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Les deux « Hercule » de Pietro Francisci : Un super héros mythologique

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Se doutait-il, Pietro Francisci, quand en 1958 il portait à l’écran Le fatiche di Ercole (Les Travaux d’Hercule), qu’il allait mettre à la mode les super héros mythologiques ? Une mode qui a nourri le cinéma italien pendant près d’une dizaine d’années.

Artus Films sort dans un beau combo assorti d’un livre sur l’acteur Steve Reeves — mythique Hercule — ces Travaux et également Ercole e la regina di Lidia (1959, Hercule et la Reine de Lydie) et c’est une bonne occasion pour se replonger dans les péplums de cette époque. Francisci n’en est pas à ses débuts. Il a déjà filmé en 1952 une Reine de Saba avec Leonora Ruffo et, en 1954, Attila, fléau de Dieu avec Anthony Quinn et Sophia Loren mais la grande originalité de son Hercule est de ne pas confier le rôle principal à un acteur confirmé mais à un culturiste. Ce n’est donc pas sur son jeu que l’on jugera Steve Reeves mais bien sur ses muscles huilés, s’attirant là l’attention totale des spectateurs et trices. Il crée par la même occasion un personnage droit, honnête et foncièrement naïf, voire culcul, que l’on retrouvera tout au long de la filmo du héros, jusque chez Disney. Ajoutons qu’à part un film muet de 1918, c’est la première fois que le personnage d’Hercule apparaît à l’écran.

Sylva Koscina et Steve Reeves dans « Les Travaux d’Hercule »

Comme le seront par la suite tous les super héros du péplum (Maciste, Ursus, Samson et bien d’autres) et comme les joueront tous leurs interprètes (Reg Park, Dan Vadis, Gordon Mitchell, Brad Harris, etc.), Hercule semble ici détaché de tout. Il est un demi-dieu et regrette de ne pouvoir ressentir aucun des sentiments humains, tel l’amour. Sa trajectoire dans le film le rapprochera donc de l’humanité… et d’Iole (Sylva Koscina).

Avec ce héros qui veut quitter son statut de super homme, filmé treize ans après la chute de Mussolini, Francisci ne cherche-t-il pas à passer un message politique ? C’est sans doute chercher un peu loin mais n’oublions pas que le cinéaste, avant de poser son œil sur le viseur d’une caméra, a fait des études de droit. Et qu’un des films qu’il met en scène, Noël au camp 119 (1947),  montrait des soldats italiens prisonniers dans un camp américain après le conflit mondial, justifiant ainsi un panorama très humaniste des ravages de la guerre.

Steve Reeves dans « Les Travaux d’Hercule »

Dès la première scène des Travaux d’Hercule, dans laquelle le héros stoppe avec un tronc d’arbre les chevaux emballés d’un char conduit par Iole, Francisci et son chef op’ le grand Mario Bava utilisent admirablement les paysages maritimes romains. C’est également à Bava que l’on doit — ainsi que le raconte dans un bonus Willy Colombini, l’acteur qui joue le rôle de Pollux — les matte paintings représentant la ville d’Iolcos et c’est sans doute également à lui que l’on doit attribuer la mise en valeur du rouge éclatant de la robe de la sibylle (Lydia Alfonsi).

Des travaux du super héros, d’habitude au nombre de douze, Francisci n’en montrera que deux : le lion de Némée et le taureau crétois. Le film s’attache à l’expédition des Argonautes en Colchide pour récupérer la Toison d’or dans une version moins épique et moins second degré que celle filmée par Don Chaffey quelques années plus tard dans le génial Jason et les Argonautes. Ici, Francisci préfère s’attarder sur l’épisode des Amazones et l’on ne peut que lui donner raison puisque leur reine est interprétée par Gianna Maria Canale. Du coup, il expédie rapidement les aspects les plus épiques, tel le monstre qui garde la Toison et que combat Jason, de même qu’il n’a pas filmé l’Hydre de Lerne ni Cerbère parmi les autres travaux d’Hercule, sans doute faute de moyens.

Gianna Maria Canale dans « Les Travaux d’Hercule »

Autre preuve encore que ces Travaux d’Hercule vont être à l’initiative d’une longue série de films, c’est que Francisci réunit autour de son Hercule une série de personnages célèbres qui, eux-mêmes, vont devenir le sujet d’autres péplums : Ulysse, Jason, Castor et Pollux, Orphée, Esculape… Car si Ulysse a déjà eu les faveurs de Mario Camerini et Kirk Douglas dès 1954, la carrière des autres est encore à venir : Hercule sera ainsi au cœur de nombreux films tournés à la suite (Hercule et la Reine de Lydie, La Vengeance d’Hercule, Hercule à la conquête de l’Atlantide, Hercule contre les vampires, Hercule contre les fils du Soleil…). Pour Jason, ce sera encore Le Géant de Thessalie (1960) et Jason et les Argonautes (1963) et, pour Ulysse, Ulysse contre Hercule (1962).

Les Travaux d’Hercule a donc l’intérêt d’être à l’origine de la vogue du péplum italien des années soixante et le film qui suit, Hercule et la Reine de Lydie, est encore plus exotique et attrayant. Bien que toujours signé du seul Francisci, ce deuxième opus est davantage marqué par la présence de Mario Bava au générique. Les couleurs, la mise en lumière des décors et de la chorégraphie, avec ses éclairages changeants, beaucoup d’éléments portent la marque du futur cinéaste.

L’interprétation de Steve Reeves est à mettre également au crédit de cette deuxième aventure. Beaucoup plus à l’aise, il apporte désormais du second degré à son personnage. Dans ce film, ses adversaires sont très différents, du géant Antée incarné par l’imposant Primo Carnera, boxeur professionnel d’1,98 m, à la très belle et perfide Omphale, la reine de Lydie (Sylvia Lopez). Laquelle tombe réellement amoureuse du héros musclé et amnésique.

Sylvia Lopez er Steve Reeves dans « Hercule et la Reine de Lydie »

À noter également dans ce film une vision féministe plutôt originale : dans une discussion entre Anticlée, la mère d’Ulysse, et la fiancée de ce dernier, Pénélope, la première se plaint d’être toujours seule. Son mari Laërte, à peine revenu de l’expédition des Argonautes, repart à la recherche d’Ulysse, disparu avec Hercule. « Si tu épouses Ulysse, prévient-elle Pénélope, tu ne le verras pas beaucoup ! » Ce qui est, bien évidemment, un clin d’œil aux textes antiques d’Homère puisqu’après avoir combattu 10 ans pendant la guerre de Troie, Ulysse mettra encore dix ans à rejoindre son île natale d’Ithaque, où l’attend patiemment Pénélope.

Au centre, Sylva Koscina, Steve Reeves et Gabriele Antonini dans « Hercule et la Reine de Lydie »

Dans les deux films, Francisci prend d’ailleurs toujours le soin d’indiquer les sources classiques : signés par Ennio De Concini — et Pietro Francisci et Gaio Fratini pour le premier —, les deux scénarios se revendiquent surtout d’Apollonius de Rhodes, Eschyle et Sophocle.

Après le succès des deux premiers films, une troisième aventure d’Hercule fut mise en chantier, cette fois confiée à Vittorio Cottafavi. La vendetta di Ercole (1960, La Vengeance d’Hercule) ne bénéficia pas de l’interprétation de Steve Reeves, fidèle à Pietro Francisci. Ce fut donc un autre culturiste américain qui le remplaça, Lou Degni, qui prit pour l’occasion le nom de Mark Forest.

Jean-Charles Lemeunier

« Les Travaux d’Hercule » et « Hercule et la Reine de Lydie », deux films de Pietro Francisci sortis en DVD/Blu-ray par Artus Films le 4 mars 2025.


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