Présenté lors du dernier festival Lumière à Lyon, qui vient de s’achever ce 23 octobre, The Girl in the Fountain est un documentaire qu’Antongiulio Panizzi a consacré à deux actrices : Monica Bellucci et Anita Ekberg. En demandant à la première d’incarner la seconde. Et, bonne nouvelle, Monica Bellucci a accepté de répondre à nos questions.
« Anita Ekberg était une femme nordique, je suis méditerranéenne », remarque Monica Bellucci quand on lui demande pourquoi, dans le film, elle a l’air surprise et émue par la proposition du réalisateur. « C’est pourquoi j’ai cherché des similitudes pour l’interpréter. »

Le film raconte comment, élue Miss Suède en 1950, Anita Ekberg était arrivée aux États-Unis, sans parler un mot d’anglais, pour devenir mannequin. « Cette femme avait des photos qui arrivaient avant elle. Moi-même, je venais du monde de la mode et j’ai dû vivre au début de ma carrière les mêmes a priori. Des portes se ferment quand on n’est connue que par ses photos. J’ai dû accomplir un certain parcours pour accéder à des films. Anita était sûrement douée, elle avait du talent mais tout se passe comme si la beauté était un masque qui vous emprisonne jusqu’à la fin. »

C’est indéniable, Antongiulio Panizzi a eu du flair en proposant à Monica Bellucci d’incarner dans son film Anita Ekberg. Les deux actrices ont beaucoup en commun. Alors Monica se coiffe d’une perruque blonde, pose des lentilles bleues sur ses beaux yeux sombres, doute, apprend les gestes d’Anita, reprend à son compte ses propos, tirés d’interviews. On la voit répéter en cuisinant — et rester totalement glamour — et apprendre à tirer de l’arc. Traquée par les paparazzi, Anita les avait menacés d’un arc pour les faire fuir, blessant même la main de l’un d’entre eux.

« Ce n’est pas un film documentaire, c’est un document sur une époque, reprend Monica Bellucci. Cette femme est arrivée et a voulu casser les codes. Elle était si belle, si indépendante ! Elle reste pour nous un exemple de courage et de liberté. Ce n’est pas le cinéma qui l’a tuée, mais la vie. Comme une Ferrari qu’elle n’a pas su toujours conduire. La scène finale, où je prends l’arc, est une métaphore. L’actrice a appris à se défendre. »
On a tendance à réduire aujourd’hui Anita Ekberg à une seule image : celle de cette splendide femme en robe noire se baignant dans la fontaine de Trevi et appelant Marcello. Bien sûr, Fellini, Mastroianni et La dolce vita ont fait beaucoup pour la reconnaissance internationale de l’actrice. The Girl in the Fountain laisse entendre que, « d’une certaine façon, Fellini la tue parce qu’il l’a fixée dans cette image ».

Monica Bellucci a une autre interprétation. « Anita a cherché à accuser Fellini de cela. Or, lui, l’a filmée jusqu’à la fin. Il y a eu La dolce vita mais aussi Boccace 70 et Intervista. » L’actrice se met alors à évoquer cet « âge biologique » auquel est liée une carrière d’actrice. « À mon âge, on ne pouvait plus travailler depuis longtemps. On disait qu’il ne fallait pas avoir d’enfants, sinon on enlevait l’image de femme désirable. Dans The Girl in the Fountain, je cuisine et, lorsque je sors du théâtre, mon enfant m’attend. C’est la vraie vie ! Alors qu’Anita, même quand elle vivait sa vraie vie, c’était encore une image. Pour ma part, j’ai fait ma vie, j’ai cherché à me protéger, à garder mon jardin secret. On crée quelque chose qui n’existe pas. »
« Une icône est une image figée dans le temps, note encore Monica. Je veux être une comédienne et, si je change dans la vie, je veux aussi changer à l’écran. Aujourd’hui, la femme fatale comme il y en a eu dans les années quarante ou cinquante, n’existe plus. »
Mais, ajoute-t-elle pour Anita Ekberg, « il existe avec elle cette image qui reste pour l’éternité ».
Panizzi l’a bien compris, qui donne comme titre à son film ce qu’il restera à tout jamais d’Anita Ekberg, l’image d’une fille dans la fontaine, alors qu’elle valait beaucoup plus et qu’elle avait, derrière elle, une véritable carrière d’actrice — il en montre d’ailleurs plusieurs extraits. Et l’on peut dire que The Girl in the Fountain consacre Monica Bellucci dans ce double rôle d’icône et d’actrice, puisqu’il la filme au travail et dans la rue, où elle attire les regards.
Jean-Charles Lemeunier
The Girl in the Fountain
Année : 2021
Origine : Italie
Réal. : Antongiulio Panizzi
Scén. : Paola Jacobbi, Camilla Paterno
Photo : Alessandro Chiodo
Musique : Max Casacci
Durée : 80 min
Avec Monica Bellucci, Eric Alexander
Film présenté dans le cadre du festival Lumière, à Lyon.