Celui qui a un jour osé déclarer que la curiosité était un vilain défaut ne connaissait forcément pas la collection de DVD/Blu-rays Make My Day, disponible chez Studio Canal et, depuis peu, en VOD sur la plateforme UniversCiné à un prix plus que raisonnable (0,99 euros le film). Nous l’avons déjà un peu évoquée dans ces colonnes à propos de Folle à tuer.
Qu’est-ce que Make My Day, cette série de plus d’une vingtaine de films initiée par le critique Jean-Baptiste Thoret ? Sortis entre 1963 et 1994, ceux-là ont été réalisés par de grands auteurs ou quelques sous-fifres de la série B et ont des qualités certaines dont la rareté n’est pas la moindre. Car, il faut bien le dire, toutes ces œuvres étaient peu ou prou tombées dans les oubliettes et devenues très difficiles à voir. En feuilletant ce catalogue, ne soyons pas étonnés de trouver des noms très célèbres et de toutes provenances : les Italiens Mario Bava, Francesco Rosi, Elio Petri ou Damiano Damiani ; les Français Alain Corneau, Georges Lautner, Philippe Labro, Bertrand Blier ou Yves Boisset ; les Américains Richard Fleischer, Peter Bogdanovich, Walter Hill ou Kathryn Bigelow ; les Anglais Terence Young, Michael Winner ou John Schlesinger ; le Japonais Nagisa Oshima, etc.
Entendons-nous bien. Ces films, et Thoret lui-même serait d’accord sur ce point, ne sont pas tous des chefs-d’œuvre mais des curiosités. Des curiosités ancrées dans une époque, avec des façons de mener un récit typiques de ces années-là. Des rapprochements de noms incroyables. Un face-à-face Jean Carmet-Lee Marvin ? Oui, dans Canicule. Rita Hayworth dirigée par Georges Lautner sur une musique du regretté Christophe ? Bien sûr, dans La route de Salina. Un film évoquant l’assassinat de Kennedy et interprété, accrochez-vous, par Jeff Bridges, Anthony Perkins, John Huston, Eli Wallach, Sterling Hayden, Dorothy Malone, Tomas Milian, Toshiro Mifune, Richard Boone et Elizabeth Taylor ? Ce sera Winter Kills.
D’autres sont de véritables révélations. Pour ne citer qu’un exemple, je prendrai France, société anonyme (1974) d’Alain Corneau, curieusement dédié « à la mémoire de Jayne Mansfield ».
Longtemps assistant-réalisateur, Corneau passe à la mise en scène avec ce premier film qui n’a strictement rien à voir avec ce qu’il signera par la suite. Difficile en effet de trouver la moindre ressemblance entre France, société anonyme et ce que seront Police Python 357 (1976), Série noire (1979), Fort Saganne (1984), Tous les matins du monde (1991) ou Stupeur et tremblements (2002), pour ne citer que quelques films de Corneau. C’est à peine si le décor froid d’usine, de chantier ou de tours d’affaires de France, société anonyme peut renvoyer à celui de Série noire.
Longtemps étriqué dans sa Qualité française puis coincé aussi par la Nouvelle Vague, le cinéma français des années soixante-dix cherche à se diversifier. Cela va donner des films aussi improbables ou difficilement étiquetables que L’an 01 (1973) de Jacques Doillon, Themroc (1973) de Claude Faraldo, Calmos (1976) de Bertrand Blier ou ce France, société anonyme. Et si l’on ne peut apposer d’étiquette au film d’Alain Corneau, c’est qu’on a du mal à le situer dans une catégorie. Il aborde tout à la fois la science-fiction (l’action démarre le 22.02.2022 avant un retour en arrière dans les années soixante-dix), le polar, le brûlot politique subversif, la comédie déjantée, le tout assorti d’une musique de Louisiane due à Clifton Chenier correspondant peu aux images qu’elle accompagne. Une musique qui, d’ailleurs, fait souvent le lien d’une séquence à l’autre. Autant dire que, bingo, nous touchons du doigt l’un des grands attraits de Make My Day : le bizarre. L’incongru.
Parce qu’enfin, a-t-on déjà vu dans un polar sur fond de trafic de drogues un porte-flingue aussi baltringue que celui joué par le génial Roland Dubillard, capable de porter des palmes chez lui ? Ou un chef mafieux interprété par le grand Michel Bouquet avoir du mal à ouvrir la portière de sa voiture ? Ce genre de détails enrichit le film. A-t-on déjà vu aussi, une fois que la drogue a été légalisée (c’est l’un des sujets de France, société anonyme), une famille française moyenne, à table devant sa télé, se passer un joint ? Qui, en plus, regarde une speakerine seins nus présenter un programme plus ou moins pornographique ?
Politique, Corneau l’est largement, qui filme des décors de parkings souterrains dont les murs sont couverts de graffiti à la gloire de l’extrême droite. Qui nous fait entendre des phrases telles que « L’agressivité est à la portée de tous », « Le trafic (de drogue) peut être aussi une vocation », « La télévision, c’est pour les cons » ou « Walt Disney a dit avant de mourir que la politique de demain tiendrait en deux mots : interdire, permettre. Ceux sont les faibles qui interdisent ». Et que dire de cette ligne de dialogue énoncée par Jacques Rispal : « Timothy Leary a dit : le LSD est l’hostie des temps modernes » ?
Voilà sans doute le mot juste qui vient à l’esprit après la vision d’un tel métrage : la découverte. Oui, le plaisir est certain à découvrir tous ces films. C’est d’ailleurs la traduction de l’expression Make My Day, entendue dans la bouche de Clint Eastwood dans Inspecteur Harry : Fais-moi plaisir. Et bien, écoutons-le, et faisons-nous plaisir.
Jean-Charles Lemeunier
Les films de la collection Make My Day :
Hitler… connais pas (1963, Bertrand Blier)
Il maestro di Vigevano (1963, Elio Petri)
West 11 (1963, Michael Winner)
Sei donne per l’assassino (1964, Six femmes pour l’assassin, Mario Bava)
Il momento della verita (1965, Le moment de vérité, Francesco Rosi)
Il giorno della civetta (1967, La mafia fait la loi, Damiano Damiani)
La morte ha fatto l’uovo (1968, La mort a pondu un œuf, Giulio Questi)
And Soon the Darkness (1970, Robert Fuest)
Cold Sweat (1970, De la part des copains, Terence Young)
La route de Salina (1970, Georges Lautner)
Fright (1971, Thriller, Peter Collinson)
Sans mobile apparent (1971, Philippe Labro)
France, société anonyme (1974, Alain Corneau)
Folle à tuer (1975, Yves Boisset)
Mandingo (1975, Richard Fleischer)
Nickelodeon (1976, Peter Bogdanovich)
Winter Kills (1979, William Richert)
Honky Tonk Freeway (1981, John Schlesinger)
Road Games (1981, Déviation mortelle, Richard Franklin)
Vice Squad (1982, La descente aux enfers, Gary Sherman)
Canicule (1984, Yves Boisset)
Max mon amour (1986, Nagisa Oshima)
Extreme Prejudice (1987, Extrême préjudice, Walter Hill)
Near Dark (1987, Aux frontières de l’aube ; Kathryn Bigelow)
En toute innocence (1988, Alain Jessua)
L’ange noir (1994, Jean-Claude Brisseau)
Ces films sont disponibles en DVD/Blu-rays chez Studio Canal et en VOD sur UniversCiné.