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« Backtrack » de Dennis Hopper : Dennis vs Alan

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Quelle bonne surprise, grâce à Carlotta, de pouvoir enfin savourer Backtrack (titré aussi Catchfire), un film qu’on avait pu voir au cinéma que dans une version charcutée. Et quel bonheur de voir réapparaître le nom de Dennis Hopper en tant que réalisateur, en lieu et place d’Alan Smithee.


Petite explication. Il est une habitude à Hollywood : dès qu’un cinéaste se sent dépossédé de son œuvre par un producteur, il retire son nom du générique et le remplace par celui d’Allen Smithee. Don Siegel l’a fait dès 1969 avec Une poignée de plombs et il a été suivi par plusieurs de ses confrères — le nom d’emprunt se transformant parfois en Alan Smithee —, jusqu’au moment où Arthur Hiller tourna, en 1997, An Alan Smithee Film : Burn Hollywood Burn. Alan (ou Allen) a ainsi pris la place, au fil du temps, de Michael Ritchie, Sidney Lumet, Richard Sarafian, Floria Sigismondi et, bien sûr, Dennis Hopper.

En 1990, Dennis Hopper réalise et interprète Catchfire mais le film sort dans une version de 98 minutes que renie son auteur. Du coup, il la signe Alan Smithee. Il peut étendre le métrage à 116 minutes pour un Director’s Cut qu’il réserve à une chaîne câblée et qu’il rebaptise Backtrack. C’est de cette version dont on peut profiter sur le Blu-ray de Carlotta, en plus de la version dite « cinéma ».

Autant dire qu’on reste soufflé par la beauté graphique de Backtrack. Vu de France, Dennis Hopper a atteint un statut cultissime grâce à Easy Rider ou The Last Movie, que Carlotta a également ressorti. Il court sur lui tout un tas d’histoires, véridiques ou fausses, qui valent d’être portées à son crédit comme faisant partie de la légende. Laquelle, c’est bien connu, mérite d’être imprimée, davantage que la vérité. Cet ami de James Dean — il fut son partenaire dans La fureur de vivre —, reprit le flambeau du rebelle sans cause avec Easy Rider. Parmi les bruits qui courent à son sujet, on raconte qu’en 1983, on le retrouva nu dans les rues de Cuernavaca, au Mexique, fuyant d’hypothétiques tueurs. Alcool et dope ne font pas toujours bon ménage.

Sept ans plus tard, à l’époque où il tourne Backtrack, Hopper n’est pas à proprement parler rangé des voitures mais il s’est composé un autre personnage. Branché, amateur et collectionneur d’art contemporain. Intellectuel. C’est d’ailleurs cette passion qui nourrit le scénario de son film, qui lui donne chair. L’acteur délaisse le cheveu gras et hirsute, la barbe fournie qu’il portait dans ses deux premières réalisations mais aussi dans Apocalypse Now pour adopter une classe vestimentaire totalement différente.

Dans ce polar arty qu’est Backtrack, Milo (Hopper) est un tueur à gages qui poursuit une artiste contemporaine interprétée par Jodie Foster. Et, à distance, s’éprend d’elle. De là à affirmer que Jodie devient malgré elle la Vénus de Milo, il n’y a qu’un pas que nous franchirons allègrement, soyons fous !

Ce scénario mi-policier mi-romantique se suit avec beaucoup de plaisir, d’autant plus que dans chaque plan, chaque séquence, le cinéaste dissimule des indices qui n’ont rien à voir avec le sujet du film mais qui l’enrichissent. Dans un des bonus, une conversation entre le réalisateur Nick Ebeling et Satya De La Manitou, collaborateur et ami de Hopper, est très enrichissante. En fuite, Jodie Foster se cache dans un cinéma du Nouveau-Mexique. Il s’agit, nous expliquent-ils, d’El Cortez à Taos, où Hopper a tourné une partie de The Last Movie. Jodie découvre une cachette sous les escaliers, dont on distingue mal de quoi elle est remplie. Ce sont en fait les bobines de The Last Movie que Hopper stockait là. On voit encore l’arrière d’un bâtiment : l’église Saint-François-d’Assise, la plus vieille de l’Ouest américain, qui fut représentée en peinture par Georgia O’Keefe. Dans une autre séquence, Bob Dylan découpe du bois et évoque l’artiste Laddie John Dill, « qui travaille le béton ». Suit alors une des répliques du film que Nick Ebeling apprécie entre toutes : « Moi aussi, répond le tueur incarné par Dennis Hopper, j’ai travaillé le béton… Des chaussures ! »


Car, ne l’oublions pas, le sujet est policier et le casting embauché par Hopper est inoubliable : Joe Pesci en chef truand chapeauté par le grand Vincent Price — qui, nous apprennent Ebeling et De La Manitou, a initié Hopper à l’art moderne. Citons encore l’imparable John Turturro et ses chaussures rouges, Dean Stockwell en avocat véreux, Fred Ward en flic, Charlie Sheen en petit copain et encore Julie Adams, l’héroïne de L’étrange créature du lac noir, et le déjà cité Bob Dylan dans un caméo. Et, tout aussi importants, les œuvres de l’artiste jouée par Jodie Foster qui ponctuent tout le film, série de panneaux lumineux (dus à Jenny Holzer) où défilent des phrases telles que « Le meurtre a un côté sexuel », « Les hommes ne sont pas monogames » ou « Même votre famille peut vous trahir ».



On voit que c’est dans ce genre de détails que Backtrack trouve toute sa profondeur. Jodie Foster lit D.H. Lawrence. Plus tard, à Taos, Dennis Hopper croise une cérémonie folklorique indienne et des pénitents qui font brûler un grand mannequin. « C’est quoi ? » demande Hopper. Crédité au générique D.H. Lawrence, le cinéaste Alex Cox passe et répond, en montrant le Burning Man : « C’est nous ! » Que faut-il en conclure ? Qu’écartelée entre ses origines (les Amérindiens) et ses dérives religieuses (les pénitents), l’Amérique blanche peut être assimilée à cette immense marionnette transformée en bûcher ?

C’est dire si Backtrack se situe bien au-delà du film policier habituel, message artistique d’un homme qui s’est battu pour obtenir le montage final. Un film à voir et revoir, tant il cache et dévoile de richesses. De même que Le jardin des délices, le triptyque de Bosch souvent taxé d’énigmatique et d’ésotérique devant lequel se filme souvent Hopper, présente le paradis, le purgatoire (c’est-à-dire l’humanité pécheresse avant le Déluge) et l’enfer, de même Backtrack qui part de l’enfer (un meurtre) pour parvenir au paradis présente lui aussi plusieurs niveaux de lectures.

Jean-Charles Lemeunier

Backtrack a.k.a. Catchfire

Année : 1990

Origine :États-Unis

Réal. : Dennis Hopper (Director’s Cut), Alan Smithee (version remontée)

Scén : Rachel Kronstadt Mann, Ann Louise Bardach d’après Rachel Kronstadt Mann

Photo : Edward Lachman

Musique : Michel Colombier, Curt Sobel

Montage : David Rawlins

Durée : 100 min (version cinéma) – 116 min (Director’s Cut)

Avec Jodie Foster, Dennis Hopper, Fred Ward, Joe Pesci, John Turturro, Dean Stockwell, Vincent Price, Julie Adams, Charlie Sheen, Bob Dylan, Catherine Keener…

Sortie par Carlotta en Blu-ray et DVD le 7 juillet 2021.


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