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« Depardieu par Mocky » : Des contes autant moraux qu’anarchistes

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Depuis la disparition du cinéaste en août dernier, on ne cesse de célébrer ici ou là l’un ou l’autre des films grinçants de Jean-Pierre Mocky. ESC Éditions en a ainsi ressorti plusieurs en DVD, et non des moindres : des premiers films à sketches (Les dragueurs, Les vierges) à la formidable série interprétée par Bourvil (Un drôle de paroissien, La cité de l’indicible peur, La grande lessive, L’étalon), des petits bijoux tels que Les compagnons de la marguerite aux grands films politiques (Solo, L’albatros, Le piège à cons, Y a-t-il un Français dans la salle ?), en passant par L’ibis rouge, Le furet et Le témoin. Bref, l’excellence est au programme. Moins connue est la prolifique production télévisuelle de Mocky. Et moins connus encore sont les trois petits films réalisés dans ce cadre avec Gérard Depardieu. Oui, vous avez bien lu, Depardieu chez Mocky pour la première fois en DVD est ce que propose ESC depuis le 10 décembre. Trois films datant de 2015, mis en musique par Vladimir Cosma et adaptés de deux nouvelles de Tchekhov et d’une autre parue dans Alfred Hitchcock Magazine.

 

 

Ces trois contes moraux détonnent dans la filmo de Mocky. Si, à première vue, Le magicien et les siamois peut s’en rapprocher, les deux autres films adaptés de Tchekhov, Agafia et Le rustre et le juge, semblent s’en éloigner. Pourtant, à y regarder de plus près, plusieurs thématiques se retrouvent dans ces trois courts, des thématiques qui ont fait les riches heures de la carrière de Mocky. Certes, on restera forcément sur sa faim, le réalisateur ne pouvant développer en une vingtaine de minutes toute la fantaisie qu’on lui connaît. Ces trois films sont des curiosités et, comme il était précisé plus haut, la partie émergée d’un gigantesque iceberg que représente la production TV du cinéaste, largement ignorée.

 

 

Commençons par Agafia, dans lequel Depardieu retrouve son vieux complice Pierre Richard. La trame est simple : dans la campagne qui entoure un village, vivent deux ermites (Depardieu et Richard). Si l’un (Pierre Richard) se contente de pêcher et philosopher — dans la nouvelle de Tchekhov, il est le narrateur —, l’autre (Depardieu) donne aux femmes ce que leurs maris ne leur accordent plus : de l’attention. Et mieux : de l’attention sexuelle. On se retrouve bien sûr pas loin de L’étalon (1970), dans lequel Francis Terzian, enfermé dans sa caravane, satisfaisait toutes les dames des environs. Au générique, on mentionnait que l’idée originale venait de Bourvil qui, dans le film, était celui qui initiait ce « service public ». Avait-il lu le grand auteur russe ?

 

 

Restons avec Tchekhov. Dans Le rustre et le juge, Gérard Depardieu incarne le premier et Philippe Duquesne le second. Le rustre est convoqué au tribunal pour tapage alcoolique et se retrouve confronté au juge… qui n’est autre que son ancien camarade de beuverie. Et il s’avère que, tout juge qu’il soit, le bonhomme a des secrets, connus du rustre, qu’il vaudrait mieux taire. On retrouve dans cette histoire le Mocky rebelle qui, tout au long de sa filmographie, n’a cessé de combattre l’hypocrisie bourgeoise de la société. Chez lui, les politiciens, les juges, les flics, les notables sont rarement recommandables. Et il le prouve une fois de plus dans Le rustre et le juge. Que ce soit dans Ville à vendre, Chut ! ou bien d’autres films, Mocky a toujours pourfendu les vices de la haute société. Ici, on entend Depardieu éructer : « Saloperie de justice ! » Et le cinéaste de placer sur le banc des accusés les deux personnages, juge et rustre, et de mettre en face d’eux un nouveau juge qui, lui aussi… Mocky serait-il un anar moraliste ? Sans doute.

 

 

Le magicien et les siamois, le troisième film, s’apparente beaucoup plus à la galaxie Mocky. Ainsi, joue-t-il du physique particulier de ses interprètes. Guillaume Delaunay, avec qui le cinéaste a déjà travaillé (Le dossier Toroto, Le mentor, Le don d’Iris, Les compagnons de la Pomponette, Votez pour moi), est un géant de plus de 2 mètres que Mocky associe à Christophe Fluder et son mètre 22. Lequel est lui aussi l’un des visages récurrents des derniers films de Mocky (Monsieur Cauchemar, Le cabanon rose). Ces deux acteurs sont dignes des trognes qui peuplaient ce que l’on a appelé le Mocky Circus, de Jean-Claude Remoleux à Antoine Mayor, de Dominique Zardi à Jean Abeillé. À leurs côtés, Mocky place deux frères siamois qui ont un bras en commun et ne peuvent se faire opérer. « Ça coûte un bras, l’opération », se plaignent-ils. Quand il s’y décident, ce sera par un duo de chirurgiens siamois eux aussi mais rattachés par le dos, tandis qu’un chœur d’infirmières les accompagnent. Ajoutons à cela un magicien (Gérard Depardieu) tombant systématiquement amoureux de ses partenaires qui lui préfèrent toujours quelqu’un d’autre. C’est loufoque, surréaliste. Du Mocky pur jus.

Jean-Charles Lemeunier

« Depardieu par Mocky » pour la première fois en DVD. Sortie par ESC Éditions le 10 décembre 2019.


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