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Six films de Satyajit Ray : Une fenêtre sur l’Inde

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Il est le cinéaste indien le plus connu et reconnu en Occident, avec une carrière jalonnée de chefs-d’œuvre et de récompenses, qui s’étend de 1955 (Pather Panchali) à 1991 (Agantuk). En proposant six films de Satyajit Ray en coffrets Blu-ray et DVD, Carlotta ouvre une fenêtre sur un cinéma aujourd’hui malheureusement méconnu et oublié, tant ces œuvres ont disparu de la circulation. Et quels films : Mahanagar (1963, La grande ville), Charulata (1964), Kapurush (1965, Le lâche), Mahapurush (1965, Le saint), Nayak (1966, Le héros) et Joi Baba Felunath (1979, Le dieu éléphant). Ce dernier est le seul à être en couleurs. Il s’adresse à un large public comprenant les enfants : le héros en est le détective Feluda, dont Ray a conté les aventures dans une série de nouvelles très prisées des jeunes Indiens.

Le lâche

Contrairement à son contemporain Guru Dutt, maître des films musicaux — chez nous, on connaît surtout les très beaux Assoiffé (1957) et Fleurs de papier (1959) —, Satyajit Ray s’est souvent inspiré dans son œuvre des courants occidentaux, tels que le néo-réalisme. C’est flagrant dans La grande ville. Dans Le héros, le personnage principal est une star de cinéma, lunettes noires sur le nez, qui fait penser aux rôles que tenait Marcello Mastroianni à la même époque, que ce soit dans Vie privée (1962) de Louis Malle ou dans Huit et demi (1963) de Fellini.

La grande ville

Ray a également donné à la femme et à son émancipation une place de choix dans ses films. C’est Charulata qui, dans le film du même nom, se sent délaissée par son mari journaliste et sent naître en elle des sentiments qui l’effraient. C’est l’héroïne de La grande ville qui brave les interdits familiaux et trouve du travail. C’est la femme délaissée dans Le lâche, la journaliste dans Le héros qui, chacune, pensent par elles-mêmes sans dépendre d’un homme.

Charulata

Il existe, chez les personnages de Ray, une double identité. Aussi modernes soient-ils, ils suivent, parfois dans un détail ou deux, la tradition indienne. Telle la journaliste du Héros qui, bien que féministe, a inscrit sur son front le point rouge des hindous. « Êtes-vous célibataire ?, lui demande l’acteur. À moins que vous ne refusiez de porter la raie rouge. » Ou, dans le même film, un protagoniste qui déclare : « C’est l’époque de Marx et Freud. Pas de réincarnation, pas de providence ! »

Le héros

Attardons-nous un instant sur ce film. Le héros est un acteur, Arindam (Uttam Kumar), qui, partant de Calcutta, prend un train à destination de Delhi pour recevoir un prix. Comme il est très connu, les voyageurs qu’il croise lui donnent leur avis sur son métier et sur le cinéma en général. Il est rare que Ray parle ainsi du cinéma — il n’aborde le sujet que par la bande dans Le lâche, dans lequel le personnage principal est scénariste. Dans Le héros, ce sont plutôt des avis négatifs qui sont émis. « Je n’aime pas le cinéma », décrète un vieux journaliste très traditionaliste qui avoue avoir vu Qu’elle était verte ma vallée. « En règle générale, les films sont mauvais ! » Un autre passager juge « incomparables » les films américains avant d’asséner : « Ici, nous ne savons pas nous soucier de la qualité ! Notre devise : produire plus et produire des nullités. »

Si l’acteur semble apprécié de la grande majorité des femmes du compartiment, le spectateur est en droit de se questionner à propos de ses motivations. Arindam fait plusieurs rêves au cours du voyage dont un, hautement symbolique, qui pourrait rappeler celui du Dictateur de Chaplin. Chez l’Américain, Hitler/Hynkel jongle avec la Terre jusqu’à ce qu’elle lui éclate au nez. Ici, Arindam escalade des montagnes de billets de banque et joue avec jusqu’à ce que ceux-là se transforment en sables mouvants et l’engloutissent. Quelles sont alors les motivations de l’acteur ? Seulement l’argent ? Pourtant, au cours d’une des confidences qu’Arindam fait à la journaliste, il raconte comment il a été confronté à un vieil acteur partisan du jeu forcé et théâtral, quand lui prônait une façon de faire que l’autre qualifiait de « hollywoodienne ». Pour Charles Tesson, auteur d’un livre sur Ray et qui apparaît dans un bonus, « Le héros est plus complexe qu’une satire ».

Le saint

Malgré ces thèmes et ces visions « occidentalisées » du pays — son confrère Mrinal Sen a souvent reproché à Ray, tout en reconnaissant son talent, le fait de ne pas décrire la réalité indienne —, les films de Satyajit Ray paraissent exotiques pour un public français. Dans Le saint, il est question d’un « sadhu », un sage qui se révèle être un escroc. Dans Le dieu éléphant, l’action (la recherche d’une statuette du dieu Ganesh) se déroule pendant la Durga puja, fête en l’honneur de la déesse Durga.

Le dieu éléphant

Auteur de ses scénarios et parfois aussi de la musique, s’inspirant avec Charulata du grand écrivain indien Rabindranath Tagore, prix Nobel de littérature 1913, Satyajit Ray est un fin lettré dont les films suivent, selon les propres termes d’Akira Kurosawa, « un flot décontracté ». Ceci pour contrer ceux qui l’accusent de lenteur dans le rythme de ses récits. Il est le grand réalisateur du cinéma indien, même s’il est loin d’être le seul. En tout cas, celui dont les Occidentaux peuvent citer le plus facilement le nom. Avoir la possibilité de découvrir six de ses films mérite donc d’être mentionné et la société Carlotta d’être remerciée pour cette initiative.

Jean-Charles Lemeunier

Coffrets DVD et Blu-ray « Satyajit Ray en six films », sortis par Carlotta le 1er mars 2022.


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