
En 1966, paraît sur les écrans Massacre pour une orgie, un film portant la signature d’un certain Jean-Loup Grosdard. S’il ne creuse pas un sillon important dans la production nationale, il attire néanmoins la curiosité de quelques-uns, au point de ressortir (enfin) aujourd’hui en Blu-ray chez Le Chat qui fume. D’autant que l’on a appris depuis que le Grosdard en question n’était autre que Jean-Pierre Bastid. Un type qui a lui tout seul vaut le détour et que l’on découvre grâce au bonus livré dans la galette. Parmi les autres suppléments, signalons également le montage américain du film, Massacre of Pleasure.
Petit résumé. Issu d’un milieu qui n’a rien à voir avec le cinéma, Bastid parvient à entrer à l’Idhec et à livrer un mémoire sur Nicholas Ray. Lequel le contacte aussitôt et lui fait lire des scénarios. Bastid travaille aussi avec Jean Cocteau sur Le Testament d’Orphée et écrit plusieurs films pour José Bénazéraf (L’Enfer sur la plage) et Max Pécas (La Peur et l’Amour, qu’il cosigne avec Jean-Patrick Manchette, futur grand maître du polar d’extrême-gauche). Autant le dire tout de suite, Bénazéraf et Pécas se sont spécialisés dans des films déshabillés, équivalents des nudies américains avec, pour Bénazéraf, des intentions beaucoup plus politiques.

C’est donc en 1966 que Jean-Pierre Bastid passe à la réalisation avec Massacre pour une orgie, lui aussi très déshabillé. Autant le dire tout de suite, ce Massacre n’est pas impérissable mais donne une autre idée de ce que pouvait être la production nationale à cette époque. Toutes les histoires du cinéma font le partage entre les films classiques et la Nouvelle Vague. En oubliant qu’à leurs côtés, existe toute une frange qui utilise les méthodes de la Nouvelle Vague — ici le noir et blanc, des tournages en extérieurs — mais qui ne correspond pas à proprement parler au cinéma d’auteur, même si ce sont de vrais auteurs qui les réalisent. Car, pour en finir avec Bastid, ajoutons qu’il est aussi et surtout, avant d’être un cinéaste, un écrivain et que, depuis Laissez bronzer les cadavres, publié en 1971 chez Gallimard avec Jean-Patrick Manchette — il sera adapté au cinéma en 2017 par Hélène Cattet et Bruno Forzani —, il a signé près d’une cinquantaine de bouquins. Et qu’il est l’auteur, avec Michel Martens, du fameux Dupont Lajoie, tourné par Yves Boisset.
De quoi parle Massacre pour une orgie ? De gens très méchants, interprétés entre autres par Joël Barbouth et Willy Braque, qui pratiquent la traite des blanches et que traquent quelques flics. Au passage, il est question d’un Agel, « qui fréquentait n’importe qui pourvu que ce soit jeune » et l’on est en droit de se demander si Bastid ne s’amuse pas à brocarder Henri Agel, critique de cinéma proche de la Nouvelle Vague et qui enseigna à l’Idhec (tiens, tiens). La fiche Wikipedia d’Agel cite, parmi ses élèves, Jacques Doillon, Yves Boisset, Claude Miller et Frédéric Vitoux. Lequel est crédité au générique de Massacre pour une orgie comme assistant-réalisateur (il fait également une apparition dans le film). Comme le monde est petit ! Un peu plus tard, le chef de la bande demande à ses porte-flingues de descendre ceux qui disaient trop de mal d’Agel… Ah, la querelle des Anciens et des Modernes finira-t-elle un jour ?

Bastid fait feu de tout bois. Un garde du corps est une femme, un malfrat annonce que « c’est là où les consommations sont les plus chères qu’on s’amuse le mieux », le commissariat est orné d’affiches de marques d’alcool (Byrrh, Dubonnet), Jean Tissier fait une rapide apparition, lui qui, à l’époque, s’est reconverti chez Mocky. Et, d’ailleurs, le personnage du flic géant qui, pour faire parler un gangster taiseux, le suspend dans le vide, semble lui aussi surgir d’un film de Mocky.
Les flics, d’ailleurs, parlons-en ! Le tabassage en règle fait partie de leur quotidien et l’on se demande si la censure gaulliste a interdit le film aux moins de 18 ans à cause de nombreuses nudités féminines, de la violence ou de la représentation de la police. Mais tout Massacre pour une orgie ne se résume pas à de telles séquences. Il en est une, ainsi, très joliment filmée, avec un homme tué sur un canot qui glisse lentement vers l’eau.

Présenté au festival de Cannes avec un scandale assuré — et assumé —, le film a ensuite rapidement disparu des radars. En refaisant surface aujourd’hui, il ravira les curieux et autres amateurs de bis et l’on ne peut que regretter que Jean-Pierre Bastid, pourtant proche de la gauche radicale, n’ait pas mis, à première vue, davantage de politique dans son histoire de traite des blanches. On peut alors se référer à un texte que Jean-Pierre Bouyxou, grand connaisseur en la matière, écrivit à propos de la carte blanche accordée à Jean-Pierre Bastid par la Cinémathèque française, en 2010. Comme points forts attribués à l’auteur, Bouyxou relevait « la prédominance de l’esprit de révolte, la haine des institutions, la férocité antifasciste, le goût de la dérision ». Il ajoutait : « Des qualités qui se rejoignent et se fondent dans les films qu’il a lui-même réalisés, y compris ceux qu’il a signés de pseudonymes parce qu’il s’agissait a priori de travaux de commande, dont il a feint de respecter les contraintes pour mieux les piétiner. Le cinéma de Jean-Pierre Bastid a la même succulence que ses nombreux livres. Celle de la liberté. » Que dire de mieux ?
Jean-Charles Lemeunier
Massacre pour une orgie
Année : 1966
Origine : France
Réal. : Jean-Loup Grosdard (Jean-Pierre Bastid)
Scén. : Jean-Loup Grosdard (Jean-Pierre Bastid), Guy Freising, Chris Pentel
Photo : Jean-Jacques Renon
Musique : Glenn Buschmann
Montage : Lulu Brick (Claude Izner)
Durée : 82 min
Avec Joël Barbouth, Syd Phyllo (Émilie Benoît), Willy Braque, Pierre Cabanne, Béatrice Cenci, Jean Dumaine, José Diaz, Florence Giorgetti, Dany Jacquet, Jean Tissier…
Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume le 14 décembre 2023.