Directeur du festival Lumière, Thierry Frémaux le précisait, le soir de la remise du prix Lumière 2019, ce 18 octobre à l’amphithéâtre du centre des congrès de Lyon : malgré plusieurs sollicitations, Francis Ford Coppola n’était pas chaud pour recevoir cette reconnaissance. L’humilité du cinéaste fut en effet le maître mot de tous les comptes rendus de la cérémonie.
« Je n’étais pas préparé à cela mais j’ai bien fait de ne pas me préparer car il n’y avait aucun moyen d’anticiper les choses que vous avez dites, a-t-il déclaré une fois monté sur scène, après des hommages rendus par Nathalie Baye, qui fut jurée à Cannes quand Coppola était président, Bertrand Tavernier et Bong Joon-ho. J’ai été très touché par les mots de Bertrand Tavernier. Et aussi de Bong Joon-ho, car c’est précisément ce pour quoi je fais ce travail. Quand vous faites un film et que vous le lâchez dans la nature, vous n’avez aucune idée de ce qu’il va déclencher. Je deviens immortel grâce à vous. Et vous deviendrez immortel grâce au prochain. Cette vision, je l’ai moi-même volée à Balzac. On lui disait : “Il y a des jeunes qui plagient vos écrits”. Et il répondait : “Mais, c’est bien pour ça qu’ils existent !” Je pense comme lui. »
Mais remontons un peu le temps de la soirée. La salle était pleine mais, à cela, rien d’étonnant : il faut s’y faire, toutes les salles le sont pendant le festival Lumière. C’était la grande fête du « cinéma classique » ainsi que le précisait Thierry Frémaux : « Classique, comme on le dit de la littérature. Ce qui est mieux que de parler de films anciens ou de films de patrimoine. »
Entre une interprétation par Jeanne Cherhal au piano de Parle plus bas, la fameuse chanson du Parrain, et celle d’un air de L’Arlésienne de Francesco Cilea par le ténor John Osborne, on put découvrir quelques films en 75 mm, inventés par les frères Lumière à l’occasion de l’expo universelle de Paris, en 1900. Et entendre les félicitations adressées à Coppola en vidéo par sa fille Sofia et par James Gray. Plus tard, Alain Chamfort chantera encore un air de Joe Dassin, que Coppola apprécie.
C’est donc Bong Joon-ho qui enfonça le clou le premier : « Francis Ford Coppola a changé l’histoire du cinéma. » Cette déclaration somme toute un peu trop forte et appuyée entraîna dans son sillage une élégante valse entre l’humilité et la grandeur. Bong, lui-même détenteur de la plus récente des Palmes d’or, se faisait tout petit devant le Maestro qui, lui-même (voir la citation plus haut), était gêné — et heureux et flatté — d’accéder ainsi à l’immortalité.
« J’ai toujours vu vos films au cinéma, poursuivait Bong Joon-ho : Tucker, Dracula, Les gens de la pluie… Quand j’étais jeune, je n’ai pas pu voir Apocalypse Now parce que, dans mon pays, il n’a pas pu sortir en salles. En 1979, la Corée vivait sous une dictature militaire et le film a été censuré neuf ans et je ne sais pas pourquoi. Quand on voit le personnage interprété par Robert Duvall, je me dis que les soldats qui tenaient le pays auraient pourtant dû être fiers. Quand je suis allé à l’université en 1988, le film était enfin sur les écrans et je suis allé le voir le premier jour de sa sortie. Ce fut un choc incroyable. Après, j’ai vu le documentaire tourné sur Apocalypse, où Coppola se questionnait sur ce que serait le cinéma dans le futur. »
« Je me disais qu’un gamin avec une caméra pouvait devenir réalisateur. Il m’a donné du courage. Je suis devenu membre d’un ciné-club universitaire et j’ai tourné mon premier court-métrage. Je ne savais pas comment faire un film. J’ai pris une scène du Parrain et je l’ai dessinée. Une où se déroulait un crime, alors que je ne suis pas violent. Mais quand je vois une séquence de meurtre, ça m’excite. C’était celle où Luca Brasi se prend un couteau dans la main et se fait étrangler. J’ai dessiné chaque plan et me suis demandé : comment fait-on pour faire un film ? Pourquoi ce plan suit-il celui-là ? Pourquoi l’acteur regarde-t-il dans cette direction ? Aujourd’hui, Coppola est en face de moi et je suis encore tout tremblant. »
Après les remerciements et cette idée de l’immortalité acquise grâce aux autres, Francis Ford Coppola s’est replongé dans ses souvenirs. « Je me revois petit garçon assis au bord du trottoir à regarder passer une parade. Je ne rêvais que d’une chose : en faire partie. Je n’ai jamais voulu mener la parade mais pas non plus en être exclu. Juste en faire partie. Ce soir, vous m’avez donné l’impression d’appartenir à ce groupe. Ce soir, ce qui manque au monde, je les ai trouvés ici : la convivialité, l’enthousiasme et la célébration. »
Jean-Charles Lemeunier