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« La Vallée des abeilles » de František Vláčil : Un nectar !

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Tournée immédiatement après le sublime Marketa Lazarova, Údolí včel (1968, La Vallée des abeilles) est une nouvelle incursion du cinéaste tchèque František Vláčil dans la période médiévale, qu’il retranscrit dans un très beau noir et blanc.

Une ligne de dialogue résume cette Vallée des abeilles. On lâche une biche devant une meute de chiens, qui la mettra en pièces. « Dieu t’a créée pour être une proie », explique-t-on au pauvre animal. Ce déterminisme est au cœur du film et l’on comprend que la destinée des protagonistes est tracée d’avance. Le héros refuse la sienne mais sera, malgré tout, obligé de la suivre.

Zdenek Sedlácek

Tout commence avec le jeune Ondrej (Zdenek Sedlácek), amateur d’abeilles au point de les laisser courir sur son corps, malgré les piqûres, que son père appelle au château pour lui présenter sa nouvelle épouse Lenora (Jana Hájková), qui doit avoir le même âge qu’Ondrej. Le jeune homme lui offre un panier de fleurs d’où surgissent des chauves-souris. Furieux, le père projette son fils contre la muraille puis, craignant pour sa vie, implore la Vierge de le sauver. En contrepartie, il le lui offrira.

Petr Čepek et Jan Kacer

Dès le début du film, en choisissant des interprètes ayant l’âge de leurs personnages, Vláčil rompt avec la tradition (hollywoodienne ou autre) et ses acteurs toujours plus âgés que leurs rôles. On cite souvent comme sources d’inspiration Ingmar Bergman et Robert Bresson, mais l’on est également en droit de penser à Pasolini. Dans la même veine, trois ans plus tard, s’inscrira le Blanche de Walerian Borowczyk.

La séquence suivante nous présente Ondrej, à présent interprété par Petr Čepek, devenu moine-chevalier. Avec son ami Armin (Jan Kacer), qui partage son sort, il aime s’allonger nu dans les vagues glacées de la mer, en le tenant fermement par le bras. Vláčil décrit des liens qui frisent l’attirance sexuelle, laquelle ne sera jamais exprimée par des mots, sinon par des gestes et des actions. Ainsi, quand Ondrej s’enfuit du couvent, c’est Armin qui part à sa recherche. C’est lui qui, croisant dans une très belle séquence une jeune femme aveugle (Jana Hlavácková), refuse de la toucher car son ordre religieux le lui interdit.

Jan Kacer et Petr Čepek

Cette religion est très présente dans La Vallée des abeilles, qui dicte la conduite des uns et des autres à tel point que l’on est en droit de se demander si elle ne symbolise pas le pouvoir communiste. Vláčil en profite pour nous offrir de superbes plans du couvent, parfois très cruels — tel celui de la mort d’un moine. Citons encore celui où Armin, entouré par les murs blancs d’une église, s’accroupit, son épée devant lui prenant la forme d’une croix. Symbolique encore lorsque Armin prétend « entendre battre les ailes des anges ». Auparavant, quand Ondrej est revenu chez lui, le manteau blanc posé sur le dossier de son siège a pris la forme de deux ailes dans son dos.

Vera Galatíková, Petr Čepek et Jan Kacer

De retour dans son village, Ondrej retrouve sa belle-mère, Lenora, à présent incarnée par Vera Galatíková. Inévitablement, ce sont d’autres sentiments que des liens filiaux qui vont se tisser entre eux. Armin se présente à son tour chez Ondrej, coincé par ses pensées religieuses. « Pourquoi les vertueux sont-ils les seuls à mourir de froid ou de faim dans leur cellule ? », questionne-t-il. Et il ajoute : « La mort rédemptrice est l’unique compagne de notre solitude ! »

Jan Kacer

Moins sauvage, moins exubérant, comprenant beaucoup moins de personnages que Marketa Lazarova, La Vallée des abeilles conte surtout deux itinéraires, celui d’un homme promis aux ordres et qui tente de s’en échapper et, en parallèle, celui de son ami qui désire plus que tout le ramener à la raison, c’est-à-dire au couvent. Le doute subsiste quant à ses motivations : religieuses ou amoureuses ?

Jan Kacer

Dans le supplément, Christian Lucas explique que František Vláčil avait prévu que le même acteur joue les deux rôles, « les deux faces d’un même personnage ». Mais l’idée a été écartée, nous amenant sans doute vers d’autres pistes de compréhension.

La Vallée des abeilles confirme donc ce que nous laissait supposer la vision de Marketa Lazarova : Vláčil est, sans conteste, un excellent cinéaste digne de figurer dans nos vidéothèques.

Jean-Charles Lemeunier

La Vallée des abeilles
Année : 1968
Titre original : Údolí včel
Origine : Tchécoslovaquie
Réal. : František Vláčil
Scén. : Vladimir Körner, František Vláčil
Photo : Frantisek Uldrich
Musique : Zdenek Liska
Montage : Miroslav Hájek
Durée : 100 min
Avec Petr Čepek, Vera Galatíková, Jan Kacer, Jana Hlavácková, Zdenek Sedlácek, Jana Hájková, Josef Somr…

Sorti par Artus Films en combo Blu-ray/DVD le 7 novembre 2023.


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