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« Henry, Portrait d’un serial killer » de John McNaughton : À propos d’Henry

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Quand, en 1986, est présenté au festival de Chicago Henry, Portrait of a Serial Killer, le film de John McNaughton fait l’effet d’une bombe. D’un coup de poing asséné en plein plexus. Un de ses chocs dont se souviennent encore ceux qui l’ont vu alors. Aucune sortie n’étant annoncée, le film se balade dans plusieurs festivals — Boston et Telluride en 1989 —, tombe sous le coup de la censure et doit attendre 1990 avant d’atteindre les écrans américains. En France, ce sera en 1991.

Le revoir aujourd’hui en DVD/Blu-ray, grâce à Carlotta, montre que ce portrait d’un serial killer est toujours aussi efficace. Montrés dans toute l’horreur de leur banalité, les meurtres n’en sont que plus perturbants.

La force du film réside dans son manque de moyens. Avec une image mal éclairée, des acteurs inconnus, du grain sur la pellicule, des décors pas du tout hollywoodiens (le tournage a lieu à Chicago), Henry acquiert une authenticité quasi documentaire. Le choix du débutant Michael Rooker, qui fera par la suite une belle carrière, relève du génie. Le jeu tout en sobriété de Rooker peut faire passer le personnage qu’il incarne de sympathique à inquiétant très rapidement et l’on ne sait jamais comment il va réagir aux situations auxquels il est confronté : calmement ou avec violence. À ses côtés, Tracy Arnold et Tom Towles sont tout aussi convaincants.

Notons d’ailleurs que ce dernier avait débuté avec l’Organic Theater Company, troupe théâtrale de Madison, Wisconsin, et que c’est sans doute là qu’il connut Richard Fire, le scénariste de Henry, Portrait of Serial Killer. Fire était alors acteur et le directeur de la compagnie n’était autre que Stuart Gordon, futur réalisateur de Re-Animator.

Le film est basé sur le parcours meurtrier de Henry Lee Lucas, qui affirma avoir tué, au cours de ses nombreux interrogatoires en 1983, quelque 600 personnes. Que raconte Henry, sinon l’Amérique des années quatre-vingt ? Une sœur en perdition qui vient se réfugier chez son frère, lequel sort de prison. Un colocataire qui l’attire alors que, dès le début, on nous apprend qu’il aime tuer des jeunes femmes. Et des rapports étranges qui se nouent entre les différents membres du trio où l’on sent que chacun, coincé dans une vie minable, n’a qu’une envie : secouer les chaînes virtuelles et s’éclater selon son humeur. Et l’humeur, à cette époque — et aujourd’hui aussi, ne rêvons pas —, passe par la violence.

Qu’il existe à côté du glamour hollywoodien une réalité beaucoup plus glauque, on le savait. Le cinéma s’y est toujours intéressé, à l’écart des studios. Un film tel que Massacre à la tronçonneuse, dès 1974, a conquis ses lauriers grâce au scandale et à l’effroi qu’il suscita, affirmant qu’il était adapté d’une histoire vraie. Cet exploit de Tobe Hooper concrétisait ce que n’avaient pas réussi à faire auparavant des cinéastes d’exploitation comme Dwain Esper ou Herschell Gordon Lewis, pour ne citer que ces deux-là.

Henry n’est pas pour autant un produit d’exploitation, qui cherche à profiter du goût du public pour une sexualité agressive. C’est au contraire un film d’auteur qui décrit une Amérique violente, où le crime n’est pas le fait d’odieux voyous hystériques tels que les montrent les grands studios. Ici, le criminel est le fameux Boy Next Door — et d’ailleurs, à la même époque que Henry, est sorti The Boys Next Door de Penelope Spheeris au propos tout aussi glaçant.

Un mot sur John McNaughton : avant le portrait du serial killer, le cinéaste s’était déjà intéressé au crime et à sa représentation au cinéma avec une série de documentaires. Curieusement, une fois la gloire acquise avec Henry, McNaughton s’est tourné vers des comédies plus classiques mâtinées de suspense policier (Mad Dog and Glory) et vers des thrillers érotiques très à la mode à la fin des années quatre-vint-dix (Sexcrimes). Mais rien d’aussi fort que ce Henry, Portrait of a Serial Killer, qui s’inscrit dans les mémoires d’une manière tenace. Volontairement, Henry est un film malsain qui décrit une société malsaine. Comme si l’Amérique créait ses propres monstres.

Jean-Charles Lemeunier

Henry, portrait d’un serial killer
Année : 1986
Origine: États-Unis
Titre original : Henry, Portrait of a Serial Killer
Réal. : John McNaughton
Scén. : Richard Fire, John McNaughton
Photo : Charlie Lieberman
Musique : Ken Hale, Steven A. Jones, Robert McNaughton
Montage : Elena Maganini
Durée : 82 min
Avec Michael Rooker, Tracy Arnold, Tom Towles…

Sortie en DVD/Blu-ray par Carlotta Films le 22 septembre 2021.


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