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« Les feux de l’été » de Martin Ritt : Le rebelle sur un toit brûlant

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Il existe une sorte de fatalité dans les films américains traitant de ce que l’on appelle le Deep South, le Sud profond. Souvent adaptés de textes de Tennessee Williams ou William Faulkner, ils mettent en scène de riches oisifs blancs sous la coupe d’un père omnipotent. C’était flagrant dans Cat on a Hot Tin Roof (1958, La chatte sur un toit brûlant), que Richard Brooks avait tiré d’une pièce de Tennessee Williams. Ça l’était déjà dans The Long Hot Summer (1958, Les feux de l’été), adaptation par Martin Ritt d’un roman de Faulkner (et de deux nouvelles), sur les écrans cinq mois plus tôt. Ce film était déjà sorti en Blu-ray chez Filmédia en 2012. BQHL le réédite en Blu-ray, augmenté d’un livret de 16 pages. Ajoutons que La chatte sur un toit brûlant et Les feux de l’été ont d’autant plus de liens que Paul Newman en est le flamboyant interprète.

 

 

Autant le dire tout de suite, dans le rôle de Ben Quick, le « boute-en-feu », Paul Newman est magnifique. On discerne constamment dans son regard de l’ironie, une manière de ne pas se prendre au sérieux tout en incarnant parfaitement son personnage, qui force le respect. Les feux de l’été commence par un incendie dont on accuse Newman, obligé de partir en stop le long du Mississippi avant de trouver un lieu d’accueil dans une petite ville dominée par un certain Varner (Orson Welles). Gamin, alors que je lisais les Rubriques-à-Brac, je n’avais pas compris cette double planche dans laquelle Gotlib se moquait du grand acteur-réalisateur et de son nez. D’après Gotlib, Welles portait constamment un faux nez dans ses films. J’ai appris depuis qu’en effet, Welles détestait son nez qu’il jugeait trop petit et, dans chaque film, s’affublait d’un nez postiche. Qui, ici, rend son visage très étrange, très maquillé, ce qui, ajouté au surjeu de l’acteur, dévalorise son personnage au profit de ceux de sa fille (Joanne Woodward), de son fils (Anthony Franciosa), de sa belle-fille (Lee Remick) et de Quick (Paul Newman), tous beaucoup plus sobres. Car si Orson Welles cabotine quelque peu, le reste de la distribution est parfait. D’après ce qu’on peut lire sur le tournage, il apparaît que Welles fut très pénible mais que Ritt ne se laissa pas intimider par sa stature physique et morale (Welles était considéré comme l’un des plus talentueux cinéastes de Hollywood). À tel point que, parmi tous les ragots qui courent dans la capitale du cinéma, on raconta que Ritt était parvenu à apprivoiser Welles et l’avait même dompté. Une référence.

 

 

Martin Ritt saisit parfaitement tout ce qu’il peut tirer de son interprète principal. Les feux de l’été est la première des six collaborations fructueuses entre Ritt et Newman. Et elle est réussie. À peine pourra-t-on regretter la dernière séquence qui semble rajoutée et pas du tout raccord au reste du film – même si elle fait plaisir au spectateur. L’ombre de l’Actors Studio plane sur ces Feux : Martin Ritt y fut l’assistant d’Elia Kazan, Paul Newman, Tony Franciosa et Lee Remick y furent formés. Malgré tout, le film ne souffre pas de théâtralité (comme La chatte) et utilise au contraire à bon escient l’ensoleillement des rives du Mississippi.

 

 

Ritt va suivre l’ascension sociale de Ben Quick, un type qui n’a pas froid aux yeux, ce qui plaît évidemment à Varner. Pour autant, bien que se fixant sur les relations tumultueuses entre Quick et la fille de Varner, le film ne délaisse pas les autres personnages, les dessinant au contraire très précisément en quelques scènes. On pense à Angela Lansbury, la maîtresse de Varner, ou à Richard Anderson, représentant typique d’une « fin de race » sudiste. Et si Newman porte fermement le film sur ses épaules, il trouve en chacun de ses partenaires une base solide sur laquelle s’appuyer également et consolider le travail collectif.

 

 

Véritablement révélé deux ans plus tôt dans Marqué par la haine de Robert Wise, Paul Newman affirme ici l’aisance qu’il a à incarner un personnage indépendant, rebelle. Qu’il soit transpirant dans un débardeur sale ou en costume, il a la classe et l’ironie qui va avec. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le film lui permit d’obtenir le prix d’interprétation masculine à Cannes. Et non seulement Les feux de l’été lui amena une consécration méritée mais c’est à la fin du tournage qu’il épousa sa partenaire Joan Woodward, qui demeura son épouse jusqu’au trépas de l’acteur en 2008. Contrairement à Brando, Monty Clift ou même James Dean, tous adeptes de la Méthode, Paul Newman ne cherche pas ici à donner corps aux tourments psychologiques qui habitent son Ben Quick. Ce n’est peut-être qu’au cours d’une seule séquence qu’il se confesse à Joanne Woodward et lui avoue quel est le drame de sa vie. Ce beau gosse aux yeux bleus, devant qui toutes les portes devraient s’ouvrir, n’est en fait qu’un baratineur de première, capable de vendre au tout-venant des chevaux sauvages ou de faire creuser un jardin à la recherche d’un hypothétique trésor. Comme si sa vie n’était qu’une fuite en avant consécutive à une sorte de malédiction familiale. Paul Newman exprime tout cela sans jamais en faire trop, sans rictus ni gestes démesurés. Et avec ce petit plus qu’indiquent une lueur dans son regard, un petit sourire et une manière franche de regarder son interlocuteur en face. Ritt déclarait, à propos de Newman, qu’il avait une sexualité cool qui était unique dans le cinéma américain et qu’il affichait « une grande promesse de sexe et de danger ».

 

 

Voici justement un autre élément du scénario qui va de pair avec le Sud profond : la sexualité. Comme si la chaleur qui règne exacerbait celle-ci. Lee Remick et Tony Franciosa ne cessent de se courir après, se serrer et finir dans la chambre. Beaucoup plus sage, Joanne Woodward a une amie (Sarah Marshall) qui parle beaucoup de cela et elle-même n’hésite pas, au cours de conversations avec Richard Anderson ou Paul Newman, à aborder le sujet d’une façon très adulte. En cette fin des années cinquante, Hollywood commençait à vouloir se débarrasser des règles trop étriquées imposées par le code de censure. Ce qui rend la mise en scène de Ritt encore plus intéressante à suivre.

Jean-Charles Lemeunier

Les feux de l’été
Titre original : The Long Hot Summer
Origine : USA
Réal. : Martin Ritt
Scén. : Irving Ravetch, Harriet Frank Jr d’après William Faulkner
Photo : Joseph LaShelle
Musique : Alex North
Montage : Louis R. Loeffler
Durée : 116 min
Avec Paul Newman, Orson Welles, Joanne Woodward, Anthony Franciosa, Lee Remick, Angela Lansbury, Richard Anderson…

Sortie en Blu-ray par BQHL le 9 mars 2020.

 


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