
La sortie en DVD/Blu-ray, par Le Chat qui fume, d’Un posto ideale per uccidere (Meurtre par intérim) d’Umberto Lenzi est une bonne occasion pour revenir sur la trajectoire de ce cinéaste italien.

Umberto Lenzi (1931-2017) aurait pu être un grand sportif tant fut impressionnant son talent à surfer sur toutes les vagues à la mode. À côté du cinéma d’auteur, les Italiens perfectionnèrent les genres, quels qu’ils soient : films de pirates, péplums, cape et épée, westerns, espionnage, films de guerre, policiers, gialli, cannibales, comédies, érotisme, films d’horreur ou d’heroic fantasy, etc. Tout était bon à prendre à condition d’attirer le public dans les salles. Lenzi fut de tous ces combats.
Regardons de plus près son travail. Sa force est de ne pas simplement s’engouffrer dans un genre et de mener à terme son histoire en explorant toutes les pistes attendues. Au contraire, tout se passe comme si ses personnages semblaient lui échapper et suivre des aventures auxquelles on ne s’attendait pas. Et signalons — et c’est d’ailleurs Lenzi lui-même qui le dit dans l’interview contenue dans l’excellent bonus qui accompagne le film — qu’il a participé à l’écriture de la quasi totalité de ses films.

Prenons justement ce Meurtre par intérim qui démarre à Copenhague en compagnie de deux jeunes gens (joués par Ornella Muti, dont c’était l’un des premiers films, et Ray Lovelock). Leurs ressources ? Vendre des images pornographiques. Dans son interview, Lenzi regrette de s’être plié aux injonctions de son producteur, Carlo Ponti. Au départ, il était question de drogue mais Ponti refusait que les héros d’un film, à qui le public accorderait toute sa sympathie, soient liés à ce trafic. Ce fut, raconte Umberto Lenzi, le scénariste Tonino Guerra qui trouva la solution : fais-leur vendre, suggéra-t-il au cinéaste, des photos pornos. « Je voulais tourner une sorte d’Easy Rider avec des dealers de drogue qui iraient du Danemark en Italie. » L’idée de Guerra, poursuit Lenzi, « fut la ruine du film ». « Ce n’était plus illégal ! Je voulais un film agressif, proche de la réalité, et je me suis retrouvé avec un film de compromis. »
Bon, admettons que les deux tourtereaux vendent sous le manteau des images pas vraiment pieuses. Cela peut faire sourire aujourd’hui mais on retiendra davantage les dialogues qui accompagnent ces séquences. Comme les deux veulent partir en vacances en Italie et continuer là-bas leur business, Lovelock ironise : « Les catholiques ont le goût du péché ! »

Ces deux-là ont l’air tout à fait libres dans une société guindée et l’on se prend à penser à Avere vent’anni (1978) de Fernando Di Leo, dans lequel s’opposaient la liberté et une société répressive à faire froid dans le dos. Lenzi affirme avoir glissé dans son film quelques attaques « à la société des riches » ou « aux militaires américains installés en Italie dans de belles villas », il n’atteindra pas la portée politique de Di Leo. Malgré tout, laissons-lui tout le crédit de belles phrases, comme celle-ci par exemple : « Nous sommes des missionnaires volontaires qui apportons la liberté sexuelle dans ce pays. »
Pris sur le fait par la police, les deux jeunes gens se retrouvent expulsés d’Italie. Alors qu’ils tombent en panne d’essence et n’ont plus d’argent pour faire le plein, ils se réfugient dans une villa qui semble inoccupée. Et c’est là où le scénario fait un écart fulgurant, comme si rien ne laissait à prévoir que ces deux-là décideraient de s’arrêter dans ce lieu isolé.

Et là, on ne peut qu’admirer la force de Lenzi. On l’a dit, il se tient droit sur sa planche, digne du surfeur d’argent, et est capable de sauter d’une ligne de crête à l’autre. Démarrant comme un film sur la liberté de la jeunesse — sujet fort à la mode en cette période post-soixante-huitarde —, avec un soupçon de sexualité, Meurtre par intérim se rapproche ensuite du huis-clos étouffant. On pense à des sujets tels que La dernière maison sur la gauche (1972) de Wes Craven qui, lui-même, inspira en Italie La dernière maison sur la plage (1978) de Franco Prosperi mais il est indéniable que ces films sont postérieurs et que Lenzi agit en précurseur (mais sans utiliser le sadisme qui fit les beaux jours des titres cités). Il ne surfe plus, il crée. Et s’amuse.

C’est une certitude, il s’amuse avec le spectateur et brouille les cartes. Dans la villa, Ornella Muti et Ray Lovelock trouve la propriétaire des lieux, Irene Papas. Dans ce jeu de chat et de souris avec la vérité, on ne sait plus réellement qui retient l’autre en otage. De cette liberté hautement revendiquée au début du film, on ne trouve plus nulle trace. Alors, Lenzi propose des ouvertures et la sonnette de la porte d’entrée ne cesse de résonner, amenant possiblement un nouveau danger pour les uns ou pour l’autre. Ce qui ne rend le huis-clos, une fois la porte refermée, que plus étouffant encore.

Certes, Umberto Lenzi succombe à quelques facilités d’époque — les scènes de séduction. Mais il tient son récit, qui soudain a plongé dans une trame policière, et le tient bien. Il montre aussi qu’il connaît ses classiques. Ainsi lorsqu’il filme un personnage disant sa version des faits alors que les images montées en parallèle la démontent complètement. Ce qui est, pour l’époque, d’une grande originalité. Cette séquence peut faire penser au procès de Fury (1936) de Fritz Lang, où le cinéma est là pour rétablir la vérité. Aux fausses allégations proférées, Lang oppose un film tourné lors des faits (un incendie) qui contredit totalement les déclarations des témoins. Ici, les images montrent une fois de plus la vérité, quand les mots sont mensongers.
Jusqu’au finale, Lenzi va nous mener par le bout du nez. Son inspecteur ne semble pas croire à la version d’Irene Papas et le montage va nous laisser dans l’expectative. Jusqu’au retournement final. Pendant le visionnage de ce film, on a pu faire la moue à quelques reprises sur une facilité pêchée ici et là. On a pu aussi ricaner d’erreurs de script. Ainsi, Lovelock et Muti traversent l’Italie en Spider, petite voiture décapotable. Pour échapper aux flics, ils décident de la repeindre en noir, alors qu’elle est jaune. Quand Ornella Muti descend dans le garage, le véhicule est à nouveau jaune. Mais tout ceci n’est pas grave. Lorsque Meurtre par intérim s’achève, force est de reconnaître que ce film nous a conduits, sans que l’on s’en rende compte, là où il voulait. Et que l’on s’est laissé faire avec un certain plaisir.

Un dernier détail, allant dans le même sens. Coquin comme toujours, le Chat offre en bonus les séquences déshabillées écartées du montage final. Il faut préciser que, mineure à l’époque du tournage, Ornella Muti a été doublée pour les parties de son corps dévoilées devant la caméra, comme l’a été Irene Papas qui refusait de se dévêtir à l’écran.
Jean-Charles Lemeunier
Meurtre par intérim
Année : 1971
Titre original : Un posto ideale per uccidere
Origine : Italie
Réal. : Umberto Lenzi
Scén. : Lucia Drudi Demby, Antonio Altoviti, Umberto Lenzi
Photo : Alfio Contini
Musique : Bruno Lauzi
Montage : Eugenio Alabiso
Prod. : Carlo Ponti
Durée : 90 min
Avec Irene Papas, Ray Lovelock, Ornella Muti, Jacques Stany, Michel Bardinet, Sal Borgese…
Sortie en DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume en juillet 2022.