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Coffret Damiano Damiani : Au plus près de la réalité

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L’histoire du cinéma italien se décline en quantité de genres et sous-genres et en une multitude de talents. Damiano Damiani est l’un d’eux, à qui Artus consacre un coffret de trois films en DVD et Blu-ray, assortis d’un livret. On y retrouve L’istruttoria è chiusa : dimentichi tante sbarre (1971, Nous sommes tous en liberté provisoire), Perché si uccide un magistrato (1975, Comment tuer un juge) et Goodbye & Amen (1977). Trois films, s’il fallait les étiqueter, appartenant au genre politico-policier. Conscient de la réalité de son pays, Damiani traite la plupart du temps dans ses sujets des questions qui perturbent l’Italie : l’omniprésence de la mafia, la corruption, l’assassinat des juges, etc.

Franco Nero et Françoise Fabian dans « Comment tuer un juge »

C’est justement de cela dont il est question dans Comment tuer un juge. Damiani prend pour point de départ un cinéaste (Franco Nero) dont le dernier film est une mise en accusation à peine voilée d’un magistrat en plein exercice, le juge Traini (Marco Guglielmi). On notera que le cinéaste a de la suite dans les idées puisque le juge qui est le héros de Confession d’un commissaire de police au procureur de la République, tourné en 1971, est déjà interprété par Franco Nero et s’appelle lui aussi Traini. Bien sûr, le titre n’en fait pas mystère, le Traini de Comment tuer un juge sera abattu, occasion de déballer les interférences entre la politique et le crime. L’action se déroule à Palerme et Damiani filme au plus près la réalité sicilienne avec son petit peuple, ses mafieux, les flics et les grands bourgeois, les politiciens et la magistrature.

Françoise Fabian dans « Comment tuer un juge »

Il porte aussi un regard sur son milieu, celui du cinéma. Ainsi, le film censé être réalisé par Nero, très stylisé et épuré, est aux antipodes de ceux que signe Damiani, toujours proches du réel. Il pose aussi la question de la responsabilité d’un artiste : le juge a-t-il été tué parce que le film de Nero l’accusait de corruption ? Dans l’histoire, la réponse du cinéaste est simple : « Un citoyen a le droit de juger ses propres juges. »

John Steiner, Gianrico Tondinelli et Claudia Cardinale dans « Goodbye & Amen »

Il est aussi question de cinéma dans Goodbye & Amen, mais d’une façon plus burlesque. Sur fond d’opération menée par la CIA (avec Tony Musante dans le rôle d’un agent fédéral), un homme (John Steiner) pénètre dans une chambre d’hôtel et retient en otages une femme (Claudia Cardinale) et son amant, un acteur de cinéma (Gianrico Tondinelli). Damiani a-t-il eu des difficultés avec certains de ses interprètes ? Quoi qu’il en soit, il malmène le personnage, le rend incapable de déclamer son dialogue — dans le film qu’il répète, il doit prononcer « Unconditional Surrender » sans y parvenir — et le transforme en sujet de moqueries de la part du preneur d’otages : « Ce n’est pas comme dans un film, tu ne parviendras pas à t’échapper » ou « Cette fois, tu joues sans doublure, hein cowboy ? »

Damiani s’amuse avec la superficialité du cinéma, ses codes et ses écarts avec la réalité. Il transforme également le bandit en cinéaste. « Imagine, dit ce dernier à l’acteur, que je sois le réalisateur et que tu doives m’obéir. » Même le personnage de Claudia Cardinale, pourtant victime, joue avec les images cinématographiques : « Dans les mauvais films, après lui avoir attaché les bras, le méchant viole la fille. » Comme si Damiani comparait son propre cinéma, proche de l’auteurisme, à celui qui était prisé à l’époque par le grand public.

Claudia Cardinale dans « Goodbye & Amen »

Goodbye & Amen peut-il alors être pris comme une sorte de miroir amusé du cinéma italien ? Damiani utilise par exemple un plan où ce que l’on pense être la réalité n’est qu’un reflet. Avec sa fin hautement cynique, le cinéaste nous interroge sur ce que l’on croit être vrai et qui cache bien autre chose.

Franco Nero dans « Nous sommes tous en liberté provisoire »

Si ces deux premiers films sont intéressants à suivre, le dernier, Nous sommes tous en liberté provisoire, est indispensable. Là encore, Damiani part d’un fait-divers (un avocat, joué par Franco Nero, a commis un délit routier qui le conduit en prison) pour aboutir à un sujet beaucoup plus vaste, comme s’il avait dézoomé un événement sans importance pour aboutir à une vision d’ensemble de la société. Sont tour à tour abordées dans le film la violence carcérale, la collusion entre les gardiens et les prisonniers, celle avec le grand patronat et les politiques et les différences de classe. Sans oublier, sujet ultime, le courage social. Question à laquelle Damiani n’apporte aucune réponse.

Après un panorama assez burlesque des différents pensionnaires de la cellule, qui va du pétomane (John Steiner) au prostré (Georges Wilson), Damiani s’enfonce dans la violence et le discours politique qui font de ce film une œuvre majeure. L’avocat croise également un paranoïaque (Riccardo Cucciolla), dont on comprendra progressivement les raisons de ses terreurs.

Riccardo Cucciolla dans « Nous sommes tous en liberté provisoire »

On ressort totalement perturbé de la vision de ces trois films et l’on se demande pourquoi Damiano Damiani ne figure pas parmi les grands cinéastes italiens habituellement cités. Le coffret est complété par un livret fort bien illustré, écrit par Emmanuel Le Gagne : Damiano Damiani, un cinéaste se rebelle. Lequel donne une possible raison de l’oubli dans lequel Damiani est tombé : un réalisateur « entre artisan et auteur, dont la filmographie est très difficile à cerner, passant d’un genre à l’autre mais aussi d’une économie à une autre ».

Pour rester sur le même sujet, autant ne pas faire l’économie de cette trilogie qui nous permet une plus ample découverte d’un cinéaste beaucoup qu’attachant : primordial.

Jean-Charles Lemeunier

La trilogie Damiano Damiani : coffret de trois DVD/Blu-ray sorti par Artus Films le 2 mai 2023.


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