La sortie en DVD et Blu-ray chez Carlotta du Crocodile de la mort entraîne quelques questionnements existentiels. Pourquoi certains films deviennent-ils cultes et d’autres noms ? Le premier cas est arrivé à au moins deux films de Tobe Hooper : The Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse, 1974) et le présent Eaten Alive (Le crocodile de la mort, 1977). Il existe curieusement dans ces deux films une sorte de paresse scénaristique et un manque de conviction flagrant de la part du méchant, que ce soit Gunnar Hansen dans le rôle de Leatherface ou Neville Brand dans celui de Judd, à poursuivre des jeunes femmes effrayées en brandissant un outil mortel. Et encore, Judd est-il largement plus crédible.
Les qualités attribuées à Hooper (images granuleuses, bad guys dégénérés, ambiance glauquissime) méritent d’être retenues. Dans le bonus, le cinéaste parle d’une « tranche de quelque chose qu’on ne trouve nulle part ailleurs ». Reste le principal défaut puisque, redisons-le, il en existe un : la répétition des actions. Le crocodile démarre génialement par cette phrase lancée par un tout jeune Robert Englund, futur Freddy Krueger : « My name is Buck and I’m ready to fuck« , dont la traduction française fait beaucoup moins d’effet. La jeune personne ainsi menacée – jouée par Roberta Collins, actrice culte des non-moins cultes Big Doll House et Course à la mort de l’an 2000 – quitte le bordel où cette action se déroule pour aller se réfugier dans l’hôtel que lui a indiqué une brave dame. Quand elle arrive devant ledit bâtiment après avoir traversé une forêt – l’action est située en Louisiane –, on se dit que la première impression sera la bonne et qu’elle devrait prendre les jambes à son cou. Mais, les amateurs le savent, ce n’est jamais ainsi que ça se passe au cinéma et la proie fonce tête baissée vers son destin.
Surgit Judd, le patron des lieux, au look de clodo inquiétant. Neville Brand lui donne une sacrée épaisseur, contrairement aux autres guest stars du film (Mel Ferrer et le regretté Stuart Whitman qui vient de disparaître) qui font plutôt de la figuration. Ce qui est marrant est que cet hôtel qui semble paumé au milieu de nulle part subit soudain une invasion de touristes et voilà qu’après la première jeune fille surgissent un couple avec enfant (le mari est William Finley, le Phantom of the Paradise de De Palma, l’épouse est Marilyn Burns, héroïne de Massacre à la tronçonneuse) puis un deuxième couple puis le Buck du départ. Curieusement, tous ces personnages se retrouvent peu ensemble à l’écran et l’inquiétant méchant, puisqu’il y en a évidemment un, recommencera à chaque fois son même cirque : courir après ses éventuelles victimes pour les donner à bâfrer à son crocodile – il faut bien que le titre soit justifié.
Cette affluence à Plouc City et ce qui s’en suit est justement le signe de la faiblesse du scénario. Suivant les spectateurs, les uns en auront vite marre tandis que les autres crieront au génie pour cette poursuite d’une petite fille dans le soubassement de la maison et pour la rudesse de l’interprétation de Brand qui, d’après Hooper, ne savait retenir ses gestes et était réellement violent sur le tournage. Quelques-uns encore pour les jolis seins de Crystin Sinclaire encore que, comme disaient Les Inconnus, « cela ne nous regarde pas ».
Bien sûr, il ne s’agit pas ici de rechercher le moindre élément psychologique. Nous ne sommes ni dans Psychose ni dans Le génie du mal. Peu importe qui est Judd ni pourquoi il agit de la sorte. Seules comptent la laideur et la violence de ses actes, assorties des hurlements de ses victimes. C’est ce qui semble plaire le plus à Hooper, du Massacre à ce Crocodile : nous donner à entendre des cris horrifiés.
Si le Jaws de Spielberg, dès 1975, fut une sorte de détonateur, reconnaissons à Tobe Hooper son statut de précurseur. Son crocodile tueur fit forte impression puisque les Italiens, fidèles à leur légende, s’emparèrent immédiatement de la bestiole en 1979 avec Le grand alligator de Sergio Martino. Lequel fut suivi de près par Lewis Teague, l’année suivante, avec L’incroyable alligator.
Notons enfin que les bonus sont appétissants puisque, outre des interviews de Tobe Hooper, Robert Englund et Marilyn Burns, ils présentent la véritable histoire du « Boucher d’Elmendorf ». C’est sous ce sobriquet qu’est connu Joe Ball qui, dans les années trente au Texas, nourrissait ses alligators avec les femmes qu’il avait tuées. Nobody’s perfect, sinon pour faire des entrées en salles.
Jean-Charles Lemeunier
Le crocodile de la mort
Année : 1977
Origine : USA
Titre original : Eaten Alive
Réal. : Tobe Hooper
Scén. : Alvin L. Fast, Kim Henkel, Mardi Rustam
Photo : Robert Caramico
Musique : Wayne Bell, Tobe Hooper
Montage : Michael Brown
Durée : 91 min
Avec Neville Brand, Mel Ferrer, Carolyn Jones, Marilyn Burns, William Finley, Stuart Whitman, Roberta Collins, Kyle Richards, Robert Englund, Crystin Sinclaire,
Sortie en DVD et Blu-ray par Carlotta Films le 25 mars 2020, en nouvelle restauration 2K.