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4 films d’Agatha Christie ressortent en salles : La politique des acteurs

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Il en est d’une série de films adaptés des romans policiers d’Agatha Christie, sortis entre 1974 et 1981 et que Carlotta Films et Studio Canal ressortent sur grand écran, comme de certains matchs de basket où tous les joueurs sont des vedettes : ce sont des All Star Games.

Voici donc à nouveau proposés, et on s’en réjouit, Murder on the Orient Express (1974, Le crime de l’Orient-Express) de Sidney Lumet, Death on the Nile (1978, Mort sur le Nil) de John Guillermin, The Mirror Crack’d (1980, Le miroir se brisa) de Guy Hamilton et Evil Under the Sun (1981, Meurtre au soleil) de Guy Hamilton. Il manque curieusement à cette belle série Appointment with Death (1988, Rendez-vous avec la mort) de Michael Winner, dernière apparition de Peter Ustinov dans le rôle d’Hercule Poirot, le fameux détective belge créé par la romancière.

Si Agatha Christie a déjà été adaptée au cinéma à maintes reprises, ce sont ces films qui viennent immédiatement en tête dès qu’on évoque son nom. Des films dont chacun des personnages ou presque est incarné par une star. Tout commence avec Le crime de l’Orient-Express que Lumet et ses scénaristes Paul Dehn et Anthony Schaffer — ce dernier signera trois autres adaptations de Christie — conçoivent comme une pièce de théâtre. On retrouve un prologue (l’enlèvement d’un bébé en Amérique, inspiré de celui du fils de Charles Lindbergh), trois actes (l’arrivée des différents personnages dans le train, le meurtre et les interrogatoires pendant que le train est stoppé par le mauvais temps, la démonstration de Poirot) et l’épilogue (le train repart, libéré de la neige). De la même manière qu’à une avant-première, les stars arrivent sur le tapis rouge, échangent quelques mots avec le présentateur et entrent dans le cinéma, ici Lumet filme ses différentes vedettes à l’arrivée (sur tapis rouge) devant le train : ils échangent quelques mots avec ceux qui les accueillent (Martin Balsam et Jean-Pierre Cassel) et pénètrent dans le wagon. Se succèdent ainsi Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Michael York, Richard Widmark, Anthony Perkins, John Gielgud, Wendy Hiller, Rachel Roberts, Vanessa Redgrave, Sean Connery, Colin Blakely et Dennis Quilley. À la fin du film, les personnages se salueront comme, au théâtre, ils saluent les spectateurs.

 

Face à tous ces poids lourds, il fallait un Hercule Poirot qui tienne la route. Lumet confie le rôle à un Albert Finney en sur-régime, qui joue avec les excentricités du personnage : son soin apporté à sa coiffure et à sa moustache, ses éructations, son accent belge, son rire impromptu, la façon qu’il a de se déplacer comme si son corps était serré dans un corset. Très différent de ce que Peter Ustinov fera par la suite de Poirot (plus suave, moins démonstratif), Finney — et, avec lui, Lumet — tirent le film vers un spectacle qui nous tient non seulement par l’intrigue policière (avec une solution qui reste encore étonnante et une démonstration magistrale) que par le jeu de tous ces grands acteurs réunis. Lumet pose ainsi quelques jalons qui seront repris par les autres cinéastes qui adapteront Agatha Christie.

Puisque Sidney Lumet joue à fond la politique des acteurs, il utilise pour certains d’eux leur background cinématographique. Ainsi, Tony Perkins est-il perturbé comme l’était Norman Bates, le personnage le plus célèbre qu’il ait incarné, dans le Psychose de Hitchcock. Ingrid Bergman, une folle de Dieu comme pouvait être la Jeanne d’Arc qu’elle a jouée en 1947, arrive avec son accent suédois. Lauren Bacall ne cesse de parler de ses deux maris (l’actrice fut mariée à Humphrey Bogart et Jason Robards). Sean Connery est un soldat de l’armée des Indes appartenant aux Royal Scots et il ne fait aucun doute que l’acteur est lui-même Écossais. Et il a déjà incarné un soldat britannique pour Lumet dans The Hill (1965, La colline des hommes perdus).

 

 

Après cet excellent départ, il est certain que les adaptations d’Agatha Christie qui vont suivre vont adopter le même principe : celui du All Star Game. On retrouve ainsi Peter Ustinov, Mia Farrow, David Niven, Bette Davis, Maggie Smith, Lois Chiles, Jane Birkin, Angela Lansbury, George Kennedy, Olivia Hussey, Jon Finch, Simon McCorkindale et Jack Warden dans Mort sur le Nil. Dans Le miroir se brisa, Liz Taylor, Rock Hudson, Tony Curtis, Kim Novak, Angela Lansbury, Geraldine Chaplin et Edward Fox sont au coude-à-coude. Et dans Meurtre au soleil, Peter Ustinov retrouve Jane Birkin et Maggie Smith mais aussi Diana Rigg, James Mason, Roddy McDowall, Colin Blakely, Dennis Quilley, Nicholas Clay et Sylvia Miles.

Côté intrigues, la force de la romancière britannique et de ses adaptateurs (en premier lieu Anthony Schaffer) est de présenter un panel de représentants de la haute société, réunis autour d’un meurtre, et qui ont tous une raison valable d’être l’auteur du forfait. Face à eux, un enquêteur excentrique et il va de soi que, dans cette catégorie, le personnage d’Hercule Poirot, qu’il soit interprété par Finney ou Ustinov, tous deux délicieusement belges, est le plus savoureux, du moins au cinéma. La Miss Marple campée par Angela Lansbury dans Le miroir se brisa est beaucoup moins secouée que la romancière jouée par la même actrice dans Mort sur le Nil. Peut-être le rôle de la détective créée par Agatha Christie a-t-il trop été marqué par Margaret Rutherford dans les cinq films qu’elle tourna entre 1961 et 1965 et Angela Lansbury n’a pas voulu se mesurer à ce fort modèle d’excentricité.

 

 

Après L’Orient-Express, Mort sur le Nil est une autre réussite flagrante. Dans les décors magnifiques de l’Égypte, Ustinov est un Poirot apprêté et flegmatique, qui insiste sur sa belgitude. « Vous êtes un espion français », lui reproche-t-on. « Non, belge ! Un espion belge ! » « Vous n’êtes qu’un parvenu français », entend-il encore. « Non, belge ! Un parvenu belge ! » Le film est largement traité comme une comédie, ce que prouvent par exemple la séquence du tango ou celle des voyageurs tentant de monter qui sur des ânes, qui sur un chameau. Ce qui n’amenuise pas, loin de là, l’énigme policière.

 

 

Changement de registre avec Le miroir se brisa. D’abord parce que l’enquête n’est plus menée par Hercule Poirot mais par une Miss Marple plutôt en retrait, vu qu’elle est victime d’une entorse à la cheville. Et le film, qui se déroule pendant un tournage américain en Angleterre, se veut un hommage parodique à l’art cinématographique. Tout commence d’ailleurs en noir et blanc par une scène façon Cluedo, typiquement Agatha Christie, où l’on a réuni d’éventuels coupables pour en désigner un. La séquence est interprétée par des comédiens britanniques bien connus du public (Anthony Steel, Nigel Stock, Dinah Sheridan…) et est en fait un film dans le film. Un film qui d’ailleurs casse, au grand désarroi de ceux qui le regardent dans une salle paroissiale (retour à la couleur). Heureusement que Miss Marple, spectatrice, a tôt fait d’expliquer le pourquoi du comment aux autres.

 

 

Ainsi, tout au long de l’enquête menée sur le terrain par le neveu de Miss Marple qui est inspecteur (cinéphile) à Scotland Yard (Edward Fox) et par la vieille dame elle-même, de chez elle, les clins d’œil au cinéma abondent. Rock Hudson explique à un quidam la différence qui existe entre un réalisateur et un producteur. Elizabeth Taylor, la star du film, regarde dans un miroir les poches qu’elle a sous les yeux : « Partez, leur dit-elle, partez et allez chez Doris Day ! » À ses côtés, Rock Hudson fait une drôle de figure. C’est que l’acteur a souvent été le partenaire de Doris Day. Miss Marple elle-même lâche dans une conversation ce qu’elle a lu sur Hollywood : « Sous le faux clinquant se cache le vrai clinquant », ce qui est un des leitmotivs du film. On notera en outre, dans une scène, la présence d’un figurant qui n’est autre que Pierce Brosnan.

 

 

Meurtre au soleil ramène Hercule Poirot sur le devant de la scène, toujours joué par Peter Ustinov. Après un beau générique sur fond d’aquarelles peintes par Hugh Casson, le premier plan est celui d’Hercule Poirot dans une vitrine. Le détective raffiné, ridiculement raffiné pourrait-on ajouter (il faut le voir dans son peignoir de bain) va être confronté à de riches parvenus qui opposent à sa distinction une vulgarité tapageuse. Il faut entendre le yachtman Colin Blakely parler de sa danseuse de revue de maîtresse (Diana Rigg, tout aussi sexy que dans Chapeau melon et bottes de cuir) et du bijou qu’il lui a offert « contre trois jours de pelotage par gros temps ». Ou, plus tard, cette même Diana Rigg annoncer : « En tant que chorus girl, j’ai déjà donné pour la jambe en l’air et le grand écart. »

 

Une fois de plus, l’intrigue est bien menée, le dénouement surprenant et l’on ne pourra que prendre plaisir, ce 4 avril, à se précipiter en salles revoir ces grands classiques.

Jean-Charles Lemeunier

Le crime de l’Orient-Express, Mort sur le Nil, Le miroir se brisa et Meurtre au soleil : ressorties en salles par Studio Canal et Carlotta le 4 avril 2018 en versions restaurées inédites, vost + vf.


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