Quand une mélodie de Tchaïkovski se mue soudain en jazz, on se dit qu’on va pouvoir assister à quelques variations du meilleur aloi. C’est ce qui arrive dès le générique d’Una farfalla con le ali insanguinate (Un papillon aux ailes ensanglantées), un giallo de 1971 de Duccio Tessari que Le Chat qui fume a sorti en Blu-ray il y a quelques semaines.
Sitôt après le générique, une phrase a tôt fait de nous prévenir : le présent est le point de rencontre entre le passé et le futur. Il est le seul à exister. Nous sommes à Bergame et, dès le début, nous assistons au meurtre d’une étudiante, jouée par la Française Carole André. Un homme est rapidement arrêté : il s’agit d’un présentateur de la télévision (Giancarlo Sbragia) qui est rapidement écroué.

Suivent alors les investigations de la police scientifique, Tessari se faisant le précurseur des nombreuses séries télévisées qui tiendront le haut du pavé vingt ou trente ans plus tard. Il impose également à son commissaire (Silvano Tranquilli) un gimmick : chaque café qu’on lui sert — et il en boit beaucoup — sera trop amer, pas assez ou trop sucré, trop chaud ou trop froid.

Comme un morceau musical, la mise en scène présente des accélérations, des ralentissements, quelques ellipses et, surtout, des plans où tout est dit. On pense à cette séquence de repas familial où un riche oisif (Helmut Berger) déjeune avec ses parents : la pièce est filmée au grand angle, le bois massif autour duquel sont installés les trois convives est immense et chacun d’eux est encore plus éloigné des autres que Poutine et Macron dans la célèbre image où ils discutent autour d’une table blanche géante.
Dans un genre aussi codifié que le giallo, les bons cinéastes se sont toujours amusés à glisser des notations enrichissantes, portant sur le sujet un éclairage inédit. Ici, Tessari ironise sur l’hypocrisie de la bourgeoisie, place soudain dans une image une banderole sur laquelle est inscrit « L’art est au-dessus des classes », et s’amuse à faire peser les soupçons sur différents protagonistes de son histoire. Jusqu’au twist final, toujours étonnant.

Reprenons la métaphore du compositeur et des variations. Dès la première séquence, Tessari pose à l’image une série de personnages, comme autant de notes qui réapparaîtront ici et là au fur et à mesure. On ne saisit pas toutes les allusions, qui s’éclairciront par la suite.
Sans doute inspiré par son titre, ce Papillon aux ailes ensanglantées est un giallo attiré par la lumière. Là où nombre de ses confrères choisissent des atmosphères nocturnes, Tessari prend le parti de filmer de jour (mais souvent sous la pluie) un meurtre qu’il décide de ne pas trop expliciter, préférant montrer le corps qui roule le long d’une pente.

Dans un supplément qui accompagne le Blu-ray, Jean-François Rauger (critique et directeur de programmation à la Cinémathèque française) mentionne « l’ambition de Duccio Tessari » et évoque un film difficile à cataloguer, se situant néanmoins dans la lignée des premiers films de Dario Argento. Ne serait-ce que pour l’utilisation d’un animal dans le titre, après L’oiseau au plumage de cristal (1970), Le chat à neuf queues (1971) et Quatre mouches de velours gris (1971). Il aurait pu également ajouter La tarentule au ventre noir (1971) de Paolo Cavara.
Jean-Charles Lemeunier
Un papillon aux ailes ensanglantées
Titre original : Una farfalla con le ali insanguinate
Origine : Italie
Année : 1971
Réal. : Duccio Tessari
Scén. : Gianfranco Clerici, Duccio Tessari
Photo : Carlo Carlini
Musique : Gianni Ferrio
Montage : Gianmaria Messeri
Durée : 99 min
Avec Helmut Berger, Giancarlo Sbragia, Evelyn Stewart, Silvano Tranquilli, Carole André…
Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume en avril 2022.