La plus grande originalité de The Seven-Per-Cent Solution (1976, Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express), que BQHL sort en DVD et Blu-ray, réside dans la confrontation explosive de deux mythes populaires, l’un fictionnel et l’autre réel : Sherlock Holmes et Sigmund Freud. Le film se partage d’ailleurs en deux parties. La première tourne essentiellement autour de la rencontre, s’appuyant sur les névroses du célèbre détective et son addiction à la cocaïne. Un détail présent dans les livres mais jamais au cinéma, que l’on doit porter au crédit du scénariste Nicholas Meyer, également auteur d’un roman du même titre, paru deux ans auparavant. Dans les récits de Conan Doyle, on sait Holmes adepte de « stimulants artificiels », d’autant plus qu’en cette fin de XIXe siècle, la cocaïne semble être le remède miracle prôné par plusieurs médecins.
Il s’agit bien entendu de ce qu’il y a de plus intéressant et, répétons-le, de plus original dans le film. De ce qui semble aussi être le plus proche de ce que désirait Nicholas Meyer. Ce dernier explique dans le bonus qu’il aurait aimé dirigé le film, ce qui ne put se faire étant à l’époque un parfait inconnu, et qu’en l’état, il reste insatisfait du scénario et du film lui-même. Il est vrai que la seconde partie, avec une enquête qui tombe dans l’escarcelle de Holmes et qu’il va devoir résoudre avec l’aide de Freud, devient plus convenue, plus bondissante – comme si elle s’adressait soudain à un public enfantin –, en un mot moins emballante que ne l’est le début. On remarquera d’ailleurs que le titre anglais, qui mentionne la solution à 7% avec laquelle se shoote Sherlock, correspond davantage à la première partie et que le titre français colle mieux à la suite du récit. Mais la coke n’est pas le seul détail perturbateur de la légende – le terme hérésie démange la langue, même si Doyle a fait état de la manie holmesienne. En ce qui concerne le professeur Moriarty, ennemi juré de Holmes, Meyer n’y va pas par quatre chemins et commet un crime de lèse-majesté que beaucoup de lecteurs assidus de Doyle ne lui ont pas pardonné. Mais qui reste, entendons-nous, très astucieux.
N’oublions pas que nous sommes à une époque où littérature et cinéma adorent bousculer les mythes établis. Pensons un instant à ce que Philip José Farmer, à la même époque, a fait de Tarzan dans une série de bouquins facétieux, jubilatoires et hautement pornographiques. Et comment le western, avec Soldat bleu et Little Big Man, écorche la figure mythique des généraux tueurs d’Indiens à la Custer. Billy Wilder, quant à lui, n’a pas hésité, en 1970 avec sa Vie privée de Sherlock Holmes, à insinuer que Holmes et Watson pourraient former un couple gay. Donc, après tout, pourquoi ne pas montrer le fameux détective comme un camé victime d’un déséquilibre ? Et géniale idée de Watson (et de Meyer), pourquoi alors ne pas aller lui faire consulter à Vienne un certain Dr Freud ? Même l’image de ce dernier est quelque peu bousculée. « Vous accordez une importance aux rêves, docteur ? » questionne Holmes. Ce à quoi Freud répond : « J’ignore ce qu’ils veulent dire. »
Très calé dans la bibliographie de Holmes, Meyer s’amuse à prendre des éléments que l’on retrouve dans l’une ou l’autre des aventures du résident du 221B, Baker Street. Il cite ainsi le chien Toby, que l’on trouve dans Le signe des quatre. Un récit dans lequel, en manque d’enquête et parce qu’il s’ennuie, Holmes s’adonne à son plaisir coupable. Mais le dialogue de The Seven-Per-Cent Solution cite également « la fuite d’un orang-outan dans les égouts de Marseille » et Watson ajoute : « Une histoire que je n’ai pas relatée ». Le film comprend en outre de nombreux éléments piochés ici ou là dans les romans de Holmes, comme ce gros chien semblant tout droit sorti de la lande des Baskerville. Quant à la jolie et flamboyante Lola Devereaux (Vanessa Redgrave) et son ami le très prussien baron von Leinsdorf (Jeremy Kemp), ils pourraient être inspirés par Irene Adler et von Ormstein du récit Un scandale en Bohème. Mais n’oublions pas, comme nous le recommande un carton dès le générique, que « seuls les faits sont inventés ».
Côté interprétation, Nicol Williamson campe un Holmes crédible tandis que le très américain Robert Duvall semble plus incongru dans le rôle du britishissime Watson. Alan Arkin est un savoureux Dr Freud et Laurence Olivier un étonnant Moriarty. On s’étonnera également de voir apparaître au détour d’un bordel notre chanteuse Régine. Malgré cette seconde partie enjouée mais un peu plus faible, autant de raisons pour regarder avec plaisir ce Sherlock Holmes dont le critique du New York Times écrivait qu’il était « l’un des divertissements les plus exaltants de l’année ».
Jean-Charles Lemeunier
Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express
Année : 1976
Titre original : The Seven-Per-Cent Solution
Origine : USA et Grande-Bretagne
Réal. : Herbert Ross
Scén. : Nicholas Meyer d’après son roman et les personnages d’Arthur Conan Doyle
Photo : Oswald Morris
Musique : John Addison
Montage : Chris Barnes
Durée : 113 min
Avec Nicol Williamson, Robert Duvall, Alan Arkin, Vanessa Redgrave, Laurence Olivier, Jeremy Kemp, Régine, Samantha Eggar, Charles Gray, Joel Grey…
Sortie en DVD et Blu-ray par BQHL le 5 février 2020.