Mettons d’emblée les choses au point. Si vous adorez les films d’auteurs et consommez à outrance les DVD de Godard, Bergman, Welles, Malick ou Fellini, ce film n’est pas forcément pour vous ! Si vous êtes fous de super-héros et connaissez leurs aventures sur le bout des doigts, qu’elles soient en bandes-dessinées ou en 3D sur grand écran, ce film n’est pas forcément davantage pour vous. Car Arrriva Dorellik est, comment dire… quelque chose dont on n’a pas l’habitude, déjà que les héros dont s’inspire le personnage principal de Steno sont enfouis au fond de nos mémoires : les Satanik et autres Diabolik.
À l’origine d’Arrriva Dorellik, on trouve Johnny Dorelli, acteur italien dont peuvent à la rigueur se souvenir ceux qui ne rataient pas les films de Dino Risi consacrés aux monstres du quotidien : Les monstres, Une poule, un train et quelques monstres, Les nouveaux monstres et, enfin, Les derniers monstres. C’est dans ce dernier qu’apparaissait Dorelli, flanqué de sa superbe femme Gloria Guida (pour les amateurs, ils sont toujours mariés à l’heure actuelle), héroïne d’une flopée de comédies sexy. Mais si le public français faisait la quasi connaissance de l’individu seulement en 1982 — allez, même un peu avant puisque Dorelli figure dans le célébrissime Pain et chocolat en 1973 —, il n’en allait pas de même pour les Italiens. Car, dès 1956 avec Calypso, Johnny Dorelli était une vedette de la chanson, suivi en 1958 par le succès de Nel blu dipinto del blu, un air que l’on connaît mieux chez nous sous le titre de Volare et qui remporta tous les suffrages lors du festival de Sanremo en 1958, entonné par Dorelli et Domenico Modugno. Puis notre Johnny s’attaque à la télévision, où il obtient son propre show. Pendant tout ce temps, il apparaît aussi au cinéma, plutôt dans des comédies de Mario Mattoli ou Domenico Paolella. Avant d’accéder à la consécration grâce au premier rôle d’Arrriva Dorellik.
Le film démarre dans un aéroport où un commissaire français (Alfred Adam) et son préfet (Jean-Pierre Zola) attendent le super flic de Scotland Yard, Terry-Thomas. Moustache en crocs et diastème bien visible (normal, il sourit toujours), le héros british de La Grande vadrouille – Tea for Two dans le hammam, c’est lui – va se révéler aussi gaffeur que son collègue Clouseau de la série des Panthère rose, démarrée en 1963, soit quatre ans avant Arrriva Dorellik.
Puis arrrive, avec 3 R, enfin Dorellik. Ce Fantômas du pauvre, gambadant joyeusement sur les toits en se moquant de la police, avec sa tenue noire et sa cape rouge, fait quelque peu pitié. Pas plus tôt commencé, le film bat de l’aile et on se dit que le lourdingue ne tue pas forcément mais ne renforce pas plus que ça l’intérêt du spectateur. D’autant plus que la mise en scène de Steno, déjà riche d’une longue carrière en tant que scénariste et réalisateur, ne fait pas des étincelles. Puis arrrive, avec 3 R, le premier véritable gag. Certes, Castellano et Pipolo, les deux scénaristes d’Arrriva Dorellik, connaissent bien leur métier et Johnny Dorelli, pour qui ils ont travaillé à la télévision et écrit des chansons, dont Arrriva la bomba avec, toujours, 3R. Et ils connaissent aussi parfaitement leurs classiques. Qu’est-ce que le burlesque des années soixante, finalement, si ce n’est la réutilisation des fleurons de la grande époque, de la tarte à la crème aux coups de pied au cul, augmentée d’un certain génie. Blake Edwards, grand pourvoyeur de burlesque à cette époque, en avait, du génie. Castellano, Pipolo et, surtout, Steno sans doute un peu moins mais, l’un dans l’autre, ils ne s’en sortent pas si mal que cela. Parce que, à partir du premier véritable gag, le film démarrrrrre. Et mettez autant de R que vous voudrez !
Quel est-il, ce premier vrai gag ? Une reprise toute simple de ce qu’a fait Pierre Etaix dans son court-métrage Heureux anniversaire en 1962. Parce que Dorellik nargue les policiers sur les toits, ceux-ci se précipitent en voiture. Terry-Thomas se gare, suivi de près par deux autres voitures qui se placent de part et d’autre de son véhicule… et bloquent ses portières, l’obligeant à sortir par le toit ouvrant. Un peu plus loin, c’est le gilet pare-balle de Dorellik qui fait penser au Dictateur (1940) de Chaplin et les flics déguisés en nonnes qui rappellent fortement Un drôle de paroissien (1963) de Mocky. Tout n’est bien sûr pas que reprises et l’on peut rire aussi de Dorellik qui, dans un restaurant où il est entouré d’une nuée de jolies filles, les embrasse toutes et le serveur itou. Ou Terry-Thomas qui a des problèmes avec ses bretelles. Ou le tigre endormi qui devient une grosse peluche. On l’aura compris, une fois que le premier sourire, à défaut de franche rigolade, est esquissé, Arrriva Dorellik vous entraîne dans une succession d’actions toutes plus débiles les unes que les autres qui vous plairont bien, allez, avouez-le.
Les commentateurs savants voient dans Arrriva Dorellik un hommage rendu au fameux Noblesse oblige (1949) de Robert Hamer. Là où un héritier putatif, dans le film britannique, devait se débarrasser des huit personnes placées avant lui sur la liste de l’accès à la fortune, toutes incarnées par le même Alec Guinness, Dorellik a accepté un contrat autrement plus compliqué, puisqu’il doit tuer tous les Dupont. Lesquels ne seront pas joués par le même acteur. Si Noblesse oblige peut servir d’idée de départ, le loufoque de la surenchère ici gagne tout. D’autant plus que la surenchère contamine les gags. En cela, la séquence avec le tigre dans la demeure de Didi Perego enchaîne les catastrophes à un bon rythme. Ajoutons à cela des chansonnettes typiques de l’Italie des années soixante, dont une susurrée par la craquante Margaret Lee, et le tour est joué.
Jean-Charles Lemeunier
Arrriva Dorellik
Pays : Italie
Année : 1967
Réalisateur : Steno
Scénario : Castellano, Pipolo
Images : Mario Capriotti
Musique : Franco Pisano
Montage : Ornella Micheli
Avec Johnny Dorelli, Terry-Thomas, Margaret Lee, Alfred Adam, Jean-Pierre Zola, Ricardo Garrone, Didi Perego…
Sortie en DVD chez Bach Films le 1er février 2016.
