La plupart des cinéastes italiens ont fait leurs classes en regardant par dessus l’épaule de leurs collègues américains. Lesquels avaient beau râler « Arrête de copier », rien n’y faisait. Alberto De Martino ne fait aucunement exception à cette règle d’or. Actif, en tant que réalisateur, de 1961 à 1985 — il a aussi été acteur, dès 1937, dans le Scipion l’Africain de Carmine Gallone mais aussi scénariste et assistant-réalisateur —, De Martino a plus ou moins lorgné en douce (pourquoi en douce, d’ailleurs ? C’était totalement assumé) la copie de Kubrick pour Il gladiatore invincibile (1961), celle d’Aldrich pour De la gloire à l’enfer (1967) ou celle de Coppola pour Le conseiller (1973). Il a parodié les James Bond dans Opération frère cadet, joué par le propre frère de Sean Connery, Neil Connery, et se paie souvent le luxe de sortir son film à quelques mois d’intervalle de celui dont il s’inspire.
Ainsi, pour L’antéchrist dont le DVD vient de sortir chez Le Chat qui fume, ce démarquage inspiré de L’exorciste sort en Italie le 22 novembre 1974 alors que le film de William Friedkin, sur les écrans américains depuis décembre 1973, ne franchit l’Atlantique que l’année suivante pour débarquer à Rome seulement le 4 octobre 1974. Assurément, l’Alberto fait fort !
Même si l’histoire de L’antéchrist est carrément pompée sur le scénario de William Peter Blatty, reconnaissons au scénario de Gianfranco Clerici, Alberto De Martino et Vincenzo Mannino et surtout à la réalisation de De Martino une coloration italienne très attractive. Depuis Mario Bava et Dario Argento, les cinéastes transalpins ont su tirer parti des couleurs vives et des paysages qu’offre leur beau pays. Ici, le rouge est de mise et les plans du palais de Mel Ferrer, du Vatican ou du Colisée sont beaucoup plus attrayants que la grisaille de Washington. Saluons également les décors d’Uberto Bertacca, tel ce couloir qui mène à la chambre de la possédée orné de bustes penchés semblant épier quiconque s’aventure là. L’effet est très fort.
Question trucages, Carla Gravina, démoniaque jeune femme beaucoup plus sexy que Linda Blair, n’a pas la tête qui tourne à 360°, telle sa consœur américaine, mais crache autant de bile verte, tient les mêmes propos de poissonnière et se paie elle aussi des allers-retours du sol au plafond. Le jeu de l’actrice, les yeux révulsés, est tout aussi impressionnant que celui de Linda Blair et elle a la chance d’être entourée par quelques cadors américains en train d’achever tranquillement leur riche carrière à Cinecitta : Mel Ferrer dans le rôle du père et Arthur Kennedy dans celui du tonton cardinal. Ajoutons-y Alida Valli, entraînée aux films d’horreur chez Bava avant de poursuivre avec Argento, Umberto Orsini et la délicieuse Anita Strindberg. Les talents ne sont d’ailleurs pas que devant la caméra : pour la photographie du film, De Martino est allé chercher Aristide Massaccesi, excellent chef-op’ devenu réal de films d’exploitation sous le nom de Joe D’Amato. Et pour la musique, chapeau bas, puis qu’il a fait appel à Ennio Morricone et Bruno Nicolai. Respect !
Bon, l’exorcisme amène toujours son lot de prêtres brandisseurs de croix un peu pénibles. Ici, il faudra quand même pas loin de trois d’entre eux pour tenir tête à Satan. On regrettera, mais c’était aussi le cas chez Friedkin, que tout cela soit très premier degré, sans cette ambiguïté qui habite tout le début de Rosemary’s Baby : est-ce vraiment du satanisme ou la jeune femme est-elle cintrée ? En revanche, très bonne nouvelle : la balance ne penche pas seulement du côté des curés. Ainsi, tout le début de L’antéchrist, qui se déroule au cours d’une cérémonie chrétienne où les foules entrent en transes, ressemble aux errements d’une secte et Carla Gravina, une fois possédée, se conduira comme ces mystiques. Où commence la religion et la foi, où s’arrête la folie et/ou la possession ? Dans un pays catholique comme l’Italie, il est certain qu’on ne peut pas traiter de tels sujets tout à fait de la même façon que les Américains, même si on s’en inspire fortement. C’est là toute la qualité de cet Antéchrist qu’on est heureux de découvrir dans une version intégrale, augmentée d’une présentation très érudite par Francis Didelot et d’un livret de 26 pages comportant de très belles reproductions d’affiches et de photos d’exploitation.
Jean-Charles Lemeunier
Le film sort en DVD chez Le Chat qui fume le 5 avril 2016.
L’Antéchrist
Pays : Italie
Année : 1974
Titre original : L’anticristo
Réalisateur : Alberto De Martino
Scénario : Gianfranco Clerici, Alberto De Martino et Vincenzo Mannino
Images : Aristide Massaccesi
Musique : Ennio Morricone, Bruno Nicolai
Montage : Vincenzo Tomassi
Décors : Uberto Bertacca
Avec Carla Gravina, Mel Ferrer, Arthur Kennedy, George Coulouris, Alida Valli, Umberto Orsini, Anita Strindberg, Mario Scaccia…
