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« Un flic sur le toit » de Bo Widerberg : Un regard critique sur la société suédoise

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Un flic sur le toit (1976), le film du Suédois Bo Widerberg qui ressort en salles le 18 septembre, s’ouvre sur un meurtre à l’arme blanche où le sang coule à flot. Mais nous ne sommes pas dans un giallo. Pas non plus dans un polar américain, dont il pourrait utiliser certains éléments. Ainsi, dans Magnum Force (1973), deuxième aventure de l’Inspecteur Harry, Clint Eastwood se bat contre des flics encore plus fachos que son personnage. Dans Un flic sur le toit, Widerberg critique lui aussi les méthodes policières d’une manière plus corrosive encore.

Max von Sydow et Erland Josephson mis à part, on ne connaît guère les acteurs suédois de cette époque. En confiant le rôle du commissaire Beck à Carl Gustav Lindstedt, visiblement Bo Widerberg prend un risque. C’est en tout cas ce qu’explique dans un bonus Maj Sjöwall, auteure avec Per Wahlöö de L’abominable homme de Säffle, le roman dont est tiré le film, à propos de l’interprète de son héros récurrent. Inconnu chez nous, Lindstedt reste célèbre dans son pays pour les comédies dans lesquelles il a joué.

 

Carl Gustaf Lindstedt

 

Mais Widerberg va beaucoup plus loin en plongeant sa caméra au cœur d’un commissariat. Il est question d’une personne enfermée six heures pour avoir manifesté. On entend un policier dire : « Personne n’a jamais raison contre un flic. » Et l’un des sommets du film est la description minutieuse, par le commissaire, du travail d’un flic : se parjurer, faire un faux rapport en toute légalité, tabasser un prévenu, se garer où on veut quand on veut, cogner un type qu’on embarque au violon… On entend aussi : « Tu n’as pas tué de grévistes au sabre, dans le temps ? Ton cheval n’a jamais piétiné des étudiants ? »

Le cinéaste ne signe pas pour autant un film complètement à charge. Le flic incriminé répond en parlant « des crachats, des pendus qu’on décroche, des cadavres pourris dans lesquels on farfouille, des gosses qu’on doit changer devant leur mère ivre morte… »

Si la police reste la cible principale du film, elle est aussi celle du tueur. À travers un récit qui pourrait sembler traditionnel — la traque d’un criminel par deux fonctionnaires de police qui n’ont pas du tout l’allure des détectives du cinéma américain —, Widerberg s’en prend à la société suédoise sociale-démocrate et à la manière qu’elle a d’assurer la sécurité de ses citoyens.

 

 

En donnant de l’importance et de l’humanité à tous ses personnages, le cinéaste ne perd pas pour autant de vue le modèle américain. Il sait filmer l’action, sait aussi — et cela ne se voit que rarement à Hollywood — insuffler la réalité au cœur de cette action. Ainsi, lorsque le commissaire vieux et bedonnant doit accomplir un exploit physique.

On dit que dans une rue de Stockholm, une plaque cite le roman L’abominable homme de Säffle : « Dans l’immeuble au 34 Dalagatan se trouve un forcené qui tire du toit ou du dernier étage avec une arme automatique. Nous avons deux hommes à terre devant l’Institut Eastman. Lance l’alarme dans tout le centre ville. » Widerberg, lui, a lancé l’alarme au-delà du centre-ville et de la Suède, sur le regard critique que l’on doit avoir face à l’autorité.

 

 

Spécialisée dans les cinématographies moins connues (tchèque, suédoise, hongroise, géorgienne, etc.), la société Malavida Films a déjà édité plusieurs films de Bo Widerberg en DVD : Le péché suédois (1963), Le quartier du corbeau (1963), Amour 65 (1965), Elvira Madigan (1967), Adalen 31 (1969), Joe Hill (1971), Un flic sur le toit (1976), L’homme de Majorque (1984), Le chemin du serpent (1986) et La beauté des choses (1995). Après 2014 et 2015, où une première salve de films de Widerberg était à nouveau disponible sur grand écran, Malavida remet le couvert avec Un flic sur le toit et, en début d’année prochaine, La beauté des choses. Et on ne peut que les en féliciter. Grâce au travail opiniâtre de quelques-uns, les grands cinéastes ne meurent pas tout à fait.

Jean-Charles Lemeunier

Un flic sur le toit
Titre original : Mannen på taket
Année : 1976
Réal. et scén. : Bo Widerberg
d’après le roman de Maj Sjöwall et Per Wahlöö
Photo : Per Källberg
Musique : Bjorn Jason Lindh
Montage : Sylvia Ingemarsson, Bo Widerberg
Durée : 110 min
Avec Carl Gustav Lindstedt, Thomas Hellberg, Sven Wollter, Håkan Serner…

Sortie au cinéma le 18 septembre 2018 par Malavida Films


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