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« Agent secret X-9 » de Ray Taylor et Lewis D. Collins : Des idées dans la suite

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Comment va-t-il s’en sortir ? C’est la question que se posaient toutes les semaines les spectateurs du serial Secret Agent X-9 (1945, Agent secret X-9), que Bach Films a la bonne idée de ressortir en DVD. Oui, comment va-t-il s’en sortir, le héros, lui qu’on laisse à la fin de chaque épisode dans un lac en feu, dans un camion qui dégringole d’une falaise, blessé au volant d’un véhicule, sous la mitraille d’un chasseur zéro ou dans une pièce dont le sol glisse, menaçant de le faire choir sur une série de pieux acérés ? Un frisson devait parcourir les échines à chaque fois, d’autant plus que le public avait à attendre sept interminables jours avant d’avoir la réponse à ses interrogations. 

 

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Lloyd Bridges en fâcheuse posture

 

Les serials, ces films à épisode qui furent en vogue aux USA de la fin du muet aux années cinquante — sans oublier quand même que la mode fut lancée dès 1913 par le Français Louis Feuillade avec Fantômas —, étaient en quelque sorte les ancêtres de nos séries modernes. Quand ils n’étaient pas nés de la plume d’un scénariste à l’imagination fertile, ils s’inspiraient des romans populaires (Tarzan, Zorro, Fu Manchu) ou des héros des bandes dessinées : Flash Gordon, Buck Rogers, lui-même apparu pour la première fois dans une nouvelle, Tim Tyler, Terry et les pirates, Batman, Dick Tracy, etc.

C’est à cette veine qu’appartient X-9, un agent secret né de l’imagination de l’écrivain Dashiell Hammett (Le faucon maltais) et du dessinateur Alex Raymond en 1934. Une première adaptation en serial en est faite en 1937 par Ford Beebe et Clifford Smith. Celle dont nous disposons aujourd’hui date de 1945, réalisée par Ray Taylor et Lewis D. Collins. Bien que produit par Universal, ce serial de 13 épisodes paraît plus fauché que ceux tournés au sein des studios Republic, pourtant l’un des fleurons du Poverty Row (littéralement, la ruelle de la pauvreté). La mise en scène y est beaucoup moins inventive, les rebondissements moins incroyables. L’ensemble des épisodes a néanmoins ce charme indéniable qui fait qu’à l’issue d’un chapitre, le spectateur n’ a qu’une envie : voir la suite. 

 

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Lloyd Bridges et Robert Stack dans « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? » Non, vraiment pas la semaine pour s’arrêter de sniffer de la colle !

 

Le rôle de l’agent X-9 échoit à Lloyd Bridges. Pour sympathique qu’il soit, le père de Beau et Jeff Bridges n’est pas forcément charismatique, d’autant plus que le public moderne ne peut s’empêcher de l’assimiler au personnage comique qu’il tient dans Airplane (1980, Y a-t-il un pilote dans l’avion ?) et qu’à chaque chute de ses dialogues, on s’attend à l’entendre affirmer que ce n’est pas la semaine pour s’arrêter de cloper ou de sniffer de la colle.

 

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Contemporaine de son propos (le film date de 1945 et raconte des événements survenus en 1943), l’histoire se déroule sur Shadow Island, une petite île au large de la Chine devenue le refuge d’espions en tous genres et de réfugiés. Une sorte de Casablanca du pauvre sauf que le propriétaire de l’île, Lucky Kamber (Cy Kendall), n’a pas le charisme de Bogart. Plus intéressant est le personnage de Solo (Samuel S. Hinds), un type constamment accoudé au comptoir du bar où se déroulent la plupart des scènes du film, qui ne compte pas énormément de décors. Sans jamais se retourner, sans pratiquement jamais lever la tête, Solo sait tout ce qui se passe dans son dos. Les protagonistes de l’histoire, et c’est souvent de là que provient le charme de ces aventures découpées, sont ici hauts en couleurs. On pourrait également citer ce couple de Français tenanciers d’un hôtel, Papa (Ferdinand Munier) et Mama Pierre (Ann Codee), lui étant un fainéant qui passe son temps assoupi sur une chaise ou à écouter les conversations des autres. Enfin, on ne peut pas passer à côté de Nabura (Victoria Horne), superbe méchante, vénéneuse à souhait, digne moyenne entre Fu Manchu et la Mother Gin Sling incarnée par Ona Munson dans The Shanghai Gesture (1941) de von Sternberg.

 

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Outre cette collection de personnages atypiques, Agent secret X-9 comprend d’autres surprises, comme cette absence de manichéisme. Dès le départ, nazis et Japonais sont désignés comme les méchants mais le scénario ne met pas tous les Asiatiques dans le même sac, ce que Hollywood ne se gênait pas de faire d’ordinaire. Et, du même coup, tous les Blancs ne sont pas non plus dans le bon camp. Ici, dans le rôle de l’agent chinois Ah Fong, Keye Luke tient l’un des deux rôles principaux et ne ménage pas sa peine, au même titre que Lloyd Bridges. Il en est même plus sympathique que le héros, plus prompt en tout cas à vouloir voler au secours de l’héroïne (Jan Wiley). Autre bonne surprise : le montage est intelligent, qui ne reprend pas systématiquement la dernière séquence de l’épisode précédent, comme c’était souvent le cas dans les serials, mais en intègre seulement quelques plans au nouveau métrage. 

Parmi les nombreuses séquences d’action de X-9, certaines feront encore effet des années plus tard. Comment penser que Spielberg et ses scénaristes des Aventuriers de l’arche perdue, Phil Kaufman, Lawrence Kasdan et George Lucas, ne se sont pas souvenus de ce moment où X-9, accroché de l’extérieur à la portière d’une voiture pilotée par son ami Ah Fong, saute sur le camion d’un nazi et en reprend le contrôle ? Non, Indy n’a visiblement rien inventé mais on le savait déjà ! Et on ne l’apprécie pas moins pour autant !

 

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Restons sur le scénario, écrit par Joseph O’Donnell, Harold C. Wire et Patricia Harper. À la manière d’un excellent Hitchcock, il utilise un MacGuffin, un prétexte scénaristique qui tient le spectateur en haleine et qui n’est… qu’un prétexte. Il s’agit ici de la formule secrète d’un nouveau carburant, le 7-22, dont on ne nous dira, au fil des épisodes, que toujours la même chose, sans jamais apporter de précisions supplémentaires. Autre ingrédient indiscutable des scripts de serials : les gentils ont la fâcheuse tendance à être naïfs et à se jeter dans la gueule du loup. Ce qui est d’ailleurs bien pratique quand on veut les laisser assez rapidement dans une situation qui semble inextricable. 

 

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Enfin, est-ce simplement le fruit d’une imagination débordante ? Créée on l’a vu par le dessinateur Alex Raymond, la bédé fut ensuite reprise par d’autres artistes. En 1945, à l’époque où sort le serial, le dessin et les histoires sont signés par Mel Graff, souvent avec l’aide de Lew Schwartz. Dans le film, il est question d’un savant américain nommé Albert Raymond, à l’origine du fameux 7-22. Comme les Japonais veulent récupérer la formule, ils forment des gangsters à imiter Raymond afin de prendre sa place. Graff cherchait-il à imiter l’autre Raymond, le dessinateur ? On est en droit de prendre comme un clin d’œil cette partie du scénario. Et à applaudir.

Jean-Charles Lemeunier

Agent secret X-9

Année :1945

Titre original : Secret Agent X-9

Origine : États-Unis

Réal. : Ray Taylor, Lewis D. Collins

Scénario : Joseph O’Donnell, Harold C. Wire, Patricia Harper d’après la bande dessinée de Dashiell Hammett et Alex Raymond

Photo : Maury Gertsman, Ernie Miller

Montage : Irving Birnbaum

Musique : Milton Rosen, Paul Sawtell

Prod. : Morgan B. Cox (Universal)

Avec Lloyd Bridges, Keye Luke, Jan Wiley, Victoria Horne, Samuel S. Hinds, Cy Kendall, George Lynn, Benson Fong, Ferdinand Munier, Ann Codee, Arno Frey

Sortie en DVD chez Bach Films

La première version de Secret Agent X-9 (1937) de Ford Beebe et Clifford Smith, avec Scott Kolk

 


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