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Trois films tchèques chez Malavida : Bandes originales

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Ceux qui ont salué en leur temps l’originalité de Memento (2000) de Christopher Nolan, d’Irréversible (2002) de Gaspar Noé ou de 5×2 (2004) de François Ozon, trois films à prendre à rebrousse-poil puisque les histoires commençaient par la fin et s’achevaient au début, ne pourront que se réjouir de la nouvelle : la sortie pour la première fois en DVD, par Malavida et avec deux autres films de même origine (Fin août à l’hôtel Ozone et Ecce Homo Homolka), d’une comédie tchèque de 1967, Happy End. Dont la particularité est de commencer par la fin et de finir par le début. Sauf qu’ici, un commentaire très ironique appuie le récit, considérant le trépas comme une naissance et la naissance comme une mort.

On ne peut pas dire que Happy End soit un film reposant car le spectateur doit rester constamment attentif à deux fronts : celui de la réalité et de ses dialogues qui remontent le temps et celui de l’histoire racontée. Également coauteur du scénario, le cinéaste Oldřich Lipský prend bien soin de fignoler des dialogues à double vitesse. Ainsi, une phrase qui répond à la question qui viendra après — n’oublions pas l’inversion de la chronologie — sera tout aussi bien adaptée au propos qui la précède, conduisant à des conversations pour le moins incongrues.

Le plus fort, avec un tel récit qui, si on le prend à l’endroit, conte l’histoire d’un boucher amoureux d’une femme qu’il épouse et dont il découvre la trahison, c’est que Lipský retombe toujours sur ses pattes. Mieux qu’un chat balancé par la fenêtre. Car cette histoire marche parfaitement aussi à l’envers, grâce au commentaire. Le cinéaste s’amuse en outre d’effets qui paraissent spectaculaires : des gâteaux qui se reconstituent de la bouche à l’assiette et des buveurs qui emplissent des verres de vin au lieu de les vider. Le genre de choses que, quiconque possédant une caméra super 8 à cette époque lointaine, pouvait réaliser et dont Lipský s’amuse ici pleinement.

Là encore, c’est le commentaire qui rythme l’action. Ainsi un bébé, en rejetant son lait dans un biberon, permet à la famille de se renflouer puisqu’elle pourra le revendre. Mais, hormis ces effets comiques, Happy End prend une autre dimension. Autant Irréversible et 5×2 partaient du malheur — un viol, une séparation — pour aller vers le meilleur qui était la rencontre, autant le film tchèque, malgré son titre, retranscrit toute une vie et transforme en tragédie ce qui d’ordinaire est un heureux événement.

Bref, une étonnante découverte que sont ce film et son auteur, Oldřich Lipský, dont on peut signaler d’autres œuvres disponibles en DVD chez Malavida : Limonade Joe, parodie de western, Le château des Carpathes et Adèle n’a pas encore dîné.

Tout aussi original, mais dans un tout autre genre, est le concept de Konec srpna v Hotelu Ozon (1966, Fin d’août à l’hôtel Ozone) de Jan Schmidt. Dans ce film de fin du monde, seules survivent une vieille femme et un groupe de sept jeunes filles, celles-ci nées semble-t-il après la catastrophe. Une catastrophe que Schmidt figure par des plans du quotidien qu’effacent des fondus au blanc. Puis, bel hommage au Vertigo (1958) de Hitchcock et à La jetée (1962) de Chris Marker : sur la coupe d’un tronc d’arbre, les nervures symbolisent les années tandis qu’un doigt, désignant l’une ou l’autre, explique : « C’est ici que tout est arrivé, ici que nous sommes parties, etc. »

Jan Schmidt suit une dramaturgie complètement différente de celle à laquelle nous ont habitués les films américains traitant du même sujet. Avec peu de dialogues, des plans rapprochés des visages ou des gestes, le réalisateur et son scénariste Pavel Jurácek décrivent un monde âpre et cruel, n’hésitant pas à filmer plusieurs morts animales qui créent le malaise. Le groupe d’amazones ne dispose assurément d’aucune conscience autre que celle, instinctive, de survivre dans un monde dépeuplé d’humains. Et ce n’est pas sans raison que l’on entend cette phrase : « Vous êtes des bêtes dénuées de sentiments ! »

Là encore, le Tchèque manie l’ironie de la même manière que Lipský dans Happy End. Dans un village abandonné, les jeunes femmes trouvent des lettres et l’une lit, sans montrer la moindre émotion, le trouble d’un jaloux, dont l’aimée est un peu trop regardée par d’autres hommes à la piscine, et qui aimerait se retrouver avec elle « seuls sur une île déserte ». Ou, lorsque toutes se retrouvent autour d’une table ronde, la scène est filmée en plongée et un parasol qui s’ouvre vient soudain obturer ce plan paisible. Car, dans un tel monde, rien ne peut être paisible.

Un autre beau plan se déroule encore à table, de nuit, une table éclairée par de longs cierges plutôt que des bougies et qui donnent à cette réunion, dans une ambiance nocturne, des allures de repas mortuaire.

« Nous sommes comme des poux et la Terre s’est écœurée de nous ! » En une phrase qui, aujourd’hui, n’en garde que plus de sens, la vieille dame, Dagmar (Beta Ponicanová), résume parfaitement une situation sans espoir.

On retrouvera le sourire avec le troisième film de la sélection, Ecce Homo Homolka (1970), une comédie de Jaroslav Papoušek programmée en juillet dernier au festival de La Rochelle. Tout commence ici à la campagne avec un jeune couple désireux de faire l’amour et qui s’y reprendra à plusieurs fois tout au long du film, chaque fois dérangé.

Nous faisons connaissance avec la famille Homolka (les grands-parents, leur fils et sa femme et leurs jumeaux, interprétés par les fils du cinéaste Milos Forman), que Papoušek utilisera à nouveau dans Hogo fogo Homolka (1971) et Homolka a tobolka (1972). Une famille tout ce qu’il y a d’ordinaire, qui passe son temps à se disputer et à créer des situations de tension. À un point tel que l’on a comparé à raison Ecce Homo Homolka avec les comédies italiennes contemporaines, véritables scanners de la société.

Chez les Homolka, le pépé est irascible et s’en prend toujours à sa femme, laquelle chouchoute son fils qui n’ose s’affirmer devant sa femme, tandis que les enfants passent leur temps à chahuter. « Même Edison et Lénine ne sauraient pas y faire avec toi » se plaint le grand-père à propos de sa femme. Dans ce rôle, proche de ceux tenus en Italie par Lino Banfi, Josef Sebánek — déjà remarqué dans les premiers films de Milos Forman — est irrésistible : il grogne sans arrêt, est de mauvaise foi, est submergé par des accès de rage avant d’avoir peur des réactions de sa femme et de faire le gros dos.

Un film tchécoslovaque, surtout de cette époque-là, ne peut s’achever sans une arrière-pensée politique. « La famille est le fondement de l’État et l’État… c’est nous ! » Autant dire qu’au niveau étatique, tout ne doit pas aller aussi simplement que le proclame la propagande, vu les tiraillements existant au sein des Homolka.

Insistons bien. Happy End, Fin août à l’hôtel Ozone et Ecce Homo Homolka sont trois films originaux, appartenant à des genres totalement différents et très éloignés de ce que l’on a l’habitude de voir, n’excluant pas toujours certaines longueurs. Du neuf, de l’excentrique, du curieux, du singulier et nul n’est besoin d’éplucher un dictionnaire des synonymes pour trouver l’adjectif qui conviendra le mieux après leur vision.

Jean-Charles Lemeunier

« Happy End », « Fin août à l’hôtel Ozone » et « Ecce Homo Homolka » : sorties pour la première fois en DVD chez Malavida le 24 août 2022.


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