« Ce n’est pas tous les jours qu’on voit le champagne flirter avec le cola. » Cette phrase prononcée par Maurice Ronet dans Le scandale (1967), qui sort en DVD et Blu-ray chez BQHL, accompagné d’un livret signé Marc Toullec, pourrait parler directement du film. Un film réalisé par Claude Chabrol, un des fers de lance de la Nouvelle Vague française, et produit par Universal, une des majors américaines les plus en vue, qui distribuait, à cette époque, les films d’Alfred Hitchcock : Les oiseaux, Marnie et Le rideau déchiré. On sait que Chabrol vouait un véritable culte au cinéaste anglo-américain, à l’instar de son collègue Truffaut, et qu’il lui avait consacré un livre en 1957, cosigné par Eric Rohmer. Une autre preuve du flirt du champagne avec le cola est la présence au générique d’Anthony Perkins, la star du Psychose de Hitchcock, que Chabrol réutilisera quelques années plus tard dans La décade prodigieuse.
On se doute bien que si Universal et Perkins ont répondu à l’appel de Chabrol, c’est que le film comportera une trame policière. Et que, connaissant son auteur, on y trouvera également quelques grands bourgeois dépravés et une sorte de déterminisme langien. N’oublions pas que l’ami Fritz est l’autre grand maître de Chabrol. Le film démarre sur un plan nocturne de l’arc de triomphe, vu à travers le trajet d’une voiture décapotable filmée de dos. Au volant et sur le siège passager – la place du mort –, deux hommes portant tous deux des vestes à carreaux d’assez mauvais goût. On reconnaîtra vite qu’il s’agit d’Anthony Perkins (le conducteur) et de Maurice Ronet (le passager), deux richissimes bourgeois en goguette. Sauf que ce n’est pas si simple. Si Ronet est l’héritier d’une grande marque de champagne, Perkins n’est que l’époux de la riche associée de Ronet (Yvonne Furneaux). Une fois encore, Maurice Ronet tient le rôle d’un riche oisif, dans lequel il excelle depuis Plein soleil. Et, une fois de plus, le personnage d’Anthony Perkins est ambigu, une habitude depuis Psychose.
Tout au long du film, Chabrol va adroitement battre les cartes. Des meurtres ont lieu, on a des doutes sur tout le monde et d’étranges personnages tournent autour des principaux protagonistes : une secrétaire, des amies de Ronet, deux Américains assoiffés de champagne et propriétaires d’une maison de cola, etc. Tournant et retournant tous ces éléments et au milieu de tout cela, on reconnaît bien entendu la patte chabrolienne. On se régalera de tous ces repas filmés avec délectation et humour, surtout s’ils sont perturbés par le son d’une télé – que Chabrol dénoncera encore dans La cérémonie, avec des programmes criards qui envahissent les dialogues. Ici, l’émission est pourtant culturelle, sorte de Questions pour un champion présentée par Pierre Sabbagh. Malgré tout, Chabrol s’en amuse et se livre à un véritable jeu de massacre.
Sa mise en scène joue des plans, premiers et seconds, avec des conversations qui se percutent. Au passage, elle s’appuie sur un détail qui est là en hommage véritable au Maître Hitch : ici, cette fleur dans les cheveux d’Yvonne Furneaux fait forcément penser à Vertigo. Là, une bagarre sur fond de moquette rouge, mais alors vraiment rouge la moquette,ou encore une robe renvoient directement à cette couleur qui perturbait tant le personnage de Marnie. On peut réellement la qualifier d’hitchcockienne, cette mise en scène, tant Chabrol semble s’amuser en amusant le spectateur mais aussi en le perdant parfois, en le manipulant toujours.
Car il s’agit bien entendu d’une histoire de manipulation sauf qu’on ne saura pas jusqu’au bout qui tire les ficelles. Et pour mieux parvenir à ses fins, Chabrol utilise à bon escient les belles images de Jean Rabier, la musique ironique, parfois crispante (la soirée chez Suzanne Lloyd) de Pierre Jansen.
On ne peut qu’admirer cette séquence de la soirée chez la sculptrice, peuplée de personnages hauts en couleurs. « Où trouvez-vous ces créatures ? », questionne Ronet. « Sur les rochers à marée basse », répond Suzanne Lloyd. Le soin est aussi apporté aux décors, très variés, signés Rino Mondellini. Et la fin du film ! Que de trouvaille, d’intelligence, de nouveauté !
Le scandale, cela est vrai, est un film mineur dans la carrière de Claude Chabrol, comportant au début quelques longueurs. Mais s’il vaut la peine d’être vu – et il la vaut –, c’est bien pour cette mise en scène formidablement maîtrisée tout en ne se prenant pas au sérieux. Chabrol, quoi !
Jean-Charles Lemeunier
Le scandale
Année : 1967
Origine : France
Réal. : Claude Chabrol
Scén. : Claude Brulé, Derek Prouse d’après William Benjamin
Dial. : Paul Gégauff
Photo : Jean Rabier
Musique : Pierre Jansen
Montage : Jacques Gaillard
Prod. : Universal
Durée : 105 min
Avec Anthony Perkins, Maurice Ronet, Yvonne Furneaux, Stéphane Audran, Suzanne Lloyd, Henry Jones, Dominique Zardi, Yvan Attal, Christa Lang…
Sortie en DVD et Blu-ray par BQHL le 31 janvier 2020.