Après une carrière dans le porno, Fabiola, la trentaine, revient dans sa famille. Elle retrouve son père, veuf et éteint, et sa sœur ainée. Elle tente un nouveau départ, une vie “normale”, mais les obstacles et les incompréhensions s’accumulent…
Quand une ancienne actrice porno a un doux visage, des cheveux à la garçonne et une voix discrète, le propos du film s’en ressent forcément, et avec élégance. Pas de voyeurisme, de sous-entendus, mais une volonté d’élargir le destin de l’héroïne à une fable universelle sur les difficultés de se réinventer, et de s’affranchir du terroir familial.
Le retour de Fabiola (titre original : La retraitée) arbore un ascétisme, une réserve, qui dénote avec le passé de l’héroïne… La caméra enregistre plus qu’elle ne traque les remous que vit Fabiola pour creuser son sillon. Ni tape à l’oeil ni rince l’œil pour deux sous, le cinéma de Jairo Boisier touche juste.
C’est le combat du pot de terre (Fabiola, si fragile finalement) contre le pot de fer (les on-dit, les messes basses) du village. Après tout dans “La mauvaise réputation”, Brassens ne parlait-il pas des “braves gens” en sous-entendant qu’ils n’étaient pas si braves que ça ?
Après avoir pris un boulot dans une déchèterie, Fabiola tente de resserrer les boulons avec sa famille : son père donc, mais aussi sa sœur aînée, les voisins et plus largement avec le monde “normal”.
Fabiola, qui veut échapper au monde de l’image, va, ironiquement, y éduquer son père, en achetant un ordinateur, qu’elle place au centre de la maison familiale.
Mais si aujourd’hui dans les médias, l’expression “double peine” fait flores, dans le cas de Fabiola, il s’agit plutôt d’un sentier douloureux, d’un chemin de croix discret. Le “X” qui qualifiait son cinéma devient le “X” symbole de “sans issue”.
Or, comme pour tout commerce, le porno n’existe que parce qu’il y a du public. Et dans un sens, les voyeurs sont autant “coupables” que les acteurs. En revenant dans sa campagne, Fabiola découvre que rien ne lui sera facile. Son ardoise l’attend. Comme cette voisine qui lui vend l’ordi mais ne concède aucun rabais. Petites mesquineries entre voisins…
Fabiola paie pour ce qu’elle n’est plus, et le paie cher. Quand son nouvel employeur (Moises, un prénom symbolique ?) finira par lui demander des faveurs sexuelles, Fabiola, dans un des plus beaux plans du film, se retire dans sa chambre, et s’allonge. Son corps, ballotté, vendu dans son ancienne vie, est maintenant au repos.
Hypocrite, le patron virera Fabiola, pour ne pas que son fils (employé lui aussi à la déchetterie) “se branle devant les films de sa collègue”.
Par la parcimonie de sa caméra, Jairo Boisier ouvre paradoxalement le champ des possibles. Nous observons sans en perdre une miette le désir de rédemption de tout renégat qui s’amende. En nous immergeant dans l’intérieur d’une ville et d’une famille, nous prenons du champ. La caméra semble dire, parfois : “Et vous comment réagiriez-vous face à Fabiola ?”. Des plans très subtils (notamment quand Fabiola est assise au pied de sa soeur) montre les ravages de la morale bien mieux que n’importe quelle tirade.
Le retour de Fabiola est aussi une fable. Car Fabiola, le vilain petit canard, finira par amener les autres à la parole, à se libérer Le père, veuf et abattu par la vie, admet qu’il a réussi dans son travail mais pas avec ses filles… Georgina, la grande sœur, s’ouvre peu à peu… Et « Tarantula », le jeune homme attiré par Fabiola, admettra finalement d’être éconduit. Et grandira.
Fabiola l’admet elle-même à la fin : “Je ne sais pas si çest moi ou les autres…”. Dans une culture catholique, la femme adultère (à qui il faut pardonner, selon la bible) n’a pas encore l’actrice porno comme comparse.
Fabiola peut alors laisser les larmes l’envahir. Et nous la comprenons car jamais Jairo Boisier ne nous a demandé de le faire sur commande.
Pierre Gaffié
pierre@different.fr
LE RETOUR DE FABIOLA
Réalisation : Jairo Boisier
Scénario : Jairo Boisier
Interprètes : Paola Lattus, Catalina Saavedra, José Soza, Hernando Lattus…
Photo : Raul Heuty
Production : Gregorio Gonzalez, Céline Imart, Jorge Lopez Vidales
Origine : Chili
Durée : 1h42
Sortie française : 24 juin 2015