Quand on lit le générique de Lady Frankenstein, titre rare que Le Chat qui fume sort en Blu-ray, on se dit que le nom du réalisateur, Montgomery Welles, sent le pseudo à plein nez. D’autant que le même générique aligne dans ses crédits les noms de l’Américain Joseph Cotten, acteur fétiche d’Orson Welles, et de l’Italienne Rosalba Neri. Connaissant la mode de l’époque d’attribuer aux Italiens des noms anglo-saxons, on a vite fait de penser que, derrière ce Montgomery Welles se cache un patronyme purement transalpin. Ce qui est une erreur totale. Car le film est bien signé par l’Américain Mel Welles, acteur dans pas mal de films et réalisateur de quelques autres, qui a mystérieusement juste changé de prénom. À noter également, pour rester dans les crédits, que le nom d’Aureliano Luppi est également mentionné pour la mise en scène sur tous les sites évoquant ce film. Il ne sert en fait qu’à le défiscaliser car, réalisée par un étranger, cette Figlia di Frankenstein aurait été pénalisée.

Lady Frankenstein est une sorte de retour aux sources. Plus encore que les remakes britanniques de la Hammer, ce film de 1971 rend un bel hommage à la version de 1931 de James Whale, en l’érotisant à peine. D’où notre étonnement lorsqu’on apprend que les distributeurs français l’avaient à l’époque rebaptisé Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle. Ce qui est du grand n’importe quoi.
Lors de la séquence ultra-classique de la réanimation du corps grâce à la foudre, Mel Welles reprend les décors des films en noir et blanc de la Universal et y ajoute les couleurs de la Hammer, sans avoir toutefois le talent de coloriste de Terence Fisher.

Le récit s’ouvre sur des détrousseurs de cadavres menés par l’extraordinaire Herbert Fux — acteur autrichien possédant une sacrée gueule ! — et l’on ne peut s’empêcher de penser à L’impasse aux violences (1959) de John Gilling mais aussi au Frankenstein Jr (1974) de Mel Brooks. Nous sommes ensuite en présence du Dr Frankenstein (Joseph Cotten) et de son assistant (Paul Müller), en plein débat sur le droit à la création et sur l’homme se croyant l’égal d’un dieu.

Quand arrive Rosalba Neri, qui incarne la fille du Dr Frankenstein, le film prend sa véritable dimension originale car cette jeune scientifique du XIXe siècle se met à fustiger l’éducation telle qu’elle est pratiquée en Europe : « Les professeurs, dit-elle, ont encore des préjugés envers les femmes. » Ce discours féministe du meilleur aloi est étonnant. Dans un bonus, Mel Welles explique qu’il est au cœur de son sujet, qu’il voulait présenter une femme forte en 1820.
Implicitement, le cinéaste place ici ou là des dialogues qui politisent le film — n’oublions pas que nous ne sommes que trois ans après les revendications de 1968. Ainsi, assistant à une pendaison, Joseph Cotten déclare-t-il qu’elle est « un assassinat légalisé ».

Après une première partie, on l’a dit, proche des premiers films sur Frankenstein, le scénario prend une autre voie en se rapprochant du personnage de Lady Frankenstein qui désire se venger de la créature créée par son père. C’est ainsi que Mel Welles sexualise le script des années trente par la fascination qu’exerce sur les hommes la fille du docteur F. Bien sûr, La fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale introduisait une compagne pour le monstre mais les images étaient alors sévèrement contrôlées par les censeurs du Code Hays.

Il est amusant, en écoutant les interviews de Mel Welles, Rosalba Neri, Paul Müller et Herbert Fux, tournées en 2004 et présentées en bonus, d’en apprendre un peu plus sur la genèse du film. Un producteur propose un jour à Welles le scénario de Lady Dracula mais, alors que tout est prêt pour le tournage, le cinéaste s’aperçoit que les droits du sujet sont détenus par l’acteur culturiste Brad Harris, interprète de Samson et Hercule dans les péplums italiens des années soixante. Harris ne pourra produire sa Lady Dracula qu’en 1978, en Allemagne, mais Mel Welles est déjà parti dans une autre direction. « Puisque tu ne peux prendre Lady Dracula, remarque un de ses copains, pourquoi ne fais-tu pas Lady Frankenstein ? » Welles cherche donc des scénaristes intéressés par l’aventure et s’embarque dans ce nouveau projet.

Le film est plutôt une bonne surprise, correctement réalisé et respectant son sujet, avec quelques originalités déjà mentionnées, dont un féminisme déclaré. Dans son interview, Rosalba Neri regrette « de n’avoir jamais fait un bon film » mais reconnaît que Lady Frankenstein est l’un des plus importants qu’elle ait tournés.
À noter encore que le coffret contient le CD de la musique du film, signée Alessandro Alessandroni.
Jean-Charles Lemeunier
Lady Frankenstein
Année : 1971
Origine : Italie
Titre original : La figlia di Frankenstein
Réal. : Mel Welles, Aureliano Luppi
Scén. : Edward Di Lorenzo, Dick Randall, Mel Welles d’après Mary Shelley
Photo : Riccardo Pallottini
Musique : Alessandro Alessandroni
Montage : Cleofe Conversi
Durée : 94 min
Avec Joseph Cotten, Rosalba Neri, Paul Müller, Herbert Fux, Mickey Hargitay…
Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume le 31 juillet 2022.