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« Nocturnal Animals » de Tom Ford : Chair payée

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On dit souvent que le premier plan d’un film, quand il est signé par un véritable auteur, peut résumer à lui seul ce qui va suivre. Le générique de Nocturnal Animals, le film de Tom Ford, est particulièrement réussi parce qu’il est étonnant, malaisé à comprendre quelle en est la finalité, assez dérangeant aussi puisque, pour une fois, une production américaine ne célèbre pas le culte habituel des canons esthétiques : une série de femmes âgées et particulièrement grasses s’y dandinent sans aucun autre vêtement qu’un chapeau de majorette. Elles sont, on le comprend ensuite, l’objet d’une exposition qu’organise l’héroïne du film (Amy Adams), une galeriste qui n’assume pas vraiment ses choix. Cet étalage de chairs molles, que l’on voit projetées en vidéo lors du vernissage — et qui sont les mêmes images que celles du générique — ou que l’on découvre allongées nues sur des tables, est, pour Amy Adams, une façon peut honorable de gagner sa vie, malgré le succès de l’expo. Qu’est-ce que Tom Ford a bien voulu dire en plaçant ces dames grasses, pourtant décriées par la suite, en ouverture de son film ? Que le surpoids va signifier ce qui va suivre : surjeu des acteurs, surlignage scénaristique ? Que ce trop-plein de chair va contrebalancer la maigreur du propos ?

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Le film a été acclamé à la dernière Mostra de Venise, au point de récolter un Lion d’argent et le Grand Prix du jury. C’est assez étonnant pour ce catalogue de toutes les choses à faire et à ne pas faire, réactionnaire de surcroît par son sujet.

Visuellement, le film oppose un univers urbain que Gotlib appelait dans les années soixante-dix « glacé et sophistiqué » à celui plus crade et plouc de la campagne texane. De la part du styliste inspiré et décrié de la maison Saint-Laurent — le premier métier de Tom Ford —, cela n’est finalement pas étonnant. Glacée et sophistiquée, voilà bien deux qualificatifs qui collent à Amy Adams autant qu’à son univers. Il faut découvrir à la lueur des phares sa vaste demeure toute en vitres et au mobilier ultra-design, sa baignoire au froid marbre sombre et sa vie somme toute vide de sens. Ce personnage très branchouille va recevoir de son ex-mari Jake Gyllenhaal le premier roman qu’il a enfin pu écrire et baptisé… Nocturnal Animals. Le film va ainsi osciller entre la trame du roman, un couple et sa fille pris à partie par une bande de psychopathes en pleine nuit sur une route déserte du Texas, et la lecture qu’en fait Amy Adams. Et quand il était question de surjeu tout à l’heure, vous allez voir que ce n’était pas un vain mot. À chaque montée crescendo de l’action, à chaque humiliation de Gyllenhaal par les méchants, le contrechamp nous montre une Amy Adams qui frissonne, qui sursaute, qui en perd son bouquin, qui pète quasiment un câble tellement ce qu’elle lit est vaaachement bien raconté et qu’elle est à fond dedans. De son côté, Gyllenhaal surjoue le pauvre mec faible et lâche contre qui tout se ligue.

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Bien entendu, tout cela serait passablement vain si vous ne soupçonniez pas, en cours de récit, combien le livre parle de choses beaucoup plus intimes pour la petite Amy, d’où ses réactions. Et c’est là où le scénario devient franchement réac. D’une part, il donne raison à Trump qui déclare que tout bon Américain devrait être armé. Parce que franchement, face à un mec burné et colté, les trois bandidos des routes texanes (Karl Glusman, Robert Aramayo et Aaron Taylor-Johnson, qui a obtenu le Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle), ces animaux nocturnes, ne feraient pas le poids. C’est d’ailleurs grâce à un colt, et non par les tribunaux, que l’on en vient à bout. Deuxièmement, animal nocturne est aussi le surnom que l’ex-mari donnait à sa femme. Elle peut donc comprendre que, dans son livre, l’auteur la place du côté des assaillants plutôt que des victimes. Et qu’a-t-elle donc fait de si méchant, la pauvre Amy ? Non seulement elle a trompé puis abandonné le petit Jake, mais elle a surtout tué son enfant en avortant. Sonnez trompettes, pardon trumpettes de Jéricho, nous y voici. Amy avoue qu’en tant que catholique, elle se sent coupable d’avorter. Quant à Jake, il arbore une petite croix tout au long du film. De là à renvoyer la jeune femme dans les cordes et à l’assimiler aux assassins texans, il n’y a qu’un pas que Ford franchit allègrement.

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Reste Michael Shannon. L’acteur que l’on a adoré dans les films de Jeff Nichols et dans la série Boardwalk Empire se retrouve dans la peau d’un flic, caricatural au début mais que tout le talent de Shannon parvient à tirer vers le haut. Son personnage de fumeur invétéré, atteint d’un cancer et qui n’a plus rien à perdre, vous rappelle sans doute quelque chose ? L’agent Racine (Zeljko Ivanek), dans la série Banshee (2014), pardi ! Cette même série où la justice est faite à la main et pas dans les cours. Série beaucoup plus jouissive que Nocturnal Animals puisqu’elle ne met pas deux heures à dégommer deux méchants, seulement quelques minutes.

Jean-Charles Lemeunier

Nocturnal Animals
Année : 2016
Origine : États-Unis
Réal. : Tom Ford
Scénario : Tom Ford d’après le roman d’Austin Wright
Photo : Seamus McGarvey
Musique : Abel Korzeniowski
Montage : Joan Sobel
Durée : 116 minutes
Avec Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Aaron Taylor-Johnson, Isla Fisher, Ellie Bamber, Karl Glusman, Robert Aramayo, Linna Linney…



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