Projeté au dernier festival Lumière de Lyon, L’incinérateur de cadavres de Juraj Herz ressort en salles ce 20 novembre. Et c’est une sacrée bonne nouvelle !
Ce film tchèque de 1969, au noir et blanc impeccable, a pour personnage principal un curieux monsieur, incinérateur de cadavres de son état, comme le titre l’indique. Peut-être qu’avant de parler de l’histoire, tirée d’un roman de Ladislav Fuks paru deux ans plus tôt, il convient de mentionner l’acteur principal. Rudolf Hrušínský est vraiment génial. On ne sait jamais ce que pense et ressent ce petit bonhomme rondouillard à la frange hitlérienne, dont les gestes déplacés, la mine chafouine, les sourires, les achats — des tableaux de femmes nues ou de papillons épinglés — le rendent d’autant plus suspect. Le gars ne vit que pour son métier : incinérer les cadavres, c’est pour lui libérer leurs âmes. Aussi, lorsqu’un de ses amis vient lui parler du nazisme, le « brave » Hrušínský qui porte dans le film un nom tout aussi imprononçable pour nous (M. Kopfrkingl) voit sa vie aborder un virage nouveau.
Le film s’ouvre sur la rencontre au zoo, avec de nombreux gros plans passant de l’œil de Kopfrkingl à celui d’un rhinocéros ou d’un crocodile, du héros avec sa future femme (Vlasta Chramostová). La force de Juraj Herz est de ne pas situer l’époque immédiatement. Le cinéaste joue avec les plans incongrus : plongées filmées de très près où les visages sont déformés, reflets dans des miroirs ou fluidité dans le passage d’une séquence à l’autre. Ainsi, une phrase commencée dans une scène s’adresse en fait à un personnage qui apparaît dans la scène suivante. Un des principaux thèmes du film, le nazisme, n’intervient qu’au bout de plusieurs minutes.
Nous comprenons alors que l’action se déroule juste avant le début de la Seconde guerre mondiale et que certains Tchécoslovaques, affirmant qu’ils ont du sang allemand, se rangent du côté des hitlériens. Ces personnages peu recommandables, au discours tranché, raciste et radical, sont constamment filmés dans des cabarets, buvant du champagne et profitant des faveurs de prostituées. De quoi tourner la tête à M. Kopfrkingl, qui rêve de l’hégémonie de son travail d’incinérateur. Et quand la question juive se pose, elle n’est finalement pour Kopfrkingl qu’un bon moyen de se débarrasser de tous ceux qui le gênent.
Le film est fascinant, jouant sur le terrain du malsain et jouissant d’une mise en scène virtuose et baroque. Herz n’écarte ni l’humour (noir) ni le cynisme — il n’y a qu’à voir les visions bouddhisto-farfelues de Kopfrkingl. Cet Incinérateur est d’autant plus captivant qu’il provient d’un monde — à l’époque, on disait « derrière le Rideau de fer » — dont on connaît moins bien les ressorts, les façons de procéder et de raconter, avec des acteurs inconnus pour nous. Le seul nom que l’on relève au générique est celui de Jiri Menzel, grand cinéaste praguois de la Nouvelle Vague tchèque, qui joue ici le rôle d’un employé de la morgue. Inutile de préciser que le film n’eut pas les faveurs de la censure et, qu’après avoir été coupé, il fut interdit jusqu’à sa redécouverte en 1989.
Jean-Charles Lemeunier
L’incinérateur de cadavres
Année : 1969
Origine : Tchécoslovaquie
Titre original : Spalovač mrtvol
Réal. : Juraj Herz
Scén. : Ladislav Fuks, Juraj Herz d’après le roman de Ladislav Fuks
Photo : Stanislav Milota
Musique : Zdenek Liska
Avec Rudolf Hrušínský, Vlasta Chramostová, Ilja Prachar, Jiri Menzel…
Sortie en salles par Malavida le 20 novembre 2019.
Le film est projeté au festival d’Arras en avant-première les 12, 14 et 15 novembre 2019.