On ne s’étonnera pas que Le Chat qui fume, éditeur malin s’il en est, se soit intéressé à l’un de ses congénères. Le Chat noir, que le clopeur propose en Blu-ray, est la version que Lucio Fulci a livrée en 1981 du célèbre conte d’Edgar Allan Poe, déjà porté à l’écran par Edgar Ulmer en 1934, Roger Corman en 1962 et Sergio Martino en 1972 (sous le beau titre de Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé). Le scénariste de ce Chat noir, Biagio Proietti, déclare dans le supplément combien il a toujours été un admirateur de Poe. Et ajoute que chacune des versions filmées a été obligée de broder, puisque l’histoire originale ne comporte qu’une dizaine de pages.
Se situant en Angleterre, le film de Fulci, Gatto nero, parle des rapports étranges que nouent un vieux professeur isolé (Patrick Magee) avec un félin qui semble maléfique, sans qu’on ne sache vraiment lequel des deux a pris le pouvoir sur l’autre. Une série de morts, dans ce paisible village, va déclencher la curiosité de la police locale, d’un inspecteur expédié par Scotland Yard (David Warbeck) et d’une photographe américaine (Mimsy Farmer) qui vit là.
Comment considérer aujourd’hui Fulci, qui eut son heure de gloire avec ses films gore des années 80, tels L’Enfer des zombies ou L’Éventreur de New York ? Ce Chat noir est nettement plus soft et montre l’attachement du cinéaste italien aux grand maîtres américains. On ne peut que penser à Hitchcock lorsque Mimsy Farmer se défend à coups de flash (Fenêtre sur cour) ou est attaquée par des chauves-souris (Les Oiseaux). Ou à L’Exorciste de Friedkin lorsque le lit de la photographe se met à se secouer et s’élever dans la chambre. Tout au long de sa carrière, Fulci s’est intéressé à la cruauté et celle-ci ne fait pas défaut dans Le Chat noir, de la mort du jeune couple à l’incendie d’une maison ou à l’empalement d’un ivrogne.
Comme Mario Bava et Dario Argento, Lucio Fulci est passé maître dans l’art de planter un décor, de mettre en place une atmosphère angoissante, faite ici de brouillards nocturnes, d’une maison lugubre et de prises de vue intéressantes, comme celle dans un miroir rond. Les yeux sont également très importants, avec des plans rapprochés de ceux de Patrick Magee, de Mimsy Farmer et du chat. La mise en scène de Fulci nous indique souvent l’inéluctable. Ainsi, lorsque Mimsy Farmer pénètre dans la maison de Patrick Magee, elle est filmée à travers des barreaux, comme si le cinéaste voulait prévenir le spectateur que la jeune femme va se retrouver prisonnière.
L’angoisse passe bien sûr au premier plan et les deux séquences des deux jeunes enfermés dans une pièce et de l’incendie de la maison restent en mémoire. Quant au reste, comme nous faire peur avec un joli chat noir capable de sauter sur une poignée et d’ouvrir une porte, cela peut paraître aujourd’hui quelque peu poussé. Mais on acceptera de se laisser entraîner dans ce jeu de chat et de souris d’autant mieux que Fulci brouille les cartes entre les deux et qu’on ne sait plus bien qui des deux hypnotise l’autre.
C’est une habitude chez Le Chat qui fume, les suppléments sont nombreux et passionnants. On retrouvera ici des interviews du scénariste Biagio Proietti, du musicien Pino Donaggio, du cameraman Roberto Forges Davanzati et de plusieurs collaborateurs de Lucio Fulci dans un documentaire consacré à sa filmo dans les années quatre-vingt. On regrettera juste qu’à côté de la v.o. italienne, on n’ait pu disposer de la v.o. anglaise, d’autant que trois des principaux interprètes sont anglophones.
Jean-Charles Lemeunier
Le Chat noir
Titre original : Gatto nero
Année : 1981
Origine : Italie
Réal. : Lucio Fulci
Scén. : Biagio Proietti, Lucio Fulci d’après Edgar Allan Poe
Photo : Sergio Salvati
Musique : Pino Donaggio
Montage : Vincenzo Tomassi
Durée : 92 min
Avec Mimsy Farmer, Patrick Magee, David Warbeck, Al Cliver, Dagmar Lassander…
Sorti en Blu-ray par Le Chat noir en octobre 2023.