Visiblement, Woody Allen croit à la chance et son nouveau film présenté hors compétition à la Mostra de Venise, Coup de chance, est tout sauf cynique. Le vieux cinéaste nous offre même une démonstration décontractée de ce qu’est la chance.

De passage à l’Institut Lumière de Lyon avec une partie de son équipe (Melvil Poupaud, Lou de Laâge et Niels Schneider), Woody Allen a surenchéri : « Il en faut, de la chance, pour avoir de bonnes idées et de l’inspiration. »
Si Woody Allen a tourné une nouvelle fois à Paris, c’est la première fois qu’il le fait avec un casting entièrement local — outre les rôles principaux, citons les apparitions, comme un chœur antique, de Sara Martins, Elsa Zylberstein, Guillaume de Tonquédec, Anne Loiret et Nathalie Richard, sans parler des détectives joués par Grégory Gadebois et Juliette Plumecocq-Mech, que l’on remarque de plus en plus.
Contrairement au Barcelone de Vicky, Cristina Barcelona où l’on avait droit à une visite guidée de la ville digne d’un office du tourisme, Allen filme ici Paris comme il filmait autrefois New York. On n’en voit que des parcs, un marché, des restaurants et des appartements. « New York et Paris, répondait le cinéaste, sont des cités excitantes et très similaires. Avec de très beaux lieux, où l’on trouve des théâtres, des cinémas… Paris est plus belle que New York et New York est plus belle que Paris. Les idées, les histoires, l’énergie, les gens, tout y est quasiment pareil. »

Dans ce Paris new-yorkais, Woody Allen débute son film par une rencontre : celle de deux vieux amis de lycée, Fanny (Lou de Laâge) et Alain (Niels Schneider), qui se retrouvent par hasard dans une rue. On comprend rapidement qu’Alain était fou amoureux de Fanny et qu’il n’est pas prêt à laisser passer une seconde fois l’occasion de lui parler des sentiments qu’il éprouve depuis si longtemps pour elle. Le problème est que Fanny est mariée au richissime Jean (Melvil Poupaud), dont on comprend rapidement qu’il pourrait avoir des choses à se reprocher.

Woody Allen a misé juste en confiant ce rôle à Melvil Poupaud. Autant Lou de Laâge et Niels Schneider interprètent au premier degré — ce qu’on leur demande — des personnages frais et naïfs, autant Melvil Poupaud apporte toute l’ambiguïté qu’il faut pour qu’on n’arrive pas immédiatement à cerner qui il est.

L’acteur a d’ailleurs tellement alterné les braves types et les salauds dans sa carrière qu’un spectateur lambda ne peut savoir, au début d’un film, à qui il va avoir affaire. « C’est comme un jeu », plaisante Melvil Poupaud quand on le questionne à ce sujet. « En vieillissant, j’ai changé physiquement et enchaîner des rôles différents devient plus facile à faire. »

Quant à la direction d’acteur de Woody Allen, Niels Schneider la résume musicalement : « J’ai été étonné de la liberté qu’il nous laissait. C’est un jazzman, il nous demandait de jouer plus aigu ou plus grave. Vous pouvez dire ses répliques entièrement, en partie ou même tout improviser, à partir du moment où vous savez ce qu’est la scène. Il ne veut pas vous voir jouer. C’est bien d’avoir cette liberté même si je n’ai pas improvisé et que je me suis tenu au texte. »
Dans Coup de chance, Niels incarne une sorte d’alter ego de Woody Allen. Comme le cinéaste, le personnage parle de jazz et évoque les lieux où il a travaillé : New York, Londres, Barcelone et Paris, soit uniquement des villes où Woody Allen a posé sa caméra. L’acteur n’est pas dupe et sait parfaitement que son personnage peut être une incarnation du réalisateur. Il évoque Jesse Eisenberg qui, dans Café Society, jouait à la manière de Woody Allen. Niels Schneider a préféré rester lui-même et se tenir éloigné du prototype.

Lou de Laâge est, quant à elle, encore étonnée de la façon dont les choses se sont passées. « J’ai reçu une lettre qui me proposait le rôle mais, surtout, précisait : si vous ne l’aimez pas, on refera un film ensemble, pas de souci ! Quand je l’ai eu au téléphone, Woody m’a dit : ce sera un des films les plus simples que tu auras à faire. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il avait raison. C’est un des rares tournages que je n’ai pas fini épuisée. »

Woody Allen reparle de son amour des cinémas français, italien, suédois, etc. « Quand j’ai débuté, tous les cinéastes américains avaient envie de faire un film à l’européenne. Dans la bande originale de Coup de chance, j’ai pris des musiciens que l’on entendait dans les films français des années soixante, Miles Davis ou le Modern Jazz Quartet. »

Que retenir de ce Coup de chance qui, comme l’indique Melvil Poupaud, oscille entre « le drame conjugal, le thriller et la comédie vaudevillesque » ? Malgré le décor parisien, on retrouve, dans les séquences où un groupe est réuni, cette façon de faire très allenienne avec, par exemple, des conversations qui se chevauchent.

Le film démarre comme une banale histoire de retrouvailles amoureuses et d’adultère, s’enlise un peu dans les rendez-vous de cinq à sept qui ne sont pas désagréables à suivre mais qui n’apportent pas grand chose au scénario, sinon de se familiariser avec les personnages des deux amoureux. Soudain, l’arrivée intempestive de Valérie Lemercier, dans le rôle de la mère de Lou de Laâge, vient secouer le récit et le duel qu’elle livre à Melvil Poupaud est un régal.

Avec Coup de chance, on reconnaît bien sûr la patte de Woody Allen (les conversations mondaines) et le virage vers une trame plus policière peut faire penser à Match Point. L’humour reprend le dessus, les pirouettes nous surprennent et l’on sort de la séance plutôt enchanté, sans savoir si l’on reste ou pas sur notre faim, tant la qualité se marie ici à la simplicité.

Bien sûr, difficile de parler d’un film de Woody Allen sans évoquer les dossiers qui s’accumulent à son encontre — et récemment encore ses déclarations à propos de Luis Rubiales et de l’affaire du « baiser forcé ». Lorsque la conférence de presse a démarré, on a bien fait comprendre aux journalistes que Woody Allen ne répondrait qu’aux questions concernant son film. Dont acte !
Jean-Charles Lemeunier
Coup de chance
Année : 2023
Réal., scén. : Woody Allen
Origine : Royaume-Uni
Photo : Vittorio Storaro
Montage : Alisa Lepselter
Durée : 96 min
Avec Lou de Laâge, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Valérie Lemercier, Grégory Gadebois, Sara Martins, Elsa Zylberstein, Guillaume de Tonquédec, Anne Loiret, Nathalie Richard, Jeanne Bournaud, Juliette Plumecocq-Mech, Philippe Uchan…
Sortie en salles par Metropolitan Filmexport le 27 septembre 2023.