénaff

Production : Continental Films

Durée : 105 minutes

Avec Harry Baur, Raymond Rouleau, Renée Faure, Marie-Hélène Dasté, Robert Le Vigan, Fernand Ledoux, Jean Brochard, Jean Parédès, Héléna Manson, Arthur Devère, Marcel Pérès, Georges Chamarat, Bernard Blier

Goupi Mains Rouges

Année : 1943

Réalisateur : Jacques Becker

Scénario : Pierre Véry, Jacques Becker d’après Pierre Véry

Photo : Jean Bourgoin, Pierre Montazel

Musique : Jean Alfaro

Montage : Marguerite Renoir

Production : Minerva

Durée : 104 minutes

Avec Fernand Ledoux, Robert Le Vigan, Georges Rollin, Blanchette Brunoy, Arthur Devère, Germaine Kerjean, Maurice Schutz, Guy Favières, Marcelle Hainia, René Génin, Albert Rémy, Line Noro, Marcel Pérès, Louis Seigner

Trois films en versions restaurées DVD et Blu-ray édités par Pathé le 16 décembre 2015

 



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