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Artus Films : Le courant Heimat

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Artus Films, qui a édité de nombreux gialli et autres films italiens, s’intéresse depuis peu à un genre particulier du cinéma allemand, le Heimat. Ces « films de terroir », qui prennent leurs racines dans la campagne, ont connu une grande vogue sous le nazisme pour se poursuivre encore longtemps, jusque dans les années quatre-vingt avec, par exemple, la série télévisée Heimat d’Edgar Reitz, portrait de l’Allemagne rurale du XXe siècle.

Deux films ressortent donc dans cette collection et ce sont évidemment les noms de leurs deux réalisateurs qui attirent le regard : Die Geierwally (1940, La Fille au vautour) de Hans Steinhoff et Die goldene Stadt (1942, La Ville dorée) de Veit Harlan. C’est que Harlan, avec son Juif Süss (1940), et Steinhoff, avec son Jeune Hitlérien Quex (1933), ont été les champions du cinéma national-socialiste de sinistre mémoire. C’est donc d’un œil très critique que l’on s’attelle à la vision de ces deux films, prêt à débusquer la moindre allusion nazie.

Or, et c’est la le plus grand étonnement, non seulement les deux films ne semblent ni partisans ni propagandistes mais ils sont bien réalisés et défendent même, surtout dans La Fille au vautour, une vision féministe. Commençons par celui-ci.

Dans la rude montagne allemande, l’homme doit se battre contre les ours et les vautours. mais, précise l’un des protagonistes mâles du récit, « il n’en existe pas pour relever des défis dangereux ». Aussi, lorsqu’il s’agit de descendre le long d’une falaise pour récupérer un bébé vautour dans son nid, tandis que la mère de l’oisillon vole autour, seule Wally (Heidemarie Hatheyer) est capable d’y aller. Cet exploit va la faire jalouser des hommes, en particulier de Joseph (Sepp Rist), un chasseur d’ours qui n’hésite pas à se moquer d’elle et dont elle est secrètement amoureuse.

Wally est une forte tête et ce n’est pas son père, un fermier (Eduard Koch), qui va la lui faire baisser. Elle lui résiste quand ce dernier veut la marier et il l’expédie alors dans un chalet pas chauffé, tout en haut de la montagne. Dans ces aventures montagnardes dont les Allemands étaient friands (pensons aux sujets que Leni Riefenstahl tourna en tant qu’actrice), Steinhoff truffe son récit de gros plans très beaux, qui font penser à la manière de filmer des Soviétiques. D’autant que l’on entend des phrases telles que « la liberté est pour tous ceux qui la choisissent » que n’auraient pas reniées un Eisenstein ou un Dovjenko.

Tout le début de La Fille au vautour est fortement féministe. Ainsi, Wally voit-elle son prétendant (Leopold Esterle), en tout cas celui choisi par son père, frapper une vieille servante qu’elle se jette sur lui pour le rouer de coups. Cette dureté, la jeune femme va la conserver quand, suite à la maladie de son père, elle va prendre la direction de la ferme.

Dans cette deuxième partie, Wally est nettement odieuse avec tout le monde. Créditons Steinhoff non seulement d’un scénario original et vigoureux — qu’il écrit avec Jacob Geis et Alexander Lix, d’après une nouvelle de Wilhelmine von Hillern — mais aussi de très beaux plans de la montagne, utilisant la profondeur de champ, comme lorsqu’il filme, depuis l’intérieur d’une cabane, le départ dans la neige de deux personnages.

On s’étonnera en outre de phrases qui peuvent paraître osées pour l’époque. Ainsi, en colère, Wally n’hésite pas à s’en prendre au crucifix et à lui lancer : « Tu n’es qu’un morceau de bois ! »

Dans le bonus du film, Bertrand Lamargelle cite le grand critique communiste Georges Sadoul qui décréta que La Fille au vautour « était le parfait exemple de la médiocrité du cinéma allemand sous Hitler ». Certes, ni Steinhoff ni Harlan ne peuvent se comparer à Murnau, Lang, Wiene ou Siodmak mais cette Fille-là est une curiosité que l’on prend plaisir à découvrir. Et, ouf, on n’y décèle pas de sous-entendus désobligeants ou écœurants.

La Ville dorée présente également un personnage de fille forte, Anna (Kristina Söderbaum), qui s’oppose à son père (Eugen Klöpfer). Veit Harlan met ici dos à dos la ville (Prague), source d’attractivité des jeunes filles et lieu de perdition, et la campagne, où demeurent les vraies traditions. À la campagne, les gens sont simples. À la ville, ce sont des êtres malfaisants, hypocrites, lâches et oisifs. Surtout le cousin Toni, incarné par Kurt Meisel, futur interprète, après la guerre, de nazis effrayants (dans La Chatte de Decoin ou Le Temps d’aimer et le temps de mourir de Sirk). Bref, Toni est le parfait prototype du maquereau — façon Andrex dans le cinéma français des années trente — dont devraient se méfier les jeunes filles pures.

Plus classique dans sa forme et ses intentions, La Ville dorée comporte quelques belles séquences, comme lorsque Anna, une fois à Prague, est amenée à l’opéra. Ses yeux émerveillés en disent beaucoup sur ce qu’un spectacle — on peut aussi penser au cinéma — suscite comme émotions.

Harlan a beau nous prévenir (« Prague est une plaque glissante pour les jeunes filles naïves »), son cinéma comporte finalement moins d’hypocrisie que dans les grandes productions américaines contemporaines soumises au code de censure. Il ne fait pas mystère que sa jeune héroïne est du genre volage, qui s’amourache pas mal du premier venu. Il n’hésite pas non plus à nous faire comprendre qu’elle couche, ce qui aurait été impensable de l’autre côté de l’Atlantique.

Et comment comprendre cette phrase, proférée par le père : « Dans l’ancien, il y a de meilleures choses que dans votre nouvelle culture. » Que faut-il comprendre par cette « nouvelle culture » ? Celle véhiculée par le national-socialisme ? C’est peu probable mais on pourrait néanmoins comprendre ainsi ce dialogue. Et n’ajoute-t-il pas que la terre natale (on entend Heimat dans la bouche paternelle) « est comme un boulet pour le sang sauvage » de sa fille ?

Le film présente deux fins, une plus pessimiste que l’autre, ce qui semble avoir été une habitude à l’époque : on pense aux deux chutes de La Belle Équipe de Duvivier. Bertrand Lamargelle explique que Goebbels, ministre de la Propagande et féru de cinéma, fit retourner la fin à Harlan parce qu’il jugeait trop optimiste celle choisie par le cinéaste. Même si j’ai du mal à écrire cela, il faut reconnaître que la fin du film voulue par Goebbels est meilleure, qui s’achève sur une malédiction dont on parle dès le début et semble aller dans le sens de l’ensemble du film. Mais, malgré tout, ça fait mal de lui donner raison.

Enfin, signalons, dans le coffret, la présence d’un livre de Christian Lucas sur le genre Heimat, abondamment illustré et très utile à quiconque s’intéresse au cinéma et à ses différentes particularités.

Jean-Charles Lemeunier

« La Ville dorée » de Veit Harlan et « La Fille au vautour » de Hans Steinhoff : sortie par Artus Films en DVD et Blu-ray le 2 mai 2023.

https://www.filmportal.de/video/die-goldene-stadt-19411942


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