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« Les lèvres rouges » de Harry Kümel : Scarlet Countess

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Levres rouges

« Mourir est une chose sérieuse, écrivait l’écrivain belge Jean Ray dans Malpertuis, et il ne faut surtout pas se presser. » Harry Kümel, qui tourna le film tiré de ce roman en 1972, avait-il déjà en tête cette phrase quand il travailla sur le scénario des Lèvres rouges, un ou deux ans avant ? Ces Lèvres rouges que Malavida ressort en salles ce 11 mars et qui méritent vraiment qu’on y dépose autre chose qu’un fugace baiser.

Car le film est fascinant et la citation de Ray colle parfaitement au propos. Comme quoi Harry Kümel est un cinéaste qui avait de la suite dans les idées. Il existe chez les Belges un univers qui n’appartient qu’à eux, mêlant tout à la fois le fantastique, le surréalisme et un sentiment appuyé de solitude devant un pays si plat et tellement noyé de brumes et de pluies. Que dire alors d’Ostende, telle que la filme Kümel dans Les lèvres rouges ? « On voyait les chevaux de la mer qui fonçaient la tête la première et qui fracassaient leur crinière devant le casino désert… » me soufflent Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon dans leur chanson Comme à Ostende. Datée de 1960, celle-ci aurait pu servir de bande-son aux Lèvres rouges tant son texte semble accompagner les images que nous livre Kümel : « Comme à Ostende et comme partout, quand sur la ville tombe la pluie et qu’on se demande si c’est utile, et puis surtout si ça vaut le coup, si ça vaut le coup de vivre sa vie. »

 

 

Reprenons du début : un jeune couple (les assez pâlichons Danielle Ouimet et John Karlen) fait l’amour dans un train puis débarque à Ostende, d’où il doit s’embarquer pour l’Angleterre rencontrer la mère du monsieur. Ils font la connaissance de l’étrange comtesse Elisabeth Bathory, interprétée par la sublime Delphine Seyrig, tout à la fois forte et fragile, inquiétante et attirante. Ceux qui sont au fait des gousses d’ail et autre absence de reflet dans un miroir auront immédiatement repéré le nom de ce personnage historique qui prenait des bains de sang de jeunes vierges pour effacer ses rides et qui fut l’héroïne de plusieurs films : entre autres Comtesse Dracula, sorti la même année que Les lèvres rouges, mais aussi Contes immoraux de Walerian Borowczyk, La comtesse de Julie Delpy et Cérémonie sanglante, dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes. La dame est donc un vampire et ce n’est pas spoiler que le dire, le film reposant sur cet argument.

La question se pose alors, comme elle se posait déjà dans Cérémonie sanglante : sommes-nous réellement en présence d’un film fantastique ou plutôt d’un manifeste féministe qui montre combien les hommes peuvent se montrer violents et lâches et comment les femmes, de par leur pouvoir de séduction, peuvent mener la danse ?

 

 

Outre le sujet et l’atmosphère envoutante de ce grand hôtel vide que borde une plage déserte, outre ces curieuses silhouettes du portier de l’hôtel et du flic retraité sans parler de la mère du jeune marié, outre cette détresse qui peut se lire sur le visage d’Andrea Rau, accompagnatrice et victime de la comtesse, Delphine Seyrig est l’atout majeur de cette partie de poker menteur à laquelle se livrent les trois personnages principaux. À l’instar de la Scarlett Empress jouée par Dietrich devant la caméra de von Sternberg, Delphine est la Scarlett Countess de ce divertimento, comme on le dit d’une pièce musicale où le nombre d’instrumentistes est réduit mais la qualité réelle.

 

 

Après un temps d’évaluation des différents adversaires, le jeu va pouvoir commencer, l’action déborder de l’hôtel pour se transporter à Bruges ou sur une plage, et l’on comprend rapidement que les enjeux sont de taille. La force de Kümel et de ses scénaristes (Pierre Drouot, Jo Amiel et le vétéran Jean Ferry, qui travailla principalement avec Clouzot mais aussi Carné, Yves Allégret, Christian-Jaque, Riccardo Freda, Luis Buñuel et que Kümel recontactera pour Malpertuis) est de ne jamais dire les choses franchement. Le doute plane et rien n’est jamais sûr : pas plus les orientations sexuelles que l’amour que se portent les gens ou les envies qu’ils affichent. Tout reste dans l’entre-deux et c’est ce qui rend tellement attirantes ces Lèvres rouges.

Jean-Charles Lemeunier

Les lèvres rouges
Année : 1971
Origine : Belgique
Réal. : Harry Kümel
Scén. : Pierre Drouot, Jean Ferry, Harry Kümel, Jo Amiel
Photo : Eduard van der Enden
Musique : François de Roubaix
Montage : Harry Kümel, August Verschueren
Durée : 96 minutes
Avec Delphine Seyrig, John Karlen, Danielle Ouimet, Andrea Rau, Fons Rademakers…

Ressortie en salles par Malavida Films le 11 mars 2020


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