Film mythique de 1971, Viva la muerte ressort en Blu-ray aux éditions Montparnasse, dans une version restaurée par la cinémathèque de Toulouse. Et on s’y précipite. Mais, attention, la signature de Fernando Arrabal doit nous mettre en garde. Le film ne sera pas simple à regarder, réalisé par l’un des fondateurs du groupe Panique dont l’habituel complice, Roland Topor, signe les dessins qui ponctuent les différentes séquences.
Il y a bien sûr dedans du Panique à bord, c’est-à-dire qu’on retrouve dans le film du baroque et du surréalisme, même si Arrabal, Topor, Jodorowsky et leurs copains tenaient à se détacher du mouvement de Breton. Pour reprendre la définition de Panique, on sent dans le film de la contradiction et de l’autodérision, des bouffées anarchistes de très bon aloi. Bref, quelque chose de « suffisamment flou pour ne pas être acculé à le suivre », comme ils l’écrivaient en 1962.

Le début de Viva la muerte, cri de ralliement des troupes franquistes, nous donne immédiatement le ton : sur une route désertique — le film est tourné en Tunisie — passe un camion militaire qui, par haut-parleur interposé, met la population en garde contre la rébellion rouge : ¡ Viva la muerte !
Nous sommes à Melilla, enclave espagnole au Maroc, en 1936 et le jeune Fando (Mahdi Chaouch) vit avec sa mère (Nuria Espert), sa tante (Anouk Ferjac) et ses grands-parents (Suzanne Comte et Jean-Louis Chassigneux). Son père, un traître puisqu’il est opposé aux franquistes, a été incarcéré et exécuté. C’est, du moins, la version officielle.

Que retenir de ce brûlot radical, intimiste, foisonnant, dur à regarder et fascinant à la fois ? D’abord la chanson Ekkoleg, écrite en danois par Grethe Agatz, qui entre dans votre tête pour n’en plus sortir. Ensuite, les images puissantes qui montrent le désir d’Arrabal de s’opposer aux dictatures de tout poil, qu’elles soient militaires ou religieuses. Qui dit religion dit perversion et trouble sexuel à la limite de l’inceste — il faut préciser que la mère et la tante sont très belles —, un trouble qu’éveillent aussi les religieuses de l’école où étudie Fando et les rites catholiques de flagellation et de pénitence à base de cilice serré sur le corps.

Proche de Buñuel avec son fétichisme pour les pieds (à plusieurs reprises, Fando caresse ceux de sa mère) et la présence d’un dindon, Viva la muerte suscite l’horreur du fascisme grâce à des séquences fortes à la limite du supportable, telle celle de l’égorgement d’une vache. Ce film inclassable et décapant ne peut laisser indifférent d’autant que l’on comprend qu’ici, ni la violence ni le trouble sexuel né de certaines images ne sont gratuits.

Politique est en effet le qualificatif qui convient le mieux. En écrivant que rien n’est gratuit, une séquence vient aussitôt à l’esprit, celle de « rouges » — ainsi que les désignent les militaires — fusillés dans un cimetière. Épargné par les balles, un des hommes se relève. « C’est le poète, le pédé, éructe alors le gradé. Il mérite un coup de grâce dans le cul. » La scène s’achève sur une voix enfantine qui annonce : « Ils ont tué Federico Garcia Lorca ! »
Et, comme il est beaucoup question de contamination, on comprendra pourquoi les paysans penchent d’un côté ou de l’autre de la balance, vers celui de l’ordre ou celui de l’indépendance. On verra ainsi les jeux brutaux contaminés par le franquisme et le besoin de liberté venu des réfractaires à la dictature.

Redécouvert à Cannes Classics l’an dernier, le film méritait de sortir en Blu-ray, comme toute la filmo d’Arrabal, d’ailleurs. On regardera avec beaucoup d’intérêt les deux suppléments proposés dans Viva la muerte. Tourné par Abdellatif Ben Ammar, Sur les traces de Baal est le making-of du tournage. Le titre vient de Baal Babylone, nom du roman d’Arrabal qui évoque les horreurs de la guerre civile. Vidarrabal de Xavier Pasturel Barron est un documentaire sur la vie du cinéaste espagnol et l’on comprend alors combien Viva la muerte est proche de la réalité vécue par le jeune Arrabal. Et combien est importante, en ces temps d’interdictions multiples, la liberté de ton d’une telle œuvre.
Jean-Charles Lemeunier
Viva la muerte
Année : 1971
Origine : France, Tunisie
Réal. : Fernando Arrabal
Scén. : Fernando Arrabal, Claudine Lagrive d’après Fernando Arrabal
Photo : Jean-Marc Ripert
Musique : Jean-Yves Bosseur, Grethe Agatz
Montage : Laurence Leininger
Dessins : Roland Topor
Assistant-réal. : Ferid Boughedir
Conseiller technique : Jacques Poitrenaud
Durée : 90 min
Avec Mahdi Chaouch, Nuria Espert, Anouk Ferjac, Ivan Henryques, Mohamed Bellasoued, Jean-Louis Chassigneux, Suzanne Comte…
Sortie en Blu-ray le 28 juin 2023 aux éditions Montparnasse.