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« Retour » de Hal Ashby : L’air (et les airs) du temps

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Saluons la sortie du coffret ultra-collector DVD et Blu-ray du film Coming Home (Retour, 1978) de Hal Ashby, assorti d’un livre de Jean-Baptiste Thoret (L’esprit retrouvé). Carlotta propose une plongée dans l’univers d’un cinéaste attachant et quelque peu oublié aujourd’hui — alors qu’il a signé des films aussi importants que Harold et Maude, La dernière corvée et En route pour la gloire. En outre, le film revient avec force sur l’état d’esprit qui régnait en Amérique à l’époque de la guerre du Vietnam. Car tous les personnages de Retour ont à voir avec ce conflit que refusent de plus en plus de citoyens.

Le film s’ouvre fort à propos sur une discussion entre mutilés, dans un hôpital. Les uns conspuent la guerre qui les a rendus ainsi, un autre voudrait retourner sur place pour se justifier et la caméra tourne autour d’eux, se pose sur l’un ou l’autre. Dans les bonus, on nous explique qu’il s’agit de véritables vétérans et que Ashby les a laissés parler, se contentant d’enregistrer la conversation. Le but d’une telle séquence n’est pas de prendre position et d’acclamer les propos entendus mais de rendre compte d’une époque. N’oublions pas que le film sort seulement trois ans après la fin du conflit.

C’est une évidence, deux mots seront essentiels tout au long de Retour : l’époque et le souvenir. Le film est un véritable document sur ces années de fin de guerre, au cours desquelles la majorité du peuple rejette définitivement les rêves de gloire et a conscience que l’Amérique a perdu. De ce gâchis, Hal Ashby pose la question du souvenir. D’une guerre, un pays garde en principe en mémoire les victoires et les héros. Mais qui parlera encore des vétérans revenus sans bras, sans jambes ou la tête en vrac ? Le cinéaste décide qu’ils ont le droit d’occuper, pour une fois, le devant de la scène. En 1946, dans Les plus belles années de notre vie, William Wyler avait déjà filmé le difficile retour à la vie normale de militaires démobilisés, s’attachant particulièrement à celui qui avait perdu ses deux mains. Le rôle était tenu par Harold Russell, véritablement mutilé qui avait obtenu l’Oscar du meilleur second rôle.

Retour débute donc avec ces vétérans et leurs discussions. À ce moment précis, la voix de Mick Jagger attaque Out of Time et l’on comprend que la bande originale — qui est magnifique, alignant des titres des Stones, Beatles, Bob Dylan, Aretha Franklin, Jimi Hendrix, Jefferson Airplane, Simon & Garfunkel, Tim Buckley, etc. — sera toujours là pour apporter une précision. L’époque est rock ‘n’ roll et l’on sait aujourd’hui, depuis The End des Doors qui ouvrait magnifiquement Apocalypse Now (en 1979), combien ces rythmes sont capables de l’accompagner. Véritablement, ces militaires blessés sont désormais hors du temps, coincés dans la boucle temporelle que représente leur présence au Vietnam.

Reprenons les personnages. Bob Hyde (Bruce Dern), sur le point de partir à la guerre, pense déjà à la gloire qu’il en retirera. Sa femme Sally (Jane Fonda), pour s’occuper, va aller soigner les blessés à l’hôpital militaire. C’est là qu’elle fait la connaissance de Luke Martin (Jon Voight) qui, blessé aux jambes, se déplace d’abord allongé sur un lit à roulettes puis en fauteuil roulant. Il y a encore Vi (Penelope Milford), dont le copain Dinks est parti au Vietnam avec Bob et dont le frère (Robert Carradine) en est revenu, complètement traumatisé.

Pendant la présentation de tout ce petit monde, essentiellement des deux couples Bob/Sally et Vi/Dinks, Simon et Garfunkel entonnent Time of Innocence. Comme si l’évidence était là : on est innocent avant de partir à la guerre, on ne peut plus l’être à son retour. Puis résonne le Hey Jude des Beatles : « N’aie pas peur, tu étais fait pour partir et la laisser. » Alors, tandis qu’à la télé Bob Kennedy parle de la mort de Martin Luther King, Sally se regarde dans son miroir sur la musique de Bob Dylan, Just Like a Woman. Chaque morceau accompagne au plus juste les situations, comme s’ils avaient été écrits spécialement pour le film. Sans doute parce que l’air du temps et les airs du temps ne peuvent que faire bon ménage.

L’errance est au cœur de Retour. Celle, psychologique, de Luke, capable d’avouer simplement : « J’ai des jambes dans mes rêves. » Celle de Sally, émotionnellement perturbée, une errance qui peut également devenir géographique. Ainsi, lors d’une permission de Bob, elle rejoint ce dernier à Hong Kong. Tandis que passent en boucle des reportages sur le Vietnam, le militaire s’écrit : « La télé montre à quoi ça ressemble mais pas ce que c’est ! »

Se rajoute ainsi une autre errance, celle de la vérité, qui oscille entre les discours officiels, les reportages plus ou moins objectifs et le vécu de ceux qui sont revenus de l’enfer.

Soudain, alors qu’elle n’affleurait qu’à la surface des discussions, la dimension politique vient s’introduire dans le récit. Parce qu’il s’attache aux grilles du centre de formation des Marines, Luke est arrêté et inscrit par le FBI sur la liste des personnes à surveiller. La banale histoire d’amour naissante entre Sally et Luke devient une arme répressive.

Une question tourmente les personnages masculins du film et c’est encore une chanson, Once I Was de Tim Buckley, qui en donne la teneur et qui résume totalement le scénario, puisqu’elle raconte l’histoire d’un soldat supplanté par un autre dans son amour. « Est-ce que tu te souviendras de moi ? » se plaint Tim Buckley et c’est exactement ce qu’a en tête Bruce Dern lors de la séquence finale de ce film bouleversant qui franchit les années. Et ce que souligne joliment Ashby dans sa conclusion désespérée : se souviendra-t-on encore d’eux, de ces soldats dont l’Histoire et les politiciens ont brisé la vie ?

Les seventies furent une période de grande maturité du cinéma américain. Lequel n’hésita pas à critiquer, à remettre en cause les grandes institutions et à ouvrir des débats dérangeants. Retour fait partie de ces films posant des questions de société essentielles. À la décennie suivante, lors du mandat de Ronald Reagan, le cinéma retomba en enfance. Et les censeurs purent un peu mieux respirer avec ces super-héros et ces muscles remplaçant les cerveaux. Un courant toujours à l’œuvre aujourd’hui.

Alors oui, ce retour sur Retour est vraiment bénéfique !

Jean-Charles Lemeunier

Retour
Année : 1979
Titre original : Coming Home
Origine : États-Unis
Réal. : Hal Ashby
Scén. : Waldo Salt, Robert C. Jones d’après Nancy Dowd
Photo : Haskell Wexler
Musique : Beatles, Rolling Stones, Bob Dylan, Aretha Franklin, Richie Havens, Jimi Hendrix, Jefferson Airplane, Simon & Garfunkel, Steppenwolf, Buffalo Springfield, Big Brother and the Holding Company, Tim Buckley
Montage : Don Zimmerman
Durée : 128 min
Avec Jane Fonda, Jon Voight, Bruce Dern, Robert Carradine, Robert Ginty, Penelope Milford…

Sortie par Carlotta Films dans un coffret ultra-collector DVD et Blu-ray + livre de Jean-Baptiste Thoret le 20 septembre 2022.


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