
Pour une fois, commençons par le bonus. Celui qui figure sur le Blu-ray de The Lady in Red (1979, Du rouge pour un truand) que Carlotta, poursuivant sa réévaluation de Lewis Teague — après Cujo et Alligator —, sort pour la première fois en Blu-ray.

Le cinéaste y raconte l’émulation qui régnait au sein des productions Roger Corman, où il fit ses débuts et où se côtoyaient tant de cinéphiles appelés à devenir les plus prestigieux représentants du Nouvel Hollywood : Martin Scorsese, Monte Hellman, Peter Bogdanovich, Joe Dante, Peter Fonda, Dennis Hopper, Jack Nicholson, etc. Teague arrive dans ces studios où l’on apprend avant tout la débrouillardise et l’économie de moyens à l’époque où il est au coude à coude, dans la salle de montage, avec Joe Dante et Allan Arkush. Il raconte qu’il a dans la tête les films de la Nouvelle Vague française et leur caméra portée sur l’épaule alors qu’il travaille comme assistant réal sur le Death Race 2000 (La course à la mort de l’an 2000) de Paul Bartel ou comme monteur sur le Cockfighter de Monte Hellman. Deux autres sorties Blu-rays Carlotta dont on ne peut bien sûr se passer.
L’interview de Lewis Teague est à l’image de son cinéma : décontractée, sans m’as-tu-vu, de la part de quelqu’un qui montre le plaisir qu’il a eu à travailler avec des gens dont il se sentait proche. En phase, quoi.

On pourrait penser que sa Lady in Red, qui arrive plus de dix ans après Bonnie and Clyde et le renouveau des films de gangsters des années trente, n’est qu’un film de plus qui décrit des braquages à l’époque de la Grande Dépression. Or, il n’en est rien car John Dillinger, un des personnages du film, n’arrive que très tard dans le récit. Lequel s’appuie plutôt sur Polly, jouée par Pamela Sue Martin, une pauvre fille qui subit toutes les violences inhérentes aux femmes à cette époque : la pauvreté rurale et la rudesse paternelle, les boulots de misère et l’exploitation sexuelle, le syndicalisme mal vu par la société et sa police, le passage par la prison, la prostitution, etc. Chaque épisode est ponctué par l’apparition d’un acteur ou d’une actrice. Ainsi, lorsque Polly passe son temps à coudre pour un salaire de misère, elle subit le harcèlement du chef d’atelier, belle composition du génial Dick Miller, acteur fétiche de Corman, dans un beau rôle de salaud. En prison, Polly aura à se frotter à Nancy Parsons, terrible et odieuse matonne. Enfin, dans le bordel, il lui faudra supporter un mafieux au surnom de Frognose (« Nez de crapaud »), joué par l’impeccable Christopher Lloyd.

Ici, chacun se débrouille comme il peut pour s’en sortir, « ce qui n’a rien à voir avec ce qu’on est vraiment », ainsi que l’affirme Dillinger à Polly. Car la grande originalité du film n’est pas d’illustrer la carrière criminelle de l’Ennemi public numéro 1 de l’époque, bien au contraire.

The Lady in Red véhicule la grande désillusion qui accable l’Amérique des années Vietnam et dont le cinéma porte la trace. Le pays est violent, la misère y a toujours existé et l’on est à des encablures du fameux American Way of Life du pays de la Liberté, tel que l’ont chanté quantité de films auparavant. Kennedy et Martin Luther King ont été assassinés, l’armée américaine a perdu le Vietnam, il faut constamment se battre pour les droits civiques et contre le racisme et des films comme celui de Lewis Teague, même s’ils se passent avant, prennent désormais en compte la déception de toute une génération face à la réalité. N’oublions pas que The Lady in Red se situe à la même époque que celle décrite dans On achève bien les chevaux (1969), terrible et formidable adaptation du roman de Horace McCoy par Sydney Pollack. Dans le cinéma, cette parenthèse désenchantée s’achèvera avec le retour de l’Amérique triomphante des années quatre-vingt, portée par Ronald Reagan.

Dans The Lady in Red, une ligne de dialogue est d’ailleurs tout à fait conforme à cet état d’esprit. Le personnage interprété par Louise Fletcher, une patronne de bordel, est arrivée de Roumanie et raconte son parcours en Amérique : « On m’a tout de suite mise au tapin, dans cette Terre de la Grande Opportunité ! »

Et puisqu’on a commencé par les bonus, autant finir par eux. Un autre supplément, basé sur un article écrit par Quentin Tarantino et repris dans Les Cahiers du cinéma, montre l’enthousiasme du cinéaste pour The Lady in Red. Il s’agit pour lui d’une des plus ambitieuses productions de Corman et il remarque « qu’un scénario a rarement été meilleur dans les classiques de l’exploitation ». Aux côtés de celui écrit par John Sayles pour le film de Lewis Teague, il cite également ceux de Charles B. Griffith pour A Bucket of Blood (1959, Un baquet de sang) et celui de R. Wright Campbell pour Machine Gun Kelly (1958, Mitraillette Kelly), deux films réalisés par Corman lui-même. Deux films par ailleurs excellents, comme l’est The Lady in Red.
Jean-Charles Lemeunier
Du rouge pour un truand
Année : 1979
Origine : États-Unis
Titre original : The Lady in Red
Réal. : Lewis Teague
Scén. : John Sayles
Photo : Daniel Lacambre
Musique : James Horner
Montage : Larry Bock, Rom Medico, Lewis Teague
Prod. : Julie Corman (New World Picture)
Durée : 93 min
Avec Pamela Sue Martin, Robert Conrad, Louise Fletcher, Robert Hogan, Christopher Lloyd, Dick Miller, Robert Forster, Nancy Parsons…
Sortie pour la première fois en Blu-ray par Carlotta Films le 16 mai 2023.