Les amateurs de films d’exploitation américains des années 80 peuvent se réjouir. Le Chat qui fume sort deux DVD/Blu-ray signés William Lustig : Maniac (1980, dont un remake a été réalisé en 2012 par Franck Khalfoun) et Vigilante (1983). Deux films nerveux, qui ne s’embarrassent pas de scrupules, faits pour plaire aux nombreux bas de plafond et adeptes des armes à feu que compte la terre de l’Oncle Sam. Et, curieusement, faits pour plaire aussi à un public plus cinéphile, amateur de ces films d’action à petits budgets des années 80, peuplés d’acteurs que l’on apprécie. Citons Joe Spinell et Caroline Munro pour Maniac ; Robert Forster (l’un des héros de Jackie Brown, décédé le 11 octobre dernier), Fred Williamson et Woody Strode pour Vigilante (avec encore Spinell faisant une brève apparition).
Quel drôle de loustic que ce Bill Lustig. Neveu du boxeur Jake La Motta, dont Scorsese a retracé la carrière dans Raging Bull, ce natif du Bronx va forger sa cinéphilie en écumant les petits cinémas grindhouse de la 42e rue. Il travaille ensuite dans un cinéma de Fort Lee (New Jersey) et se vante d’avoir vu 70 fois le Deliverance de Boorman. Fort Lee qui, cela dit en passant, est dès 1910 le principal concurrent de Hollywood en matière de production de films. C’est là que travaillent quelques Français exilés aux États-Unis : Alice Guy, Émile Cohl, Maurice Tourneur, Émile Chautard, etc.
Mais revenons à Lustig. Il parvient à entrer dans les milieux du cinéma et devient assistant de production sur des films érotiques (Hypnorotica en 1973) et, la même année, sur The Seven-Ups (Police puissance 7) de Philip D’Antoni. L’année suivante, il donne un coup de main sur le montage de Death Wish (Un justicier dans la ville) de Michael Winner, prototype des films de vigilantes. Puis il réalise deux pornos en 1977 et 1978, The Violation of Claudia et Hot Honey, sous le pseudo de Billy Bagg. Autant dire que ses deux prochains films, Maniac et Vigilante, sont d’un style totalement nouveau pour lui en matière de mise en scène. En ce qui concerne leurs sujets respectifs, ils ont sans doute été autant influencés par tous ces films d’exploitation ingurgités par Lustig que par The Seven-Ups ou Death Wish.
Ceux qui, en 1980, ont vu le Pulsions de De Palma y ont forcément pensé chaque fois qu’ils ont pris le métro new-yorkais. Le film est sorti aux États-Unis le 25 juillet et, six mois après, Bill Lustig remet une couche avec Maniac, sorti lui le 30 janvier 1981 à New York. Et le meurtre filmé par Lustig dans les toilettes du métro new-yorkais a de quoi vous décider à utiliser n’importe quel autre moyen de transport.
Le grand atout du film, qui se regarde encore aujourd’hui avec beaucoup d’intérêt, est son aspect glauque et poisseux. Et son interprète principal, Joe Spinell. Avec ses bajoues, ses cheveux longs et gras, sa petite moustache et son regard allumé, l’acteur a de quoi vous faire flipper. C’est d’ailleurs l’un des grands changements dans le remake tourné en 2012, dans lequel Spinell est remplacé par le jeune Elijah Wood, qui tente ainsi de se débarrasser du rôle de Frodo Baggins (Frodon Sacquet dans la v.f.) qui lui colle vraiment à la peau. On pense au changement opéré sur le personnage de Norman Bates, entre le bouquin de Robert Bloch et le film d’Alfred Hitchcock. Autant Bloch le décrit comme un type obèse ayant une quarantaine d’années, autant Hitchcock lui donne la grâce juvénile d’Anthony Perkins. Perkins étant au Norman Bates de Robert Bloch ce que Elijah Wood est à Joe Spinell.
Vigilante assume lui aussi ce côté film d’exploitation de série B. Les méchants sont très méchants. Ce sont de jeunes hippies aux allures de révolutionnaires — Willie Colon apparaît comme une sorte d’ersatz de Che Guevara — d’ailleurs pas si jeunes que ça : Don Blakely (Prago) a déjà à l’époque 44 ans et Willie Colon (Rico) 32. Ces gars font régner la terreur dans les rues, ce qui énerve pas mal un groupe d’amis qui décident de faire justice eux-mêmes, puisque les juges et la police n’agissent plus. Sur ce thème réac, Lustig se paie quelques petits détours, comme cette thématique allant dans le sens du politiquement correct, annoncée par Robert Forster : la société ne pourrait plus fonctionner si tout le monde se baladait armé et faisait justice soi-même. Ben voyons. Conviction vite abandonnée par Forster lui-même lorsque, dégoûté par la bêtise d’un juge qui l’a injustement envoyé en prison, il va prendre son destin en mains… et les armes aussi.
Ce genre de films, comme aussi Les chiens de paille (1971) ou Midnight Express (1978), vous font basculer forcément du côté des héros et donc justifient leurs débordements. Ils ne s’embarrassent pas de psychologisme à outrance et c’est sans doute aussi pour cela qu’ils restent plaisants à regarder, même si politiquement très limites.
Accompagnant les deux films de Lustig, un ouvrage de Julien Sévéon intitulé Maniac, plongée mortelle dans le New York des 70’s est également sorti chez Le Chat qui fume qui, décidément, ne fait jamais les choses à moitié.
Jean-Charles Lemeunier
Vigilante de William Lustig, sorti en DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume le 1er novembre 2019.
Maniac de William Lustig sortis en DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume le 1er décembre 2019.
Maniac, plongée mortelle dans le New York des 70’s de Julien Sévéon, sorti par Le Chat qui fume le 1er novembre 2019.