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« Le démon des eaux troubles » de Samuel Fuller : Mer Courage

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Voici que sortent simultanément deux films aux titres originaux quasi similaires : Hell and High Water, en français Le démon des eaux troubles, un film de Samuel Fuller de 1954, est accessible en DVD chez ESC Conseils depuis le 2 novembre dernier, dans la collection Hollywood Legends Premium. Présent sur nos grands écrans depuis le 7 septembre, Hell or High Water de David Mackenzie a été baptisé en français Comancheria. C’est au premier que nous allons nous intéresser.

Quand il attaque ce Démon des eaux troubles pour la Twentieth Century Fox, Sam Fuller vient d’achever un film avec la même vedette, Richard Widmark. Pick Up on South Street (1952, Le port de la drogue), formidable polar, est dans sa version originale fortement ancré dans la lutte anti-rouges que mène Hollywood. Dans sa version originale uniquement puisque, dans la v.f., les méchants communistes se sont transformés en trafiquants de drogue !

D’une façon plus atténuée, moins offensive si ce n’est un « Enfoirés de Jaunes » prononcé par l’un des hommes du sous-marin piloté par Widmark, Le démon des eaux troubles va utiliser la Guerre froide et l’explosion d’une bombe atomique en 1953, quelque part entre le Japon et l’Arctique, pour désigner clairement les Chinois communistes comme ennemis. Le film est produit par Darryl F. Zanuck, pourtant connu pour ses idées libérales. Il a sauvé Jules Dassin des griffes des chasseurs de sorcières en l’envoyant tourner à Londres et s’est opposé, avec Bogart, Bacall et quelques autres, aux lois anticommunistes du sénateur McCarthy. C’est malgré tout dans son studio que Fuller va tourner Le port et ce Démon.

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Sur de belles images en Cinémascope de cette explosion atomique, le générique démarre et se poursuit par des vues de Paris, usant de tous les clichés touristiques : l’arc de triomphe, la place Vendôme, Notre-Dame… jusqu’au très attendu plan de la tour Eiffel, prise d’un angle suffisamment large pour qu’apparaisse à l’extrémité droite une vue de la statue miniature de la Liberté, celle de l’île aux Cygnes. Les éléments importants à connaître au début du film se font ensuite par voie de presse. On aurait tort d’oublier que Fuller fut d’abord journaliste.

Un regroupement de scientifiques et d’hommes d’affaires de plusieurs pays, dont le Japon, demande à Widmark de prendre le commandement d’un sous-marin, là où il avait déjà patrouillé pendant la Seconde guerre mondiale. « L’ennemi a changé, pas les eaux ! », explique-t-on au mercenaire pour le persuader. Le but étant d’en apprendre plus sur l’origine de l’explosion atomique. Mercenaire est bien le mot qui convient pour désigner Widmark. Il a, face à lui, des scientifiques, dont un professeur français de grand renom incarné par Victor Francen, l’ancien interprète de Gance, L’Herbier et Duvivier. À leurs demandes patriotiques, il ne répond qu’en dollars. Combien va-t-il toucher ? Pour quel prix va-t-il risquer sa vie ? Ce à quoi Francen répond : « Chaque homme a sa raison de vivre et son prix pour mourir. »

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Écrit par Fuller lui-même, Jesse Lasky Jr et David Hempstead, le scénario va ainsi beaucoup utiliser ce genre de phrases sentences. On entendra également de la part de Gene Evans, l’un des marins : « Une femme dans un sous-marin porte malheur. » La femme en question, dans le film l’assistante de Francen, c’est Bella Darvi, dont c’est le premier film. Découverte à Paris par Virginia Zanuck, la femme du producteur, Bella était vite devenue la maîtresse de celui-ci, ce qui lui valut plusieurs rôles d’importance dans des films Fox. Dans son autobiographie Le fils du chiffonnier, Kirk Douglas, qui fut son partenaire dans The Racers (1955, Le cercle infernal) de Henry Hathaway, en parle ainsi. « Le but principal du Cercle infernal était de faire une vedette de la maîtresse de Darryl Zanuck, une Franco-Polonaise du nom de Bayla Wegier. Zanuck avait changé son nom en Bella Darvi – Dar pour Darryl et Vi pour Virginia, la femme de Zanuck. Cette anagramme et cette liaison affichée avec Bella faisaient jaser tout Hollywood. Quant à Bella, c’était certainement une fille charmante mais elle n’avait rien d’une actrice. » Kirk Douglas a la dent un peu dure avec la jeune femme qui ne s’en sort pas si mal dans Le démon des eaux troubles, suffisamment jolie et sexy pour comprendre qu’elle puisse porter malheur dans cet univers masculin.

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Pour un cinéaste, être obligé de concentrer son action dans un sous-marin est une véritable gageure. Fuller aère le récit dès le préambule, avec ces plans de Paris gratuits mais qui ne font pas de mal (ils accompagnent le départ de Francen de Orly) et prouve qu’il est le grand cinéaste que l’on connaît avec la séquence de la rencontre entre Widmark et son groupe de financeurs. Le plan est de toute beauté quand l’acteur s’enfonce dans une cave où a lieu le rendez-vous. Son ombre se détache sur le mur, quasiment en noir et blanc, tandis que le côté droit de l’image est inondé d’une lumière rouge. Ce genre de tension, Fuller va le renouveler à plusieurs reprises dans son film avec pour apogée la séquence où un sous-marin chinois poursuit celui de nos héros. Pour ne pas que leurs radars respectifs les décèlent, les deux sous-marins se posent au fond des mers. Aucun bruit ne doit sortir des deux appareils. Sam Fuller réussit ces quelques scènes avec une maestria certaine.

Lui-même soldat (il a suivi le débarquement des troupes alliées en Sicile et en Normandie et en fera un grand film, The Big Red One), Sam Fuller sait rendre également hommage au courage des obscurs et des sans-grade, en particulier du marin chinois qui fait partie de l’équipage, dans une très belle scène sacrificielle.

Bien que mineur dans sa carrière, Le démon des eaux troubles est une réelle curiosité. Il va redonner au genre pourtant codifié du film de sous-marin un nouvel élan puisqu’il sera rapidement suivi par 20 000 lieues sous les mers (1954) de Richard Fleischer, L’odyssée du sous-marin Nerka (1956) de Robert Wise, Torpilles sous l’Atlantique (1957) de Dick Powell ou, encore, Opération jupons (1959) de Blake Edwards.

Jean-Charles Lemeunier

Le démon des eaux troubles, édité chez ESC Conseils dans la collection Hollywood Legends Premium depuis le 4 novembre 2016.

Le démon des eaux troubles
Titre original : Hell and High water
Année : 1954
Pays : États-Unis
Réalisateur : Samuel Fuller
Scénario : Samuel Fuller, Jesse Lasky Jr d’après une histoire de David Hempstead
Photo : Joseph MacDonald
Musique: Alfred Newman
Montage : James B. Clark
Production : Twentieth Century Fox
Avec Richard Widmark, Bella Darvi, Victor Francen, Cameron Mitchell, Gene Evans, David Wayne, Stephen Bekassy, Richard Loo…


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