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« Le Mans 66 » de James Mangold : des racines et diesel

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Prenant pour toile de fond la rivalité Ford/Ferrari dans leur conquête de suprématie et de renommée, Le Mans 66 de James Mangold est autant un tourbillon d’émotions à 7000 tours/minutes qu’un remarquable film de contrebandier lorgnant autant du côté de Michael Mann que des sœurs Wachowski. Autrement dit, une mécanique narrative parfaitement huilée !

Même en n’étant pas amateur de sport mécanique, ce film est incroyablement passionnant car au-delà de remarquables séquences de courses, il développe avant tout une histoire sophistiquée de conquête, d’amitié, d’amour même. James Mangold y fait une nouvelle fois la preuve de son talent de metteur en scène habité par un classicisme presque suranné en ces temps de montage frénétique (comprenez qu’il prend le temps de composer ses cadres, d’installer ces personnages autrement que par trois blagues et deux poses, de développer un récit cohérent). Mangold s’est fait remarquer en 1997 avec Cop Land (où un Sylvester Stallone totu cabossé renaissait en tant qu’acteur), puis a enchainé avec les excellents Identity et Walk The Line, le formidable western 3h10 pour Yuma, le mésestimé Night And Day (avec Tom Cruise) et dernièrement le crépusculaire Logan. Une filmo solide dans laquelle Le Mans 66 fait figure de sommet puisque s’y exprime la quintessence de son cinéma et de son appétence pour les personnages marginaux refusant le cadre trop étriqué que le système tente de leur imposer.

Engagé par l’héritier Ford pour mettre au point un bolide capable de détrôner Ferrari sur le circuit des 24 heures du Mans, Carrol Shelby (Matt Damon), lui-même ancien pilote émérite, va s’allier à Ken Miles (Christian Bale), véritable chien fou derrière un volant qui ne supporte pas la demi mesure et les compromis dans la vie comme sur l’asphalte, qui sera chargé de tester les différentes versions afin d’apporter son expertise sur les améliorations à apporter. Deux fortes personnalités qui n’auront de cesse de s’affronter.
Outre, cette opposition entre deux amis dont les points de vue divergent quant à la conduite à tenir face aux investisseurs (Shelby est plus diplomate), le film est également travaillé par l’opposition entre deux conceptions du prestige. Pour Ford, c’est vendre des voitures et pour y parvenir, il faut imposer son nom sur la plus grande scène, celle des 24 heures du Mans. Remporter la plus grande course automobile au monde n’est donc qu’un moyen. Tandis que pour Ferrari, à la tête d’une entreprise plus familiale et artisanale, c’est son but ultime. L’important est de gagner mais avec la manière, avec la prestance requise par le cadre et ce que la marque Ferrari représente.
De ce point de vue là, Ken Miles se rapproche plus de l’état d’esprit d’Enzo Ferrari, il veut batailler à la loyale et que le plus talentueux gagne. Dès lors, se déroulera une troisième opposition au sein même de l’empire Ford entre la nuée de costards cravates pensant en analyses financières et performances mécaniques et Miles vibrant aux courbes de la route et à l’écoute de la machine qu’il conduit. Son pote Shelby sera pris entre ces deux feux et tentera tant bien que mal à faire la jonction.

Tiré de faits réels, le film de James Mangold est donc à la fois le récit de la confrontation entre deux firmes et l’histoire d’amitié forte entre Miles et Shelby. Deux personnages aux tempéraments différents qui parviendront pourtant à communier de diverses manières dont deux fois par le biais de la course et les gestes à accomplir pour dépasser et se dépasser.
Les séquences de course sont fantastiques en termes de découpage, d’excitation et d’immersion. Un travail de montage qui n’aurait pas grande valeur sans la maestria de Mangold pour y inclure les enjeux narratifs développés grâce à ses personnages parfaitement campés et incarnés. On est loin de la folie graphique de Speed Racer des Wachowski mais on y pense pourtant au détour de quelques scènes, notamment lorsqu’il s’agit de ressentir la conduite plutôt que de piloter proprement dit. Et évidemment, dans la confrontation entre un mercantilisme mortifère et la manière de s’exprimer à travers son Art.
Par ailleurs, dans le film de Mangold, cela se double d’un discours sur la façon dont les créateurs peuvent résister au diktat des commanditaires qui peuvent parfois aller à l’encontre du projet artistique. Shelby et Miles incarnent ainsi à merveille Mangold le cinéaste qui tente d’imposer sa vision à un système de financement (Ford et ses sbires) avant tout conduit par une vision rationaliste de l’art.

Le Mans 66 est notamment produit par Michael Mann qui développe de son côté un biopic sur Enzo Ferrari. Et c’est on ne peut plus logique, voire même évident que l’auteur de Heat se soit intéressé à cette rivalité et qu’il en ait confié la direction à Mangold tant les deux cinéastes ont en commun une certaine approche de leurs personnages. Ce qu’écrit Axel Cadieux dans son essai consacré à Michael Mann, on peut aisément l’appliquer à James Mangold dans toute sa filmographie et plus encore ici : « …a construit depuis ses débuts des personnages complexes, broyés par le doute mais animés d’un foi inébranlable en leur individualité. Ils incarnent une liberté passant par l’affirmation de soi et le rejet d’une autorité préétablie qui imposerait ses normes. »

Passé un peu sous les radars en 2019, Le Mans 66 était pourtant le film parfait pour illustrer et clôre la décennie 2010 et lancer la suivante. Pied au plancher…

Nicolas Zugasti

FORD V FERRARI
Réalisateur : James Mangold
Scénario : Jez et John-Henri Butterworth, Jason Keller
Production : Dani Bernfeld, Peter Chernin, James Mangold, Michael Mann …
Photo : Phedon Papamichael
Montage : Andrew Buckland, Michael McCusker, Dirk Vestervelt
Bande originale : Marco Beltrami & Bck Sanders
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h32
Sortie française : 13 novembre 2019

 

 


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