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Malavida Films : Doillon dans la tête

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Le titre de son dernier film, CE2, sorti l’été dernier, le prouve : Jacques Doillon s’est toujours intéressé à la jeunesse. Et s’il fallait une preuve supplémentaire, il suffit d’aller voir les quatre films que Malavida a la bonne idée de ressortir en salles : Les doigts dans la tête (1974), La drôlesse (1979), La femme qui pleure (1979) et La vie de famille (1985). Tous parlent de la jeunesse, de son mal de vivre, des relations amoureuses et de leurs difficultés, du travail, de l’amitié et des rapports avec les parents.

Malavida présente cette rétrospective comme une tournée de rock star puisque, à partir de l’avant-première parisienne du 22 mars, elle séjournera deux jours à Paris (23-24 mars), sera accueillie à Antony (25 mars), Lyon (26 mars), Montreuil (28 mars), Orléans (30 mars), Crest (10 avril), Die (11 avril), Grenoble (12 avril), Chambéry (13 avril), Annecy (14 avril), Dijon (15 avril) et Angoulême (21 avril), se baladera en Bretagne au mois de mai avant de partir, du 9 au 13 juin, vers Aix-en-Provence, Marseille et Port-de-Bouc. Et Jacques Doillon sera présent pour parler avec le public.

« La drôlesse » : Madeleine Desdevises



Il existe, chez le cinéaste, une véritable fascination pour les adolescents. Tout le monde se souvient de la force d’interprétation de Madeleine Desdevises dans La drôlesse mais les ados peuplent aussi ses autres films et l’on pourrait citer Mara Goyet dans La vie de famille et le quatuor vedette des Doigts dans la tête. Doillon aime regarder sans porter de jugement et ce qui se passe alors devant la caméra semble tellement improvisé et naturel que les sujets atteignent un vérisme qui peut parfois mettre mal à l’aise ses détracteurs. Jamais il ne regarde de haut un de ses jeunes acteurs et l’on ne peut que souscrire à ce qu’a écrit sur lui Alain Bergala : « Personne avant lui n’a eu une telle confiance dans sa capacité à faire un film d’égal à égal avec un enfant. »

« Les doigts dans la tête » : Christophe Soto et Ann Zacharias



Il sera beaucoup question d’apprentissage dans cette rétrospective. Dans Les doigts dans la tête, deux jeunes ouvriers, Chris et Léon (Christophe Soto et Olivier Bousquet), l’un travaillant dans une boulangerie et l’autre dans un garage, vont connaître les relations amoureuses avec les filles (Ann Zacharias et Roseline Villaumé), les difficultés avec le patron (Martin Trévières). Ils vont apprendre à vivre. « J’ai envie de vivre un peu. Si c’est ça être égoïste, je suis un égoïste », explique Chris à son amie. Et la vie n’est pas toujours facile. « Si on avait des boulots intéressants et moins de problèmes familiaux », soupire la jeune Suédoise rencontrée dans un bar. Peut-on parler de cinéma vérité ? Les jeunes acteurs, non-professionnels, semblent dire leur partition comme si les phrases leur venaient naturellement, tant les dialogues ne semblent pas fabriqués.

Aux côtés des quatre jeunes gens, tout en fraîcheur, apparaissent quelques acteurs professionnels et des idoles de la contre-culture : le chanteur François Béranger (aperçu dans une soirée), le dessinateur Marcel Gotlib (dans le rôle d’un disquaire).

« La vie de famille » (photo Malavida) : Sami Frey et Mara Goyet



Le cinéma de Doillon est aussi une entreprise familiale. Nombre de ses films ont été montés par Noëlle Boisson, la mère de Lola Doillon. Souvent, à l’écran, apparaissent ses compagnes, filles, belle-fille, beau-frère. Dans La vie de famille, Mara Goyet, la petite fille, est la fille du coscénariste du film, Jean-François Goyet. Et dans ce film, justement, la famille, recomposée, est décrite comme un rien hystérique. Le père (Sami Frey) semble ne savoir s’y prendre avec personne, pas plus sa fille que sa belle-fille (Juliette Binoche), pas plus son actuelle compagne (Juliet Berto) que son ex (Aina Walle). « La vie de famille, c’est pas une sinécure ! » se plaint Sami Frey à la fillette.

Sans être autobiographique, La vie de famille parle beaucoup de Doillon. Par son allure, sa coiffure, Sami Frey lui ressemble et, au cours de l’histoire, il se met à filmer en vidéo sa fille et les scénarios (« scenarii » corrige-t-elle) qu’elle écrit. Avec les problèmes financiers inhérents à toute production professionnelle.

« Depuis que tu n’es plus dans ta maison, on dirait que tu l’aimes bien plus » remarque Élise (Mara Goyet, 11 ans à l’époque, future autrice et pédagogue). Doillon, une fois de plus, décrit le quotidien, ici d’un père déchiré qui ne sait plus où il est le mieux ni avec qui. Un père qui parle de plus en plus doucement, au point de murmurer : « Bientôt, on ne m’entendra plus du tout. » Un père qui cherche à communiquer avec sa fille par le biais d’une caméra — celle-là même qui servait d’outil de surveillance dans La drôlesse —, quand l’enfant objectera qu’on n’a pas besoin de machine pour se parler. Le cinéaste se reconnaît-il vraiment dans le personnage du père, ce personnage dont on dit qu’il voudrait que tout le monde l’aime et que c’est pour cela qu’il est méchant ? Seul Jacques Doillon peut l’infirmer ou le confirmer.

« La femme qui pleure » (Photo Malavida) : Jacques Doillon et Lola Doillon



Dans La femme qui pleure, Jacques Doillon lui-même est acteur. Interrogé par Augustin Trapenard sur France Inter, le cinéaste a expliqué qu’il avait d’abord demandé à plusieurs chanteurs de tenir le rôle — il apprécie apparemment d’embaucher des chanteurs : à part Béranger déjà cité, on peut également mentionner Jane Birkin, Alain Souchon ou Jean-Louis Murat. Tous ceux qu’il avait contactés ayant refusé, Doillon s’est vu contraint d’apparaître dans son propre film. Si bien qu’il eut ensuite des demandes de Jean Eustache et Agnès Varda pour venir jouer dans leurs propres réalisations. « Je veux saloper mes films, leur a-t-il répondu, mes pas les vôtres ! » Ce en quoi il est injuste car il est tout à fait à sa place en tant qu’acteur. Quant au personnage de Dominique Laffin, d’abord proposé à Catherine Deneuve et Miou-Miou, il trouve en cette jeune actrice décédée d’une crise cardiaque à 33 ans l’interprète idéale.

« La femme qui pleure » : Dominique Laffin, Jacques Doillon et Lola Doillon

La femme qui pleure est sans doute le plus abouti des quatre films, stylistiquement parlant. Et ce n’est pas pour rien si ce titre est aussi celui d’une œuvre de Picasso. Doillon ouvre le récit par un véritable tableau (un lit, une femme accroupie qui pleure et un paysage vu par une fenêtre), puis multiplie les cadres dans le cadre avec les ouvertures sur l’extérieur et les murs qui séparent les pièces. Cette fragmentation du plan illustre bien sûr celle des cœurs et des personnages qui se déchirent, avec un homme (Jacques Doillon) entre deux femmes (Dominique Laffin et Haydée Politoff).

Un autre sujet est évoqué dans au moins deux de ces films, celui de l’ambiguïté sexuelle. Le paysan attardé qui enlève la petite fille de 11 ans dans La drôlesse est attiré par elle mais ne montre aucun désir pédophile. Les deux jouent malgré tout au couple, avec les moments tendres et les disputes, et c’est la petite Mado qui va demander à ce que François lui fasse un bébé. Dans La vie de famille, le père joue de sa séduction auprès de sa fille sans que l’on sache vraiment ce qu’il veut d’elle.

C’est là la force du cinéaste, cet entre-deux où se retrouvent plongés ses personnages et qui ressemble tant à la vie. Ce sont ces enfants qui jouent à être adultes (un autre exemple est donné par Juliette Binoche dans La vie de famille) et ces adultes qui n’arrivent à quitter l’enfance. Ce sont ces êtres déchirés recherchant désespérément l’amour qui se trouve sans doute à leur portée mais qu’ils ne peuvent ou ne savent saisir. Des personnages qui semblent détachés de tout (comme le joue si bien Doillon lui-même dans La femme qui pleure) et se retrouvent désemparés face à ceux qui montrent leur souffrance. Ce sont ces mondes séparés (ville/campagne), ces maisons isolées, ces solitudes qui recherchent et refusent l’autre.

Tournés entre 1974 et 1985, ces quatre films de Jacques Doillon sont une porte ouverte sur une œuvre plus vaste encore, plus riche encore, passionnante à découvrir et à fréquenter.

Jean-Charles Lemeunier

Rétrospective « Jacques Doillon, jeune cinéaste » par Malavida : au cinéma le 23 mars 2022.


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