En ouvrant son film sur un meurtre qui se déroule dans un camp militaire en Inde, en 1944, le Britannique Guy Hamilton, futur réalisateur de plusieurs James Bond, titille forcément notre intérêt. Man in the Middle (L’affaire Winston, 1963), que BQHL ressort en DVD et Blu-ray, ne fait pas partie des films les plus réputés de son interprète principal, Robert Mitchum, alors qu’il mérite vraiment le coup d’œil pour son atmosphère et cette vision ironique typiquement british. Ainsi, peut-on imaginer dans un film américain une liaison entre un officier de l’Oncle Sam et une métisse franco-chinoise ? Et une production US peut-elle montrer aussi clairement que le couple va finir la nuit dans un lit, sans tomber dans le romantisme fleur bleue et les violons ? C’est pourtant ainsi que tout se passe dans L’affaire Winston. Une soirée est donnée et le soldat Robert Mitchum et l’infirmière France Nuyen vont faire un tour dehors. « Le jasmin s’épanouit la nuit », remarque cette dernière. « Je suis comme lui », répond laconiquement le grand Bob, flegmatique comme jamais mais, dans le cadre de son métier, beaucoup plus raide qu’il nous a habitués à le voir. Alors la jeune femme, qui n’a pas froid aux yeux, répond du tac au tac : « Si vous voulez mon oreiller sur votre conscience, je ne dirai pas non. »
C’est là la grande force de ce plaisant film, y compris de montrer la guerre non pas entre Alliés et forces japonaises mais entre Anglais et Américains forcés de cohabiter. Et le point de départ ressort typiquement de cette situation puisque c’est un officier américain (Keenan Wynn) qui abat de sang froid un sergent anglais (Bill Mitchell). Le haut commandement ricain, représenté par Barry Sullivan, dépêche alors sur place un colonel (Mitchum) qui va devoir devenir l’avocat de l’accusé. Cette enquête menée au sein de l’armée pourrait faire penser au Déshonneur d’Elizabeth Campbell (1999), où les enquêteurs avaient du mal à obtenir quoi que ce soit de la Grande Muette.
N’oublions pas que, dans L’affaire Winston, le scénario de Willis Hall et Keith Waterhouse est tiré d’un roman du très progressiste Howard Fast, lequel inspira également le Spartacus de Kubrick. N’allons donc pas attendre de Fast une quelconque complaisance envers les gradés. Il en profite également, lui qui fut emprisonné pour appartenance au parti communiste, pour régler son compte à la justice. Ainsi le général explique-t-il assez vite à Mitchum qu’il a beau devoir servir d’avocat de la défense, son client est d’ores et déjà coupable au vu de tous. Il ne voulait juste pas « d’un avocat civil à la gomme ».
Le cynisme règne dans cette Affaire Winston et plusieurs lignes de dialogue le montrent bien : « La guerre n’est rien, entend-on, c’est l’après-guerre qui compte. » Un journaliste indien questionne s’il existe une justice « en dehors de la force ». Outre cet entrain largement visible dans les dialogues et dans la description des personnages — Trevor Howard en médecin anglais —, Guy Hamilton nous livre quelques plans de toute beauté, signés en noir et blanc par le chef op’ Wilkie Cooper (Le septième voyage de Sinbad, Jason et les Argonautes) : tel celui où Keenan Wynn se retrouve seul dans la cour de la prison.
Enfin, saluons justement la prestation de ce dernier qui joue si bien la dinguerie avec sobriété, sans trop en faire, sauf peut-être dans la scène finale. L’affaire Winston est une sympathique découverte, d’autant que l’on connaît finalement très mal le cinéma britannique classique, hormis les films de quelques leaders : Alfred Hitchcock, Carol Reed, David Lean, Michael Powell et quelques autres.
Jean-Charles Lemeunier
L’affaire Winston
Année : 1963
Origine : Grande-Bretagne
Titre original : Man in the Middle
Réal. : Guy Hamilton
Scén. : Willis Hall et Keith Waterhouse d’après Howard Fast
Photo : Wilkie Collins
Musique : John Barry
Montage : John Bloom
Durée : 94 min
Avec Robert Mitchum, France Nuyen, Barry Sullivan, Trevor Howard, Keenan Wynn, Sam Wanamaker…
Sortie en DVD et Blu-ray par BQHL le 4 février 2020.