Au sein de la belle collection de DVD collectors éditée par Malavida, qui contient quelques joyaux de la Nouvelle Vague tchèque dont nous avons déjà parlé ici et là, on pourra dénicher une curiosité : un dessin animé britannique de 1954 adapté d’un court roman de George Orwell.
On aurait tort de ne considérer George Orwell que comme l’auteur de 1984. On sait qu’à travers cette société dominée par Big Brother décrite dans ce roman de 1948, c’est l’Union soviétique qui était visée. Trois ans plus tôt, Orwell avait déjà publié Animal Farm (La ferme des animaux). En la personne du cochon Napoléon, qui prenait le pouvoir dans la ferme après en avoir chassé son propriétaire, on pouvait une fois de plus reconnaître Staline.
Libertaire, combattant en Espagne avec le POUM (parti marxiste anti-stalinien), proche des anarchistes, Orwell s’est toujours rangé aux côtés des plus démunis et toujours dressé contre les totalitarismes de tout poil. Animal Farm va dans ce sens.
Au départ du projet, en 1951, on trouve le producteur américain Louis de Rochemont. Lequel décide, pour baisser les coûts, d’engager deux cinéastes d’animation britanniques : John Halas et Joy Batchelor. Le but, pour Rochemont, est bien de produire un film anticommuniste. Anti-nazi de la première heure, le producteur a également dans son escarcelle plusieurs films réputés « à gauche », tels le Boomerang (1947) d’Elia Kazan ou Lost Boundaries (1949, Frontières invisibles), film antiraciste d’Alfred Werker. Avec les années cinquante et la poussée maccarthyste anticommuniste, Louis de Rochemont se met à s’engager dans des films ouvertement de propagande. On citera Walk East on Beacon (1952, Le guêpier), toujours de Werker, dans lequel des agents cherchent à mettre la main sur une cellule communiste à Boston. Et, donc, cette Ferme des animaux dont on dit qu’elle fut financée par la CIA dans le cadre de l’opération Mockingbird. Certains critiques ont même regretté que de l’ironie d’Orwell, renvoyant dos à dos le communisme stalinien et le capitalisme, le film n’ait retenu que l’attaque anti-soviétique.
Voir aujourd’hui ce film, près de soixante-dix ans plus tard, ne met dans la balance aucun des enjeux de l’époque. Trotsky (représenté à l’écran par le cochon Snowball, dont Staline/Napoléon se débarrasse) et Staline sont des figures historiques et le capitalisme est devenu le vainqueur toute catégorie. Contesté, certes, et plus que jamais, mais vainqueur tout de même. Découvrir le film aujourd’hui, c’est se dire qu’Orwell était sacrément gonflé de transposer de hauts personnages politiques en cochons, chiens ou poulets. Et que Halas et Batchelor l’étaient tout autant de transformer ce sujet éminemment politique en dessin animé.
Du point de vue de l’animation, cette Ferme offre de magnifiques plans, comme lors de l’incendie, où les images jouent avec le contre-jour du feu. La fluidité, le thème ô combien éloigné de ce que l’on connaît, autant de Disney que des Looney Tunes, font d’Animal Farm beaucoup plus qu’une curiosité, un film réellement fascinant par l’ambition de son propos.
D’un point de vue politique, l’amertume du sujet est magnifiée par ce que l’on vit aujourd’hui, le film déviant même — mais sans doute n’était-ce pas la volonté première — vers un anarchisme salutaire : « Tous les animaux sont frères » déclare un premier panneau apposé sur une planche, sitôt le propriétaire parti. « Tous les animaux sont égaux, certains sont plus égaux que d’autres » lit-on ensuite, après l’arrivée des cochons au pouvoir. Cela pourrait ressembler à du Coluche, cela ressemble terriblement à ce que nous voyons partout dans le monde et ce message que nous livre La ferme des animaux, tel qu’on peut le comprendre aujourd’hui, est de garder de la distance avec tout système politique, de réfléchir avant d’acclamer. “Le crime de penser, écrivait Orwell, n’entraîne pas la mort.” On ne saurait dire mieux dans la confusion ambiante.
On signalera encore dans cette édition un livret de 20 pages et de passionnants bonus sur le sujet-même de l’œuvre mais aussi sa réalisation. Ainsi l’on apprend que, alors que Gordon Heath assure la narration, un seul acteur, Maurice Denham, a donné sa voix à tous les animaux, changeant de registre et d’intonation selon le personnage. Du grand art !
Jean-Charles Lemeunier
La ferme des animaux
Année : 1954
Origine : Grande-Bretagne
Titre originaal : Animal Farm
Réal. : John Halas, Joy Batchelor
Scén. : Joy Batchelor, John Halas, Borden Mace, Joseph Bryan, Lothar Wolff d’après George Orwell
Prod. : Louis de Rochemont
Musique : Matyas Seiber
Durée : 72 min
Avec Maurice Denham, Gordon Heath
Sorti le 26 août 2020 par Malavida en édition DVD collector.